mis à jour le

Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo à Yamoussoukro en 2006. Reuters/Luc Gnago
Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo à Yamoussoukro en 2006. Reuters/Luc Gnago

«Gbagbo et Ouattara doivent tous les deux renoncer au pouvoir»

En Côte d’Ivoire, un risque de guerre civile à la libérienne ou à la rwandaise n’est pas à exclure, estime l’écrivain Véronique Tadjo.

SlateAfrique - Vous étiez à Abidjan le 28 novembre lors du second tour de l’élection présidentielle. Comment avez-vous vécu les événements? Comment expliquez vous que la Côte d’Ivoire ait basculé dans la violence?

Véronique Tadjo* - Le second tour a commencé dans un optimisme relatif. Tout s’était bien passé avant et on se disait que le miracle allait peut-être avoir lieu. Mais, tout cela était quand même teinté d’inquiétude parce que nous étions très conscients que la véritable élection se déroulerait au second tour. Malheureusement, nos pires craintes se sont réalisées. Le processus électoral mis en place avec l’aide de l’Onuci (Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire) est complètement sorti de ses rails et a donné exactement l’effet contraire de ce que l’on attendait: la guerre au lieu de la paix.

Et pourtant le drame aurait pu être évité si seulement, au moment où il était devenu évident que la Commission électorale indépendante (CEI) était bloquée, Choi, le représentant de l’Onuci, ainsi que le Rassemblement des Houphouëtistes (RHDP), c’est-à-dire Ouattara et Bédié, avaient refusé de cautionner le sabotage du travail de la CEI par les alliés de Gbagbo. Il aurait fallu agir vite et d’une main de fer. Mais cela n’a pas été fait et le contentieux électoral a vu le jour.

La suite, on la connaît trop bien pour que j’y revienne. La question maintenant, c’est: comment déloger Gbagbo? Après les nombreuses médiations sans succès, les sanctions pour asphyxier le régime de Gbagbo, quatre mois après, celui-ci est toujours là, rivé à son fauteuil. La violence s’est donc imposée comme réponse à l’échec électoral.

SlateAfrique - Que devait faire la communauté internationale? Accepter un recompte des voix ou imposer par la force l’accession au pouvoir d’Alassane Ouattara, le candidat dont elle avait reconnu l’élection?

V.T. - La communauté internationale aurait dû reconnaître son erreur depuis longtemps et réparer la grande injustice faite au peuple ivoirien. Dans la vie de tous les jours, on prend acte de ce qui n’a pas marché et on rectifie le tir. Il est inutile de continuer à masquer la réalité. La politique doit pouvoir répondre aux problèmes qui se posent dans notre vie. Mais si cette responsabilité commune n’est reconnue ni par la communauté internationale, ni par les parties ivoiriennes impliquées, alors nous ne pouvons pas avancer. Il y a blocage et chacun reste campé sur ses positions, mêmes si celles-ci sont devenues caduques. Dans ces conditions, utiliser la force ne peut se justifier en aucun cas puisque les problèmes de fond qui nous ont amenés à l’impasse n’ont pas été abordés. Dans le même sens, pour envisager l’option du recompte des voix, il aurait fallu d’abord pouvoir admettre l’échec électoral.

SlateAfrique - Comment sortir de l’impasse? Une intervention militaire internationale est-elle souhaitable?

V.T. - Une intervention militaire internationale risquerait d’entraîner un bain de sang. Le camp Gbagbo est prêt à tout pour résister. Voyez la mobilisation des jeunes patriotes par Charles Blé Goudé (ministre de la Jeunesse de Laurent Gbagbo). Il fait entrer les civils dans la guerre en s’appuyant sur leur fibre nationaliste attisée au maximum par les médias d’Etat. Gbagbo a le soutien d’une partie non négligeable de la population puisqu’il était en tête du scrutin au premier tour. Le message est donc simple: nous nous battrons jusqu’au bout si nous sommes attaqués de l’extérieur.

SlateAfrique - Que peut faire la communauté internationale? L’embargo économique est-il une bonne solution pour sortir de l’impasse politique?  

