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Un rebelle libyen scrute au loin les combats, Al Qawalish, à 100km de la capitaleTripoli, 13 juillet 2011. REUTERS/Ammar Awad
Un rebelle libyen scrute au loin les combats, Al Qawalish, à 100km de la capitaleTripoli, 13 juillet 2011. REUTERS/Ammar Awad

Combien de temps Kadhafi peut-il encore tenir?

Cinq mois après le début de la guerre, le conflit libyen fait de moins en moins de bruit dans les médias occidentaux. Mais les opérations sur le terrain se poursuivent sans relâche.

Où en est la guerre de Libye? Nous sommes bien loin aujourd’hui du tintamarre guerrier des premières heures, quand planait dans les médias la terrible menace d’odieux massacres de populations civiles dans les villes tenues par ceux qui n’étaient encore présentés que comme des «manifestants».

Aujourd’hui, le silence est de mise. Les combats continuent sur l’autre rive de la Méditerranée, mais la pause estivale est là, sans parler d’autres sujets qui accaparent notre attention. Parfois, une nouvelle fait surface dans les menus déroulants des chaînes d’information et dans les pages des quotidiens: les rebelles subissent de lourdes pertes dans la cité assiégée de Misrata, les frappes alliées réduisent à néant les moyens lourds de l’armée de Kadhafi, les hélicoptères français et britanniques entrent dans la danse, tel ou tel pilier du régime du colonel fait défection. Ou, comme ces derniers jours, les rebelles lancent une nouvelle offensive.

L'optimisme du ministre de la Défense français

En réalité, bien malin qui sait ce qui se passe sur le terrain. Et à quoi ressemble le terrain en question, d’ailleurs. S’affronte-t-on en de violents combats de rues pour le contrôle des villes, ou plutôt dans des opérations éclairs pour s’emparer de points stratégiques dans l’arrière-pays? Peut-on parler de batailles rangées, ou ne s’agit-il que de vagues escarmouches entre de petits groupes désorganisés et mal armés? Quelle forme prend désormais l’intervention de l’Otan? Les frappes aériennes se poursuivent-elles avec régularité, s’accélèrent-elles? Et nos fameux hélicoptères, après leur première intervention très médiatisée, que font-ils?

Autant de questions auxquelles nous ne sommes pas en mesure de répondre avec précision, surtout que, rappelons-le, nous ne sommes guère dans le secret des états-majors.

Quoi qu’il en soit, la guerre civile libyenne en est à son cinquième mois, et l’intervention alliée à son quatrième mois, sans qu’une issue viable paraisse en vue. Certes, officiellement, les chancelleries occidentales se félicitent. Peu après le début des frappes, le ministre français de la Défense Gérard Longuet déclarait par exemple dans les colonnes du Figaro:

«En Libye, nous avons agi aussi rapidement que possible, tout en respectant la légalité. La passivité cynique de l'époque de Srebrenica, en Bosnie, n'est pas dans l'air du temps. Derrière cette intervention, il y a toute une armée qui a rendu l'opération possible en quelques heures, sur un théâtre qui nous était tout à fait étranger il y a dix jours. Il n'y a pas beaucoup d'armées dans le monde capables de le faire.»

 Plus de trois mois plus tard, le même s’efforce de toujours faire preuve d’optimisme: «On s'arrête de bombarder dès que les Libyens parlent entre eux et que les militaires de tous bords rentrent dans leur caserne, et ils peuvent parler entre eux puisqu'on apporte la démonstration qu'il n'y a pas de solution de force», affirmait-il le 11 juillet dernier sur BFMTV/RMC.

Négocier ou intervenir au sol

Les points de situation du ministère de la Défense sont, eux, plus explicites. Dans le dernier en date disponible sur le site du ministère, on peut voir que depuis la fin du mois de juin, la France ne faiblit pas. On y apprend entre autres que «depuis le 30 juin 2011, le dispositif militaire français assure environ 35 sorties par jour, dont près de la moitié sont des missions de frappe au sol. Ces chiffres représentent près de 25% des sorties de l’Otan et un tiers des sorties d’attaque au sol.» Ce qui est considérable. Parmi les objectifs traités, on trouve, encore et toujours, des véhicules blindés, des chars, des camions, mais aussi des postes de commandement, des systèmes de communications, des positions et des pièces d’artillerie dans diverses régions du pays.

