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Les Russes veulent reconquérir l'Afrique
La Russie revient en Afrique, répète-t-on à Moscou. Mais l’héritière de l’Union soviétique a perdu beaucoup de terrain sur un continent qu’elle n’a ni colonisé, ni libéré.
Désormais, le Kremlin a son Monsieur Afrique: Mikhaïl Vitalievitch Marguelov. Agé de 46 ans, ce sénateur rompu aux relations avec l'étranger notamment au sein du Conseil de la Fédération (la chambre haute du Parlement russe) dont il dirige le Comité pour les affaires internationales, vient d’être nommé à un poste flambant neuf, celui de représentant spécial du président russe pour la coopération avec les pays d’Afrique.
Le 21 mars 2011, le président russe Dmitri Medvedev lui a non seulement renouvelé la confiance qu’il lui avait accordée en 2008 en le nommant comme son représentant pour le Soudan, mais a de surcroît bombardé cet arabophone diplômé de l’Institut d’Afrique et d’Asie de l’université Lomonossov de Moscou à une fonction continentale inédite.
Selon Maxim Minaev, du Centre de conjoncture politique, Marguelov fait figure de libéral et sa promotion indique que le président Medvedev veut renforcer la «verticale diplomatique» au détriment des cercles technocratiques du ministère des Affaires étrangères russe, le MID. En nommant Marguelov, Medvedev a évincé de son titre de représentant spécial pour les relations avec les chefs d’Etat africains Alexeï Vassiliev, ancien directeur de l’Institut d’Afrique à l’Académie des sciences de Russie, un pur produit du système soviétique.
Mikhaïl Marguelov devra néanmoins composer avec le ministère des Affaires étrangères et les autres administrations qui travaillent sur la région. A l’instar du limogeage fracassant de l’ambassadeur russe en Libye, d’autres têtes au MID vont tomber, dont le vice-ministre Alexeï Saltanov qui a dirigé le département Afrique et Proche-Orient selon l'hebdomadaire Itogui. A cet égard, la Libye et plus largement l‘Afrique semblent constituer une ligne de fracture dans le tandem Dmitri Medvedev-Vladimir Poutine au pouvoir en Russie, à la veille d’une élection présidentielle fratricide en 2012.
Mais qu’espère la Russie en Afrique?
«Puissance globale, la Russie a des intérêts à l’échelle de la planète, y compris en Afrique. Notre mission est de défendre ces intérêts. A la différence de nos partenaires européens, la Russie n’a jamais été une puissance coloniale en Afrique. Nous ne l’avons jamais bombardé et n’avons jamais mené d’expéditions punitives contre des peuples africains.»
Dès ses premières déclarations, le nouveau Monsieur Afrique de Moscou inscrit son action dans l’héritage soviétique sur le continent. Un héritage assumé. Pourtant, le bilan de la diplomatie africaine du Kremlin durant la guerre froide est plus que mitigé.
Certes, la superpuissance communiste affichait sur le terrain une présence à la hauteur de ses ambitions en offrant ses services à plus d’une quarantaine de pays africains, à grands renforts de conseillers. Mais ce soutien politique, économique et bien sûr militaire a été payé au prix fort, celui de la dette, s’élevant à 25 milliards de dollars (17,64 milliards d'euros) de l’époque.
Durant les années 1990 en Afrique, la Russie a brillé par son absence, trop occupée qu’elle était à surmonter ses problèmes internes après l'éclatement de l'Union soviétique. Le constat actuel n’est guère reluisant. Les échanges avec l’Afrique ne représentent que 2% du commerce extérieur de la Russie. En 2008, il s’élevait à 2 milliards de dollars (1,41 milliard d'euros). Le volume d’échanges est dix fois inférieur à celui de l’Afrique avec la Chine, qui jouit d’avantages inégalables avec ses liquidités financières colossales et sa croissance économique à deux chiffres.
Pour Marguelov, «l’Afrique n’est pas qu’un dépôt mondial dont les fonds disposent de toute la table de Mendeleev, mais elle est aussi une source de problèmes à caractère global qui, outre des causes fréquemment énoncées, sont liés au dédain envers l’évolution du continent depuis la fin de la guerre froide».
