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Emigration : La Ghorba, de plus en plus dure !

Ce n'est certainement pas le titre d'une chanson de Cheb Khaled, Kader, Zehouani ou encore Reda Taliani qui sont tous des "Raï men" Algériens, comme d'ailleurs les Marocains, qui ont chacun chanté la Ghorba (l'émigration), en particulier ses problématiques de solitude, d'humiliation, de discrimination, d'ethnocentrisme et autres racismes... Avant eux, Bob Marley chantait  dans les années soixante-dix Exodus. L'Irlandais du Sud Chris de Burgh chanta lui aussi l'immigration forcée, imposée et non désirée des Irishs vers la Grande-Bretagne (Don't pay the ferryman). Les grands bluesmen américains, surtout ceux du Mississipi, avaient eux aussi longtemps milité pour les droits de tous ces Afro-Américains, ''Stolen from Africa and brought to America".

La guitare du grand Carlos Santana a consacré une bonne partie de ses solos (Right on) au calvaire des plus dramatiques des harragas mexicains (les wetbacks) pour l'Eldorado américain.

C'est dire que l'immigration ou son pendant, l'émigration sont un concept commun à toute l'humanité. Néanmoins, c'est surtout son volet culturel qui continue de poser l'infernale problématique de l'intégration, la cohabitation et la coexistence entre des peuples de différentes cultures, races et religions.

Chez nous au Maroc, ce n'est nullement une affaire d'aujourd'hui. Aller au-delà de l'Atlantique ou de la Méditerranée, légalement ou clandestinement (peu importe !), pour fuir la misère et la Hogra, a poussé depuis des décennies déjà des vagues de Marocains, jeunes et moins jeunes, à prendre cette incontournable décision d'émigrer pour vivre...

Labrouj, Khouribga, Kelaât S'raghna, le Rif, le Souss, le Nord sont autant de régions devenues au fil du temps de véritables berceaux de l'émigration vers les pays du Vieux Continent, en particulier l'Espagne, la Hollande, l'Italie, la France et la Belgique.

En quête du bonheur… !

La région de Fquih Ben Salah en fait partie. Ce petit coin du Bassin Tadla-Azilal, se trouvant précisément entre les villes de Khouribga et Béni Mellal, est connu comme étant le fief de l'émigration vers principalement l'Italie et l'Espagne. Ici, chaque famille compte un minimum deux membres qui sont des  «z'magrias» dans l'un de ces deux pays européens. Le phénomène ne surprend personne. Bien au contraire. Tous ces jeunes émigrés, partis de rien, sont considérés commet des héros qui ont réussi à ramener de l'euro et une belle « caisse » à Fquih Ben Salah. Et les sources ou la provenance de leurs "Tarfiha" (richesse) n'intéressent personne !

Des-filles-de-MRE-chantant-leur-difficulté-à-s'intégrer-dans-le-système-scolaire-marocain

Mais il est quand même important de constater qu'avec la crise qui continue de sévir fortement en Espagne et en Italie, les choses ont tendance à changer. Une bonne partie de familles MRE a rejoint le pays (comme le saumon qui retourne aux sources)…tout simplement.

Du coup, leurs enfants ont du mal à s'intégrer dans leur propre pays, celui de leurs parents et leurs ancêtres !

Rien en effet qu'au niveau du Fquih Ben Salah, on compte pas moins de 200 enfants bons en langues espagnole ou italienne, mais incapables de s'intégrer dans le système scolaire du Royaume.

Abdellatif Maâzouz, ministre d'un soi-disant département des MRE, semble être complètement déconnecté de cette réalité. Idem pour son bras droit, le Conseil de la Communauté marocaine de l'étranger. Pour tous ces citoyens MRE, la question de la réintégration de leurs enfants dans les tissus scolaire et universitaire est une urgence. Et après plus d'une année à la tête de ce ministère, Abdelatif Maâzouz n'a fait que rassurer sans agir, dit-on à Fquih Ben Salah.

"Bien entendu, ce n'est pas un dossier simple, d'autant plus que ces enfants ont des niveaux différents et viennent de pays différents, notamment l'Italie et l'Espagne… Malheureusement, ces enfants n'ont pas tous des connaissances en français. Il sera donc très difficile de les réinsérer dans le système scolaire marocain tel qu'il est présenté, qu'il soit privé ou public. Il leur faut donc des cursus adaptés à leur provenance", dit-on auprès du ministère des MRE.

