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La mosquée de Paris, by dalbera via Flickr CC
La mosquée de Paris, by dalbera via Flickr CC

Quand la France flirte avec l'islamophobie

Pourquoi un débat français sur la laïcité et l'islam? Vu d'Alger, il s'agit surtout d'un prétexte qui masque une islamophobie montante.

L'islam? Combien de divisions? aurait demandé Staline, le plus radical de la branche laïque mondiale. Un milliard et demi au dernier recensement, sans y ajouter les récentes conversions ou y soustraire les derniers morts de l'actualité religieuse. Et en France? 4 millions selon les estimations sérieuses, 8 millions selon l'extrême droite. Soit de 8 à 11% de la population, cet écart donnant d'emblée l'orientation du problème. Car c'est un problème, et le débat controversé sur la laïcité organisé le 5 avril par l’UMP, le parti du président Sarkozy, est censé en être le cadre à défaut de la solution, même si les arrière-pensées sont aussi nombreuses que les psaumes du Coran et versets de la Bible réunis.

La Grande Mosquée de Paris a déjà décliné l'invitation à cette rencontre, assimilée «à un débat sur l’Islam» selon le recteur, «de nature politique qui alimente un fort sentiment de stigmatisation». Les musulmans sont-ils paranos? Peut-être, mais la dernière idée lumineuse de l'UMP, obliger les mosquées de France à faire les prêches en français, montre bien qu'il ne s'agit plus de laïcité mais de «castration organisée». Comme si l'on demandait aux curés d'églises françaises de donner la messe en anglais par souci d'universalité. Cette proposition ridicule —vite retirée par le ministre français des Cultes— est un relent de ces pratiques finalement contraires à la laïcité, comme l'utilisation par l'UMP de la religion à des fins politiques. Que faire de l'islam en France? Que faire surtout des musulmans de France, considérés comme des citoyens en «rupture» qui tournent le dos à la République en orientant leur face vers La Mecque lointaine? Un an après le débat sur l'identité nationale et quelques mois après l'adoption d'une loi sur le voile intégral, l'UMP propose une nouvelle rencontre. Pourquoi? Pour tenter d'apprendre aux musulmans à vivre en français, tout en rassurant les Français qui ne parlent pas arabe.

Les chiens sacrés de faïence

A Alger, sur ses hauteurs qui plongent directement dans la mer, la Basilique de Notre-Dame d'Afrique est respectueusement surnommée «Madame l'Afrique» par la population musulmane. On y dit encore des messes, en latin, et les quelques chrétiens de la ville s'y réunissent régulièrement pour se recueillir, en français ou en algérien —des langues vivantes. Construite en 1872 sur le modèle de sa sœur jumelle, la Basilique de Notre-Dame de la Garde à Marseille qui lui fait face à 800 kilomètres au Nord, Madame l'Afrique trône et domine Alger, sans complexe, héritage consensuel de la colonisation.

Un fidèle, debout sur l'inimitable parvis-balcon qui donne sur la mer, explique, les yeux au loin:

«Quand la Grande Mosquée de Marseille [projet lancé il y a dix ans et qui n'est pas prêt de voir le jour, ndlr] sera construite, on aura enfin, face à face, une basilique en terre d'islam et une mosquée en terre de chrétienté, qui se regarderont, l'eau entre elles jouant le rôle de miroir.»

Oui mais. Tout n'est pas aussi (im)parfait. Beaucoup d'Algériens sont d'ailleurs plus ou moins d'accord, il est très difficile de construire des églises en Algérie; il est donc normal que ce soit aussi difficile de construire des mosquées en France. L'islam pose aussi un problème chez nombre d'Algériens d'Algérie, en ce sens où les nouveaux adeptes de la religion sont aussi fermés qu'une vierge de 40 ans par une lecture rigoriste, conquérante et exclusive. Après 200.000 morts dans un sanglant face-à-face islamistes-régime et la société au milieu, personne ne pourra expliquer aux Algériens que la religion à petites doses est la seule posologie raisonnable. Ils le savent déjà.