Le continent africain figure parmi les priorités de la politique extérieure de la Russie, insiste-t-on à présent du côté de Moscou. Cette ambition se situe sur le plan économique. Mais son effacement en Afrique lui a coûté cher et ses positions actuelles s’avèrent fortement en retrait dans un espace de concurrence exacerbée.
Mais Moscou veut compter aussi sur le contingent africain de diplômés en Union soviétique. Suivant les conseils de l’Institut d’Afrique, la Russie lance presque un appel à tous les «soyouzniki», ces milliers d’ingénieurs, de médecins, enseignants et autres acteurs du développement formés en URSS et dont certains occupent des positions de premier plan dans leurs pays respectifs. Selon l'Institut d'Afrique de l'Académie des Sciences de Russie, il faut tirer profit de la présence de ces anciens boursiers africains qui donnent une autre dimension au monde russophone.
Besoin d'un soutien politique de l'Etat
Le monde des affaires russe espère compter sur le soutien affiché de l'Etat. En mars 2006, c’est en Algérie que le président russe Vladimir Poutine inaugura la première visite d’un chef d’Etat russe sur le continent africain —bien que limitée à quelques heures. En septembre de la même année, il réalisa une tournée express en Afrique du Sud puis au Maroc.
Son successeur, Dmitri Medvedev, accompagné d’une importante délégation d’hommes d’affaires, marqua de façon plus ostensible son passage en terre africaine en juin 2009, de l’Egypte à l’Angola, en passant par le Nigéria et la Namibie. Medvedev fit lui aussi le voyage à Alger en octobre 2010. Toutes ces visites ont donné lieu à la signature de contrats notamment dans les domaines énergétique, minier, bancaire ou de l'armement.
Le soutien de l’Etat au milieu des affaires russes en Afrique s’est également matérialisé par l'annulation de la dette contractée par un certain nombre de pays africains. Environ 20 milliards de dollars ont été effacés de l'ardoise. Cette politique s’est réalisée en partie en partenariat avec le FMI et le G8, où la Russie cultive son image de puissance (PDF).
Aujourd’hui, elle veut renouer des liens politiques forts avec les Etats africains, notamment à travers les échanges entre parlementaires. La Douma d’Etat (chambre basse du Parlement) dispose de trois groupes: pour l’Afrique du nord, l’Afrique centrale et australe, ainsi qu’un groupe spécifique à la Libye. Par ailleurs, Moscou envisage de nouer des liens avec le Parlement africain, basé en Afrique du Sud, en s'inspirant de son expérience avec le Parlement européen.
En mi-juin 2010, à l’occasion du cinquantenaire des indépendances africaines, la Russie a lancé une véritable offensive sur le champ des relations politiques avec l'Afrique. Elle a organisé à Moscou une conférence parlementaire internationale de grande envergure, intitulée «Russie-Afrique: les perspectives de la coopération», et qui a réuni plus de 400 participants dont des parlementaires et des hommes d’affaires de Russie et de 39 pays africains. L’objectif: renforcer les échanges politiques et surtout économiques.
Pour donner une visibilité à ces ambitions, un site Internet multilingue a même été créé sous le titre «Russie-Afrique: partenariat et succès», où l’on peut lire des analyses des hauts responsables russes comme des interviews d'ambassadeurs africains à Moscou.
Du business, rien que du business
Si l’héritage soviétique est revendiqué, la Russie veut se garder de reproduire les travers de la guerre froide. Désormais, il n'est plus question d'idéologie, répète-t-on avec force.
Fort de cette résolution, Anatoli Klimov, vice-président de la Commission pour les affaires étrangères à la Douma, s'autorise même quelques critiques acerbes contre Washington et Bruxelles qui, selon lui, répètent les erreurs des dirigeants soviétiques.
«La différence repose sur le fait qu'au lieu des idéaux communistes de Marx et Lénine, les dirigeants occidentaux sont préoccupés par l'idée d'exporter leur version de la "démocratie", en oubliant qu'ils ont affaire à des pays souverains avec leurs propres cultures, coutumes et traditions.»
S’exprimant sur le cas de la Libye, où la Russsie s’est abstenue de faire obstacle à la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies qui autorise toutes les mesures nécessaires pour la protection des civils, Mikhaïl Marguelov souligne pour sa part les limites de cet interventionnisme. «S’il faut aller en guerre contre chaque dictateur, alors le monde sombrera dans un état de guerre permanente.»
Philippe Randrianarimanana