Mohamed El Khadraoui de l'Association Forum de Béni Amir, nous confie que "le projet cette ONG est issu d'une problématique concrète, à savoir la nécessité de s'intéresser non seulement au recensement des élèves des familles marocaines résidentes à l'étranger qui réintègrent le Maroc dans ces dernières années, mais également l'identification  des besoins et diagnostic des difficultés en matière de langue d'enseignement dans les établissements marocains afin d'apporter le soutien linguistique aux élèves en difficulté". Et ce n'est pas fini !

Ces Marocains de retour au pays se trouvent également confrontés à un océan de difficultés d'ordre administratif pour tout ce qui concerne le regroupement familial et le statut personnel. De même, les procédures administratives et fiscales en matière d'investissement et de création d'entreprises ne sont pas des moindres.

Les avis d'experts

Pour une meilleure compréhension de tout ce qui concerne de près et de loin l'immigration, une palette d'experts venus d'Espagne, d'Italie et de France, a récemment fait le déplacement à Fquih Ben Salah.

L'initiative venait de l'Association ''Forum de Béni Amir''. Durant les deux jours de cette rencontre, les participants ont débattu de la migration dans ses multiples dimensions. Unanimes, ils ont souligné avec force que la migration est un dossier qu'il aura fallu prendre au sérieux, mais pour des considérations issues d'un capitalisme de plus en plus sauvage, la signature humaine s'est faite totalement placarder !.

Gabriel Langouet, sociologue et professeur honoraire à  l'Université René Descartes-Paris V Sorbonne, ne cache pas son inquiétude  : "Nous, les Européens, devons dépasser les clivages d'ordre historique pour organiser l'émigration sur des bases plus humaines''. Et de poursuivre que la population européenne est aujourd'hui en perte de vitesse démographique, avec un seul enfant par famille. D'après lui, l'Europe aura toujours besoin d'immigrés, soit 30 millions d'ici 2030 : '' Ceci dit, nous avons le devoir de trouver l'équilibre entre les exigences de leur intégration et le respect des standards européens''. Pour ce faire, il recommandede développer des politiques sociales plus efficaces en matière de santé, de scolarisation, de logement ainsi qu'au niveau du statut juridique des émigrés.

des-membres-du-colloque

Les participants ont, par la même occasion, plaidé pour une meilleure protection des émigrés contre la violence, les crimes et la xénonophobie. Idem pour l'approche ''chantage'' pour l'émigration féminine. Partant du même constat, Mme Ángeles Ramerez, professeur spécialisée en émigration féminine à l'Université Autonome de Madrid, a souligné que les spéculations électoralistes entre les partis de la Droite et de la Gauche ont gravement porté atteinte au droit des femmes musulmanes à porter le Hijab en Europe qui comprend une forte communauté musulmane, soit 6 % en France, 5 %en Italie, 3 %en Belgique, 6 %en Hollande et 98 % en Turquie : ''Mais en réalité, on s'inquiétait de la montée en puissance de l'Islam politique ces dernières années''. Et de préciser que les pays de l'Europe devraient donner l'exemple en matière de respect des droits privés des personnes : '' C'est bel et bien en Europe qu'on souhaite libérer la femme en lui permettant de vivre sa vie comme elle l'entend''.

Même son de cloche chez Carolina Amaya, professeur-chercheur à l'Université de Navarre, pour qui la femme peut tirer profit de l'émigration pour se garantir une bonne marge de liberté et d'indépendance, mais c'est particulièrement la décision du retour au pays d'origine qui constitue souvent le summum des problèmes avec un taux élevé de risque d'éclatement familial.

L'émigration au féminin…

Sur un autre registre, la doyenne de l'Université de Mohammedia, Mme Rachida Nafaâ, pense que l'immigration féminine interne, c'est-à-dire à l'intérieur du territoire nationale est plus rude, plus problématique que celle à l'étranger : '' 79 % des femmes migrantes sont issues de familles pauvres, 30 % sont des victimes de la violence familiale, 22 % en quête d'un travail et 38 % sont mariées''. Des chiffres qui démontrent, d'après elle, que l'immigration féminine interne est une décision forcée et dont la majorité des migrantes coupe le cordon à jamais avec la famille. Et de conclure que les plus touchées et victimes des différentes sortes d'exploitation sexuelles sont les mères célibataires, soit 200 000 femmes. Hallucinant !

