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Head in Hands, by Alex E. Proimos via Flickr CC
Head in Hands, by Alex E. Proimos via Flickr CC

Et les perdants de l'intervention militaire en Libye sont...

La partie n'est pas finie en Libye, mais déjà on peut dresser la liste des cinq plus grands perdants de l'intervention militaire de la coalition contre le Guide libyen.

C’est trop facile de dire que Barack Obama est le grand perdant depuis le lancement des opérations contre le régime de Kadhafi en Libye. Et ce n’est pas vrai. L’administration Obama a mal géré de nombreux éléments de la crise, mais rien de ce qu’elle a mal fait jusqu’à présent n’est irréversible, et ses efforts pour atteindre des objectifs simples comme imposer une zone d’exclusion aérienne et contenir Kadhafi ont été efficaces.

En outre, quelles que puissent être les critiques à l’égard d’Obama, on ne peut nier que ses intentions aient été défendables et valables: en effet, vouloir anticiper une catastrophe humanitaire par le biais de mécanismes multilatéraux était un objectif à la fois louable et responsable. Pour l’instant, le véritable défi est dans l’exécution... bien qu’il apparaisse clairement que les risques demeurent élevés, et que si cette opération devait déboucher sur une implication prolongée des États-Unis, des coûts inacceptables, une impasse sur le terrain qui maintiendrait Kadhafi au pouvoir ou l’instauration d’un nouveau gouvernement qui finirait par s’avérer aussi mauvais, voire pire pour les intérêts américains que son prédécesseur, alors il nous faudrait réviser notre liste.

En attendant, à ce stade de la partie, les cinq plus grands perdants associés à l’action militaire-machin-truc (voir la formule alambiquée de Jay Carney [porte-parole de la Maison Blanche critiqué pour son refus de qualifier l’intervention de «guerre», préférant le terme «d’action limitée dans le temps et en envergure», ndt]) sont:

5. Kadhafi

Bien que le peuple libyen ne figure pour l’instant qu’à la cinquième place des bénéficiaires dans notre liste des gagnants  (car l’issue des combats est encore très incertaine) Kadhafi n’est que le perdant numéro cinq de l’attaque militaire internationale majeure contre son régime —parce qu’on ne sait pas encore comment tout cela va se terminer pour lui. L’ONU ayant promis de ne pas poser un pied botté sur le terrain, le mandat de Kadhafi pourrait encore s’avérer bien long et à moins d’une frappe de missile «heureuse» ou d’une amélioration significative de l’efficacité des forces d’opposition, une impasse dans laquelle il garderait un pouvoir considérable sur d’importantes parties du territoire libyen est très sérieusement envisageable. L’autre alternative éventuellement acceptable serait l’exil et la perspective de vivre avec des milliards de dollars et toutes les infirmières ukrainiennes qu’il pourra se payer (ça fait beaucoup).

Donc, tandis que les forces militaires les plus évoluées du monde travaillent contre lui, pour l’instant Mouammar s’accroche encore à l’espoir de lendemains qui chantent —ou de lendemains tout court— ce qui pourrait s’avérer une issue très décevante du point de vue politique pour certains de ses principaux adversaires internationaux. Ceci dit, je parie qu’il ne restera pas à la tête de la Libye et quoiqu’il advienne, toutes ses tentatives de redorer son blason au cours des cinq dernières années ont été anéanties; le voilà de nouveau, et pour toujours, relégué au rang bien mérité de paria fou.

4. L’Otan

Si les forces sur le terrain ont été d’une admirable efficacité, les premiers jours, les opérations politiques de l’alliance n’ont rien eu de reluisant. L’alliance militaire la plus importante, la plus puissante, la plus expérimentée et la mieux équipée du monde dispose de tous les jouets dont une coalition en pleine maturité peut rêver, mais il semblerait que quelqu’un a égaré le manuel d’instructions nécessaire à la bonne mise en place d’une structure de commandement. Dès l’instant où l’engagement a été décidé, les désaccords ont fusé sur qui commande, les objectifs, les tactiques, les bases, le partage des tâches —à peu près tout ce sur quoi de soi-disant amis peuvent se crêper le chignon. Si les attaques menées par l’Otan ont apparemment été efficaces, rien n’assure qu’à long terme elles rendent la région plus sûre.

En outre, et c’est bien plus ennuyeux, elles ont mis au jour de vrais problèmes dans la capacité de l’alliance à travailler en groupe sur le genre de conflits auxquels elle aura probablement de plus en plus à faire face dans un avenir proche. L’apparente décision, au bout d’une semaine de crise, d’instaurer clairement le commandement de l’Otan aide considérablement les choses… Mais le temps qu’il a fallu pour y arriver met aussi en exergue le genre de failles dont souffrent les pays participants. Tout cela sera oublié à la fin de l’histoire, mais en attendant, la réticence de pays comme l’Allemagne et la Turquie à participer à ce type d’engagement pourrait rester forte pendant un bon moment.

