mis à jour le

Moummar Kadhafi au deuxième sommet franco-arabe à Syrte, le 10 octobre 2010. REUTERS/Asmaa Waguih
Moummar Kadhafi au deuxième sommet franco-arabe à Syrte, le 10 octobre 2010. REUTERS/Asmaa Waguih

A Kadhafi, l’Afrique reconnaissante

Comment le dirigeant libyen s’est payé amis et influence sur le continent.

Un jour à peine après qu’une coalition internationale a commencé à bombarder des cibles libyennes, une délégation de l’Union africaine (UA) a tenté d’atterrir à Tripoli pour jouer le rôle de médiateur entre le colonel Mouammar al-Kadhafi et les leaders de l’opposition rebelle. Ce groupe, qui comprenait cinq chefs d’État africains, affirmait que le dirigeant libyen et ses opposants étaient prêts à négocier. Mais l’avion n’a pas pu atterrir. Le 17 mars, le Conseil de sécurité de l’ONU a voté une résolution imposant une zone d’exclusion aérienne sur le pays, mise en application à ce jour par les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne. La tentative de l’UA d’apporter une solution africaine à un problème africain a tourné court.

Il ne fait aucun doute que Kadhafi est un problème africain. Au cours de ses quarante années à la tête de la Libye, il s’est imposé comme une force politique dominante dans tout le continent. Beaucoup d’aspirants politiciens ont recherché son appui, beaucoup de mouvements rebelles se sont tournés vers lui pour solliciter des armes et des formations. Les chefs d’État africains se sont donné beaucoup de mal pour entretenir de bonnes relations avec le colonel, conscients qu’à défaut, le prochain mouvement de rébellion protégé par Kadhafi pourrait bien naître dans leur pays. Ce qui explique pourquoi, alors que le reste du monde a classé Kadhafi dans la catégorie dément maniaque, le dirigeant libyen a encore des amis en Afrique.

Quand Kadhafi a accédé au pouvoir en 1969, lui et les peuples d’Afrique étaient singulièrement sur la même longueur d’ondes. Le jeune colonel était alors censé être pour la Libye ce que Gamal Abdel Nasser était pour l’Égypte: un réformateur nationaliste et anticolonialiste. Il a fermé son pays aux influences occidentales et s’est battu avec véhémence contre les États-Unis et la Grande-Bretagne en particulier, parfois à grand renfort de discours et parfois en finançant des actes terroristes. L’occurrence la plus tristement célèbre est celle où, en 1988, il commandita l’attentat contre un avion de la Pan-American qui s’écrasa sur Lockerbie, en Écosse, tuant les 270 personnes se trouvant à bord.

Un allié versatile

En Afrique, il a toujours été clair pour tout le monde que le zèle révolutionnaire de Kadhafi ne connaissait pas de limites. Dès les premières années de son régime, il est devenu maître dans l’art de soutenir des rebelles en pleine ascension, pour mieux les laisser tomber en faveur de nouveaux alliés, mieux armés ou plus loyaux. Les revenus du pétrole lui permettaient de soutenir ces factions rebelles sur tout le continent; un nombre incalculable d’insurgés et de candidats au pouvoir l’ont approché pour solliciter des fonds. Mais il était tout sauf un allié sûr; Kadhafi distribuait son soutien d’une rébellion à l’autre. Il finançait des leaders pour mieux encourager leur assassinat par la suite, comme dans le cas de Thomas Sankara, du Burkina Faso. Il a envahi le Tchad, avec qui la Libye entretient aujourd’hui de solides relations diplomatiques. Il a détruit chaque alliance qu’il avait contractée —avant de la nouer de nouveau.

Ici, Kadhafi marche avec le président ougandais Yoweri Museveni (au centre) et le jeune roi du Toro Oyo Nyimba Kabamba au cours d’une visite du dirigeant libyen à Fort Portal, en Ouganda, le 14 juillet 2001. Kadhafi était venu célébrer le sixième anniversaire du couronnement du roi.

Toutes ses alliances n’étaient pas sinistres: Kadhafi a financé la campagne non-violente du Congrès national Africain pour mettre un terme à l’apartheid en Afrique du Sud, et a développé d’étroites relations avec l’ancien président Nelson Mandela, qu’il avait rencontré pour la première fois en 1990, et que l’on voit ici. Les deux hommes devinrent si proches que Kadhafi fut le dernier invité officiel de Mandela pendant sa présidence. Mandela parlait de Kadhafi comme de son «frère dirigeant».

Un héritage sanglant

Mais l'héritage le plus destructeur de Kadhafi en Afrique pourrait bien être les guerres au Liberia et en Sierra Leone, qui débutèrent le jour de l’an 1990, et ne s’achevèrent qu’en 2003. Les seigneurs de guerre qui menaient ces guerres civiles sanglantes et destructrices, Charles Taylor et Foday Sankoh, avait été formés et armés par la Libye. Au Liberia, Taylor détruisit, brûla une nation entière et recruta une armée d’enfants-soldats. Au Sierra Leone, les soldats du Front révolutionnaire uni de Sankoh pratiquaient le viol et la mutilation des bras et des jambes, sauvagement, village après village. Le dirigeant libyen était si impliqué que le Tribunal spécial pour la Sierra Leone aurait envisagé de le mettre en examen. Presque dix ans plus tard, l’Afrique de l’Ouest reste encore ébranlée par le conflit.