V.T. - Les sanctions sont très graves pour la population. En effet, ceux qui sont touchés le plus durement par ces mesures se trouvent principalement dans la classe moyenne et les couches défavorisées. Gbagbo et son entourage s’en sortent finalement assez bien depuis que cela dure puisqu’ils ont les moyens financiers et logistiques de contourner les sanctions. Pendant ce temps là, à cause de l’embargo sanitaire, des gens se meurent faute de médicaments; des sidéens ne peuvent plus continuer leur traitement, des diabétiques non plus et les hôpitaux publics sont en rupture de stock. Les gens bien placés ont accès à de l’argent et ont la possibilité de se faire soigner.

SlateAfrique - Les Nations unies et la force française Licorne doivent-elles s’interposer entre les belligérants?

V.T. - Absolument, c’est essentiel. Et on ne peut que regretter qu’il n’en soit pas ainsi. Les forces onusiennes et la Licorne ne se sont pas montrées très efficaces jusqu’à présent. Sept femmes ont été massacrées en plein jour et devant les caméras du monde entier. Par ailleurs, des tueries ont lieu dans des villes de l’intérieur sans que personne n’intervienne pour les empêcher. On est en droit d’attendre bien plus, surtout lorsque l’on sait que de nombreux soldats assurent la protection de Ouattara et de son entourage retranchés à l’hôtel du Golf d'Abidjan. Néanmoins, il est clair que les forces onusiennes doivent rester en Côte d’Ivoire pour aider à éviter le pire.

SlateAfrique - Après ces mois d’affrontements, Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo ont-ils la légitimité suffisante pour diriger l’ensemble de la Côte d’Ivoire?

V.T. - Hélas, non, aucun des deux ne peut diriger la Côte d’Ivoire dans son ensemble. La fissure est tellement profonde qu’elle a abouti à la guerre. Aujourd’hui, il y a accumulation de la haine. C’est un échec cuisant pour la démocratie. Penser le contraire, c’est se cacher la vérité. A quoi servent des élections, aussi coûteuses soit-elles, si les résultats sont contestés? Pourquoi s’engager dans un processus si on sait que «l’esprit de la loi» ne sera jamais suivi? Aucun des deux protagonistes ne peut sortir indemne de cette tragédie. La majorité des Ivoiriens a perdu confiance en ses leaders.

SlateAfrique - Pour sortir de la crise, des observateurs préconisent le départ de Gbagbo et la constitution d’un gouvernement d’union nationale qui inclurait des éléments modérés du Front populaire ivoirien (FPI). Cette hypothèse vous paraît-elle souhaitable et envisageable?

V.T. - Un gouvernement d’union nationale ne ferait que reculer l’échéance. Quand on voit ce que cela a donné dans d’autres pays africains, on s’aperçoit que cette solution donne plutôt à des pouvoirs moribonds une autre possibilité de prolonger leur espérance de vie. Au Zimbabwe, cela a bien profité à Robert Mugabe car l’armée lui est restée fidèle et il tient l’appareil gouvernemental.

Même chose au Kenya où, après les violences qui ont suivi une élection présidentielle très contestée, ils ont opté pour un gouvernement d’union nationale. La situation reste très explosive. Il faut plutôt que les deux belligérants quittent la scène politique et emportent avec eux une bonne partie de leur entourage. Il faut que tous ces gens là cessent de nuire à la Côte d’Ivoire.

SlateAfrique - La Côte d’Ivoire n’a-t-elle pas déjà basculé dans la guerre civile?

V.T. - Oui, on peut le dire. Mais ce qui est doublement préoccupant dans ce conflit, c’est que de nouveaux éléments apparaissent. Le «Commando invisible», qui est resté pendant un moment une faction armée à la composition mystérieuse, s’est maintenant dévoilé. Mais les intentions de ses chefs ne sont pas claires. Sont-ils tout simplement anti-Gbagbo ou se battent-ils pour Ouattara?

SlateAfrique - Une partition de la Côte d’Ivoire est-elle envisageable? Est-elle souhaitable?