3. La Ligue arabe

Non qu’elle ait bénéficié d’une grande crédibilité au départ —ni qu’on en ait attendu grand-chose en matière de promotion de la démocratie ou même des droits humains de base— mais la Ligue arabe, au moins durant les premiers jours de cette opération, a quasiment accompli l’impossible en réussissant à diminuer encore davantage son aura de force du bien dans la région, par son incapacité à tenir sa promesse opportune de jouer un rôle clé pour contenir Kadhafi. Ceci dit, elle peut réparer les dégâts en augmentant son engagement en hommes et matériel pour la mission —et l’annonce bienvenue faite le 25 mars d’une aide des Etats-Unis étaie l’engagement des Qataris de façon significative— mais de nombreux membres de la coalition qui ont réagi en prenant ces promesses en compte sont absolument furieux de voir que tant de membres de la Ligue s’avèrent être «tout keffieh et zéro dromadaire» (référence à la vieille expression texane qui, pour parler des cow-boys amateurs, dit qu’ils sont «tout chapeau et zéro bétail», pour ceux d’entre vous qui se demandaient ce que je voulais dire).

2. Le multilatéralisme

Quand on considère les points 3 et 4 ci-dessus, comment ne pas s’inquiéter à l’idée qu’à l’aube de ce qui pourrait bien être une nouvelle ère des relations internationales, une idée fondamentale a été retardée par une exécution brouillonne. Dans le sillage de la débâcle irakienne, l’Amérique et le monde étaient assez motivés par l’idée de se distancer des laides injustices d’une planète dirigée par une superpuissance, dominée par des États-Unis persuadés de tout pouvoir faire tout seuls. La seule alternative était un meilleur partage des responsabilités pour la prise de décisions et la résolution de problèmes dans le champ des difficultés mondiales.

La bonne volonté d’Obama d’adopter cette nouvelle approche dès la vraie première crise inopinée de sa présidence est bienvenue, et c’était même la bonne chose à faire, mais elle pourrait causer davantage de dégâts que de résultats positifs si au final les critiques décrétaient que nous avons fait ce qu’il fallait, mais de travers. Si le message envoyé par le multilatéralisme est qu’il est lent, désorganisé, cher ou nuisible politiquement, il n’en sera que plus difficile de se gagner des alliés à l’avenir, tandis qu’aux États-Unis, les unilatéralistes auront un bon argument la prochaine fois qu’ils voudront taper sur quelqu’un sans se soucier de la bénédiction de la communauté internationale.

1. La cohérence

Heureusement que William Safire, journaliste au New York Times et redoutable amoureux des mots et de leur sens est mort, parce que les communiqués de presse de la Maison Blanche sur cette crise l’auraient tué. Passons sur la qualification du conflit libyen hâtive et limite cohérente par le très pro et capable Jay Carney, cité dans cet article. On peut aussi se tourner vers Ben Rhodes [le conseiller adjoint pour la sécurité nationale du président Obama, ndt], et sa définition pas franchement claire de la volonté des États-Unis de chercher un changement de régime (ou pas) citée dans un post cette semaine. Ou encore, vers l’intervention du conseiller adjoint en sécurité nationale Denis McDonough sur PBS NewsHour, ainsi décrite par Jennifer Rubin, du Washington Post:

«On lui a posé des questions. Il a répondu. Et au final on n’avait aucune idée de ce qu’il avait dit.»

(À l’attention de nos lecteurs internationaux, permettez-moi de préciser que le Washington Post n’est pas considéré comme un porte-parole du Parti républicain cinglé et de droite).

Enfin, puisqu’on parle de républicains cinglés, ils ne sont pas non plus à l’abri de la maladie qui frappe Washington en ce moment. Prenez Newt Gingrich, qui a peut-être fini par planter un pieu en plein cœur de ses chances déjà minces d’être un candidat crédible pour les présidentielles en proposant deux points de vue complètement contradictoires sur l’intervention en Libye en l’espace de deux semaines (bien que sa position innovante «le patriotisme excuse l’infidélité» —aussi connue sous la variante «c’est la faute au drapeau» servant à tromper votre épouse atteinte de cancer— va probablement lui faire gagner quelques voix masculines s’il se présente).

C’est un peu comme si les fondements de la politique étrangère actuelle des États-Unis obéissaient à la troisième loi du mouvement de Newton, et suggérait que pour chaque principe directeur de nos actes il y a un principe égal et opposé auquel nous adhérerions tout autant. Nous dirigeons et nous ne dirigeons pas. Nous sommes pour un changement de régime et nous sommes contre. Nous sommes pour la démocratie dans certains endroits mais pas dans d’autres.

Pour ceux qui ont besoin de se rassurer, il reste l’avis de F. Scott Fitzgerald selon qui «on reconnaît une intelligence supérieure à la capacité de son cerveau à soutenir deux idées opposées en même temps, tout en conservant la capacité de fonctionner». Ceux qu’inquiète ce début de mode du double langage ont pour eux le fait que Fitzgerald ait fait cette observation dans un essai intitulé La fêlure.

David Rothkopf

Traduit par Bérengère Viennot

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Les articles signés Foreign Policy ont d'abord été publiés en anglais sur le site Foreign Policy, magazine en ligne américain de Slate Group, spécialisé dans les affaires étrangères et l'économie.

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