Ici, on voit Kadhafi arriver à Conakry, la capitale guinéenne, le 25 juin 2007. Ce pays fut aussi entraîné dans les guerres du Liberia et de la Sierra Leone car des réfugiés (et des combattants armés) fuyaient et traversaient la frontière.

Kadhafi a aussi fait très fortement pression contre la mise en examen du président soudanais Omar el-Béchir, poursuivi par la Cour pénale internationale pour crimes de guerre. Les deux hommes se sont rencontrés dans la ville côtière libyenne de Syrte le 3 juin 2007, au cours d’un sommet pour les États sahélo-sahariens, comme on le voit ici.

Les Etats-Unis d'Afrique de Kadhafi

Nulle part l’influence de Kadhafi n’est plus claire que dans le cadre de l’Union africaine. En contribuant à mettre en place ce groupe, dont il fut élu président tournant en 2009, l’objectif premier de Kadhafi était de réaliser un vieux rêve: les États-Unis d’Afrique, union politique qu’il s’imaginait sans nul doute diriger.

Ici, on voit Kadhafi écouter un discours du président tchadien Idriss Déby le 8 août 2006, aux côtés d’el-Béchir, du président de Guinée équatoriale Teodoro Obiang Nguema Mbazogo, de l’ancien président gabonais Omar Bongo Ondimba et du président de la République du Congo, Denis Sassou Nguesso.

Pour s’attirer des soutiens pour ce projet, Kadhafi a généreusement distribué présents et honneurs aux chefs traditionnels africains, dont les positions sont sauvegardées dans l’usage de beaucoup de pays subsahariens afin qu’ils plaident sa cause, et s’est autoproclamé «roi des rois.» En août 2008, le gouvernement libyen a financé la venue en Libye de dirigeants africains traditionnels et locaux pour qu’ils assistent au Forum des rois, sultans, princes, cheikhs et maires d’Afrique organisé par Kadhafi, comme on peut le voir ici.

Des alliances qui paient en 2011

Quand les soulèvements ont pris de l’ampleur à la mi-février, Kadhafi a sollicité quelques retours d’ascenseur. Des mercenaires du Tchad et du Liberia —autrefois entraînés et financés par Kadhafi— seraient venus à son secours par centaines. Selon la BBC, des combattants des groupes touaregs du Niger et du Mali l’ont également rejoint. Certains observateurs pensent que l’armée du Zimbabwe est peut-être aussi venue à la rescousse.

À une époque moins troublée, comme on le voit ici, Kadhafi rencontrait le président gabonais Omar Bongo, le président tchadien Idriss Déby, le président de Guinée équatoriale Teodoro Obiang Nguema et Fradique de Menezes, président de Sao Tome, à la cérémonie d’ouverture de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale à N'Djamena, au Tchad, le 25 avril 2007. Kadhafi a siégé avec l’ancien président du Mozambique Joaquim Chissano à la fin du sommet de l’UA le 28 février 2004.

Quelle que soit l’issue de l’intervention actuelle, une chose est claire: l’héritage de faiseur de rois de Kadhafi en Afrique, pour le meilleur et souvent pour le pire, est déjà scellé —avec de l’argent, du pétrole et du sang.

Elizabeth Dickinson

Traduit par Bérengère Viennot

A lire aussi

Bani Walid, le dernier bastion kadhafiste

Et si Kadhafi n'avait pas dit son dernier mot

Aïcha Kadhafi fait de la résistance

Kadhafi a-t-il été éxécuté?

Cinq raisons de ne pas hurler avec les anti-Kadhafi

Libye - Le tombeur de Kadhafi victime de vengeance ( VIDEO)

L'article original de Foreign Policy comporte de nombreuses photos

Elizabeth Dickinson

Journaliste à Foreign Policy

Ses derniers articles: L’Afrique des classes moyennes  A Kadhafi, l’Afrique reconnaissante  L’Afrique de l’Ouest au bord du gouffre 

Teodoro Obiang Nguema Mbasogo

Guinée Equatoriale

Teodorín Obiang, l'enfant pourri gâté

Teodorín Obiang, l'enfant pourri gâté

Politique

La Françafrique version Sarkozy

La Françafrique version Sarkozy

Héritier

Le monde selon Obiang fils, entre Lamborghini et escort-girls (2/2)

Le monde selon Obiang fils, entre Lamborghini et escort-girls (2/2)

Charles Taylor

Portrait

Leymah Gbowee, la Libérienne qui chassa Charles Taylor

Leymah Gbowee, la Libérienne qui chassa Charles Taylor

géopolitique

Les rébellions à l'assaut des Etats

Les rébellions à l'assaut des Etats

Coupé Décalé

Top 10 des losers en 2012

Top 10 des losers en 2012

Liberia

AFP

Un homme accusé de torture pendant la guerre civile au Liberia menacé de procès en France

Un homme accusé de torture pendant la guerre civile au Liberia menacé de procès en France

AFP

Le Liberia sollicite Washington pour enquêter sur des morts mystérieuses

Le Liberia sollicite Washington pour enquêter sur des morts mystérieuses

AFP

Le Liberia abandonne les poursuites contre le fils de l'ex-présidente Sirleaf

Le Liberia abandonne les poursuites contre le fils de l'ex-présidente Sirleaf