A ce rythme-là, l’armée de Kadhafi finira bien par ne plus avoir de quoi se déplacer, voire se battre. Bien sûr, des opérations aériennes, à elles seules, n’ont jamais suffi à emporter la décision. Si la partie qui en fait les frais s’entête, l’impact des frappes s’avère, à terme, limité. Pire, elles contribuent parfois à ressouder une opinion publique qui, jusqu’alors, ne soutenait pas vraiment le pouvoir. Dès lors, il ne reste que deux solutions: négocier, ou intervenir au sol.

Au Kosovo, en 1999, confronté à la résistance acharnée d’une armée serbe qui savait que les bombardements de l’Otan avaient à peine entamé ses capacités de combat, l’Occident avait opté pour la première solution. Mais cela n’avait été possible que parce que, de son côté, Slobodan Milosevic avait lui aussi été ouvert à cette éventualité, craignant sans doute d’être débordé par ses militaires. En Libye, si des tractations ont lieu en sous-main, et si, régulièrement, Washington, Londres et Paris laissent entendre qu’une solution négociée reste possible, on voit mal comment l’Alliance pourrait accepter de cesser les hostilités sans un départ immédiat du colonel Kadhafi.

Reste alors l’éternelle Arlésienne des opérations occidentales depuis une vingtaine d’années: l’intervention terrestre. Toujours au Kosovo, certains experts avaient prédit que les troupes de l’Otan pénètreraient sans grande difficulté en Serbie et qu’elles atteindraient Belgrade en quelques jours au prix de pertes relativement légères. Fort heureusement, cet optimisme n’avait pas été mis à l’épreuve de la réalité, le pouvoir serbe ayant fini par céder sans qu’il soit nécessaire de déployer divisions blindées et soldats d’élite. Les rebelles albanais de l’UÇK avaient joué le rôle de troupes au sol avec plus ou moins de bonheur, mais cela avait suffi.

Il semblerait que la coalition à l’œuvre en Libye s’oriente vers une solution de ce type. C’est probablement dans ce contexte qu’il faut comprendre aussi bien l’annonce d’une reprise des opérations offensives des rebelles que la nouvelle que la France aurait procédé à des parachutages d’armes destinées à l’opposition libyenne.

Kadhafi menace le continent européen 

Depuis le début du mois dernier, les rebelles sont donc repartis à l’assaut des positions tenues par les troupes fidèles au colonel. Pour l’essentiel, il s’agit de raids ponctuels sur des bourgs mal défendus, qui permettent à l’opposition de marquer des points sur le plan médiatique. Ils progressent en particulier dans le Djébel Mafoussa, au sud de Tripoli, où ils se sont emparés de plusieurs localités. Partout ailleurs, cependant, ils piétinent toujours. Il semble toutefois qu’il y ait une plus grande coordination entre les avancées des rebelles et les frappes aériennes de l’Otan, ce qui, à terme, serait susceptible de fissurer le dispositif défensif de Kadhafi.

En tout cas, les combattants rebelles l’espèrent, et ils réclament les moyens de faire enfin sauter les verrous qui les empêchent de progresser. La France se serait distinguée en larguant des armes à l’opposition au début de juin. Ces opérations seraient désormais terminées, et auraient été nécessaires «parce que des territoires organisaient leur autonomie», selon le ministre de la Défense Gérard Longuet. En clair, la France aurait parachuté des armes légères à des régions isolées qui souhaitaient se détacher de l’orbite de Kadhafi.

Petit à petit, sous les bombes et les missiles de la coalition, l’édifice du colonel commence peut-être à se lézarder. Des régions éloignées entrent en sédition, les rebelles testent les défenses de Tripoli, et le régime ne dispose plus que d’une arme sur le plan international: la menace. Comme celle de «déclencher une vague sans précédent d’immigration illégale en Europe». Ou de riposter aux frappes en attaquant «les foyers, les bureaux, les familles» sur le continent européen. Reste à savoir avec quoi. Car plus le temps passe, plus le colonel Kadhafi et ses fidèles semblent dépourvus de moyens, et coupés du monde.

La guerre de Libye est peut-être devenue très discrète dans les médias occidentaux, elle ne s’en poursuit pas moins, et son issue paraît chaque jour plus inéluctable.

Roman Rijka


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Roman Rijka. Journaliste. Spécialiste de l'histoire militaire.

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