Pour d'autres observateurs, les recherches au Maroc ayant pour objet la femme émigrée sont rares. Elles investissent ce champ de manière indirecte, soit en portant un éclairage sur la femme marocaine migrante dans le pays d'accueil, soit que les femmes émigrées sont abordées dans des analyses plus globales d'ordre sociologique sur la situation de la femme marocaine en considération de son statut jugé inférieur par rapport à celui de l'homme.

L'un des enjeux majeurs des travaux de ce Forum a donc été d'examiner si la migration contribue à une «émancipation» des migrantes, voire une autonomisation et une vraie participation au développement ou, au contraire, elle contribue à les retenir dans une position de dominées. Principal résultat : la migration contribuerait à l'autonomie des femmes, mais les profits qu'elles en tirent resteraient limités. ''La migration féminine peut exacerber la dépendance de certaines, mais être libératrice pour d'autres et elle peut finalement changer les rapports de genre au sein du couple et de la famille'', indique-t-on au sein du Forum.

Autre détail, autre enjeu : la dignité de la femme migrante, particulièrement dans les pays du Golfe et certains pays africains. A rappeler dans un premier temps que la migration féminine marocaine a connu une amplification importante, notamment à la fin des années 1970 et plus particulièrement depuis les années 1990.

Mais le fait qu'il n'y a toujours pas de loi contre la traite des personnes au Maroc laisse la voie libre à des mafias qui profitent de ce vide juridique pour faire miroiter aux femmes qu'elles ont des possibilités de travail dans certains pays du Golfe.

A en croire M. Bernoussi, du département chargé des MRE, il s'agit là d'un vrai problème auquel il faut s'attaquer : ''ce problème est dû à la présence de réseaux de trafic de femmes qui leur font miroiter des possibilités de travail dans ces pays. Et ces femmes se trouvent malheureusement enrôlées dans des réseaux mafieux qui pratiquent la traite des personnes et alimentent les circuits de prostitution''.

Marcel Amiyeto, S.G de l'ODT-Immigrés (République Démocratique du Congo), tient à préciser dans le même sens qu'il est aujourd'hui grand temps pour agir contre l'amplification des réseaux de recrutent des femmes pour le compte de lieux de débauche dans certains pays africains : '' On souhaite une large coopération associative sud-sud pour lutter contre le mauvais traitement des femmes migrantes''.

Un chantier à mener absolument d'urgence, car la dignité de la Femme, marocaine ou de tout autre nationalité, n'a certainement pas de prix…

Hassan Zaatit

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L'avis de Mohamed Bernoussi, SG du ministère chargé des MRE

''Sincèrement, ces retours de familles marocaines avec leurs enfants sont un problème qui vient de surgir. Nous essayons d'y apporter les réponses nécessaires, bien entendu avec le ministère de l'Education nationale. Comme vous le savez, l'enseignement, c'est un droit et le ministère de l'Education nationale doit permettre à nos enfants de poursuivre leurs études. Il faut reconnaître que la problématique est un peu difficile dans la mesure où ce sont des enfants qui viennent de pays non francophones, en l'occurrence l'Italie et l'Espagne. Certes, il y a des écoles espagnoles au Maroc. Mais malheureusement, la capacité de ces écoles ne pourrait pas répondre à ces arrivées dont on espère qu'elles ne soient pas trop importantes, surtout dans ce contexte où la crise touche beaucoup de pays, notamment le Maroc qui n'est pas épargné. Nous y travaillons dans le cadre d'un programme de réinsertion professionnelle pour les Marocains de retour. Car, c'est un devoir pour nous d'aider ces familles à se réinsérer de façon convenable''.

 

A propos du Forum de Béni Amir

Le Forum de Béni Amir est une association à but non lucratif qui regroupe diverses compétences de la région ''Tadla-Azilal''. Il vise à fédérer le savoir-faire et la connaissance afin de contribuer au développement et au rayonnement culturel du pays en général et de celui de la région en particulier. Il est à rappeler le succès des diverses manifestations de cette association autour de la thématique de la migration ainsi que la richesse des thèmes traités, la participation de haut niveau de nombreuses personnalités qualifiées (nationales et internationales: experts, chercheurs universitaires, acteurs politiques, responsables institutionnels) marocaines et marocains résidents à l'étranger, animateurs associatifs, représentants d'organisations internationales et d'agences de coopération...

La Nouvelle Tribune

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