Les religions dans l'espace

A l'origine de l'islam, il y a un carré, la Kaâba, temple noir de La Mecque sainte, d'où sont parties les conquêtes et où a démarré l'expansion de la première religion au monde, selon le récent aveu de l'Osservatore Romano, organe officiel du Vatican:

«Pour la première fois dans l'histoire, nous ne sommes plus en tête: les musulmans nous ont dépassés», a avoué cette semaine Mgr Vittorio Formenti.

19,2% de musulmans dans le monde contre 17,4% de catholiques. Mais pas de panique: ajoutés aux protestants, orthodoxes et anglicans, la religion chrétienne —au sens large— reste la première. En fait, Kaâba signifie littéralement «le cube». Mais pour les Français, il s'agit de le mettre à plat pour en faire un carré, et l'intégrer dans l'Hexagone. Ce problème d'apparence géométrique est en réalité un problème de nombre. Une lapalissade bien française: s'ils n'étaient pas aussi nombreux en France, les musulmans ne poseraient pas autant de problèmes. Même si l'islam, il faut bien le reconnaître, est une des religions, avec le bouddhisme, qui engendre le plus de violence.

Beaucoup d'attentats terroristes sont attribués aux islamistes, donc à l'islam. Mais si l'on comptabilise, comme tente de le faire la fédération Mosaic (qui regroupe les laïques musulmans de France), les attentats islamistes en France et les actes anti-musulmans commis par des Français dans leur propre pays, on s'aperçoit que les seconds sont les plus nombreux. Sauf que les premiers sont les plus meurtriers. Match nul? Probablement.

Quel est donc le problème? A part la prière dans les rues —cause mosquées introuvables— quel est en réalité le grief retenu contre cette communauté? Les valeurs. Libertés, démocratie et droits de l'Homme, avec, au centre, la femme. Tout le débat pourrait se résumer ici: l'Occident veut déshabiller la femme, l'Orient veut la rhabiller. Ce qui explique peut-être qu'une femme, Marine Le Pen, farouche opposante aux musulmans de France, est donnée aux derniers sondages favorite à la présidentielle française de 2012. Encore un problème spatial: qui marche sur les terres de qui?

Le retour du bâton de pèlerin

Barbès, Xe arrondissement de Paris. Dans ce quartier à haute teneur en immigrés musulmans —Maghreb et Afrique noire essentiellement— un graffiti anonyme s'était rendu célèbre il y a vingt ans déjà, annonçant la couleur:

«On vous a rendu Bab El Oued [quartier populaire d'Alger], rendez-nous Barbès»

Le lendemain, un autre graffiti, tout aussi anonyme, lui répondait:

«Pas avant 132 ans»

Cette durée correspondant à la période de la colonisation française en Algérie. Petit calcul: il resterait environ un siècle d'affrontements sur le sol français pour solde tout compte. En attendant, il faut se pencher sur la relation entre la religion et la monomanie —qui n'est pas forcément là où on l'attend. En France, les Français «de souche» sont chrétiens à 99%, les autres religions n'étant représentées que par des immigrants, arrivés plus ou moins tardivement dans l'Hexagone. Dans le monde arabe et le Maghreb en revanche, la population de souche est musulmane, chrétienne, juive, druze, voire assyro-chaldéenne.

Cherchez l'ouverture.

Chawki Amari

 

Débat sur l'islam et la laïcité en France, lire aussi:

- Porter l'étoile verte? Et puis quoi encore par Akram Belkaïd

- De l'identité à l'islam, les étranges débats français par Venance Konan


Chawki Amari

Journaliste et écrivain algérien, chroniqueur du quotidien El Watan. Il a publié de nombreux ouvrages, notamment Nationale 1.

Ses derniers articles: L'effroyable tragédie du FLN  Cinq parallèles entre le Mali et l'Afghanistan  Bigeard, le tortionnaire vu comme un résistant 

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