V.T. - La Côte d’Ivoire ne doit pas être découpée en morceaux. Personne ne veut gouverner un pays tronqué. Cela ne règlera pas les problèmes. Le Sud-Soudan, qui a récemment choisi la partition, n’en a pas pour autant fini avec la rébellion et les attaques sur son territoire. Il est inquiétant de constater que dès qu’il y a des problèmes de cohabitation, on émet l’idée d’une partition. Y a-t-il des intérêts commerciaux qui se cachent derrière une telle proposition? Pendant des décennies, les Ivoiriens ont vécu ensemble d’une manière assez harmonieuse. C’est cela qu’il faut garder en tête, c’est cela vers quoi il faut tendre.

SlateAfrique - Nombre d’observateurs dénoncent des risques d’évolution à la rwandaise. Vous avez étudié de près le drame rwandais, pensez-vous qu’il existe des risques de rwandaïsation de la Côte d’Ivoire?

V.T. - Il serait irresponsable de nier les risques d’une rwandaïsation du conflit en Côte d’Ivoire. En effet, on retrouve beaucoup trop de signes avant-coureurs: mainmise sur les médias d’Etat par le régime en place et incitation à la haine, forces onusiennes inopérantes ou absentes, circulation des armes, extrémisme et folie meurtrière.

Cependant, la dynamique sociale de la Côte d’Ivoire n’est pas celle du Rwanda au moment du génocide. Le pays est beaucoup plus divers ethniquement. Mais il faut faire très attention car les déplacements et les regroupements de populations changent les données démographiques. En revanche, il est plus probable que l’on s’achemine vers un conflit de type libérien avec des chefs de guerre défendant farouchement leurs territoires et rendant le pays ingouvernable.

SlateAfrique - Comment éviter le pire?

V.T. - Il faut qu’un cessez-le-feu soit déclaré des deux côtés, immédiatement. Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara doivent tous les deux renoncer au pouvoir. Une médiation interne à la Côte d’Ivoire aura pour mission d’identifier un président ou une présidente intérimaire qui formera son gouvernement qui aura le soutien de la communauté internationale, de l'Union africaine et de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’ouest (Cédéao). Pour stabiliser la situation, on s’appuiera sur des secteurs entiers de la population qui ne partagent pas cet antagonisme virulent entre les protagonistes et qui se sont retrouvés pris malgré eux dans ce conflit.

Propos recueillis par Pierre Cherruau

 

*Véronique Tadjo est écrivain et universitaire ivoirienne. Elle dirige le département de français de l’université du Witwatersrand (Johannesburg).

Pierre Cherruau

Pierre Cherruau a publié de nombreux ouvrages, notamment Chien fantôme (Ed. Après la Lune), Nena Rastaquouère (Seuil), Togo or not Togo (Ed. Baleine), La Vacance du Petit Nicolas (Ed. Baleine) et Dakar Paris, L'Afrique à petite foulée (Ed. Calmann-Lévy).

Ses derniers articles: Comment lutter contre le djihad au Mali  Au Mali, la guerre n'est pas finie  C'est fini les hiérarchies! 

crise politique

Incertitudes

L'Algérie connaîtra peut-être son printemps arabe après Bouteflika

L'Algérie connaîtra peut-être son printemps arabe après Bouteflika

Tunisie

Ali Laarayedh et sa recette magique pour résoudre la crise tunisienne

Ali Laarayedh et sa recette magique pour résoudre la crise tunisienne

Tunisie

Larayedh ne résout pas la crise

Larayedh ne résout pas la crise

Union africaine

Politique

Obama moque les chefs d'Etats africains qui s'accrochent au pouvoir

Obama moque les chefs d'Etats africains qui s'accrochent au pouvoir

Politique

La crise au Burundi illustre la victoire de la société civile

La crise au Burundi illustre la victoire de la société civile

Méditerranée

Le pesant silence des dirigeants africains sur les naufrages de migrants

Le pesant silence des dirigeants africains sur les naufrages de migrants

guerre civile

Guerre civile

Le Soudan du Sud, un pays bientôt placé sous mandat de l'ONU?

Le Soudan du Sud, un pays bientôt placé sous mandat de l'ONU?

Géopolitique

L'ONU a foiré la résolution du conflit libyen dans les grandes largeurs

L'ONU a foiré la résolution du conflit libyen dans les grandes largeurs

Chaos

Fermée depuis 18 mois, l'école reprend à Benghazi en Libye

Fermée depuis 18 mois, l'école reprend à Benghazi en Libye