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Le portrait de Kadhafi sur un site militaire bombardé par la coalition près de Tripoli, le 22 mars. Reuters/Zohra Bensemra
Le portrait de Kadhafi sur un site militaire bombardé par la coalition près de Tripoli, le 22 mars. Reuters/Zohra Bensemra

Cinq raisons de ne pas hurler avec les anti-Kadhafi

A écouter les dirigeants occidentaux, Kadhafi était le diable personnifié. On le noircissait d’autant plus volontiers qu’il fallait l’abattre rapidement. Voici pourquoi il ne fallait pas succomber à cette tendance.

Mise à jour du 20 octobre 2012: Il y a un an jour pour jour, l'ex-guide lybien Mouammar Kadhafi est mort, peu après avoir été capturé à Syrte, son fief  et sa ville natale.

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Première raison: les dirigeants occidentaux dénaturent les droits de l’homme en prétendant les défendre

C’est la position de Rony Brauman. L’ex-président de Médecins sans frontière dénonce l’opération internationale contre le régime Kadhafi car, selon lui, les principes moraux brandis par les dirigeants occidentaux ne sont que des prétextes. Si l’on veut défendre les droits de l’homme et chasser les dictateurs de la planète, alors pourquoi avoir attendu 42 ans avec Kadhafi? Et pourquoi ne pas commencer avec le Soudanais Omar El Béchir, pourchassé par la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes contre l’humanité, ou avec l'Ivoirien Laurent Gbagbo qui mène son pays à la guerre civile, voire avec Issaias Afwerki qui a transformé l’Erythrée en une autre Corée du Nord. Et, tiens, pourquoi pas nous débarrasser aussi des dirigeants nord-coréens, et du Biélorusse Alexandre Loukachenko, surnommé «Pinochenko» par ses compatriotes.

Avec la Libye, nous sommes en pleine démonstration d’hypocrisie. La démocratie, les droits de l’homme, la défense de «paisibles civils» ne sont que des prétextes à une intervention dictée par d’autres considérations, beaucoup moins avouables. Brandir la bannière des droits de l’homme pour justifier une attaque contre Kadhafi est donc non seulement peu crédible, mais aussi dangereux, car on accrédite l’idée que ces principes sont à géométrie variable, et, de ce fait, on les dénature aux yeux de l’opinion internationale. Qui demain pourra croire Sarkozy lorsqu’il prétendra défendre les droits de l’homme?

Deuxième raison: la campagne de Libye préfigure la campagne de Sarkozy

Le président Nicolas Sarkozy a-t-il lancé l’aviation française dans la bataille libyenne pour préparer sa réélection en 2012? Après le double fiasco diplomatique en Tunisie et en Egypte, Paris ne voulait pas apparaître une fois de plus à la traîne de l’Histoire, voire dans le camp des méchants. Avec des ministres pris la main dans le pot de confiture en Tunisie et en Egypte, avec une diplomatie errante, tiraillée entre les ordres venus de l’Elysée et ceux du ministère des Affaires étrangères, la France a fait piètre figure. Certes, Le ridicule ne tue pas, mais il peut contribuer à faire perdre une élection. Il fallait donc réagir.

Et Nicolas Sarkozy a sauté sur l’occasion libyenne comme on saute sur une journée de soldes supplémentaires. C’est tout juste s’il n’a pas lui-même accroché les bombes aux ailes des avions français! A un an de l’élection présidentielle et alors que le Front national (extrême-droite) taille des croupières à l’UMP (le parti présidentiel), rien ne vaut une bonne petite démonstration de force pour convaincre l’électorat que l’on est l’homme de la situation face aux dangers qui menacent le monde! «Sarkozy s’en va en guerre contre Kadhafi», voilà le feuilleton qui devrait rehausser l’image du président français. Il n’est pas certain que le pari soit gagné d’avance.

Troisième raison: on ne crache pas sur quelqu’un qui vous a tendu la main

Demandez à Nelson Mandela ou Jacob Zuma ce qu’ils pensent de Mouammar Kadhafi, et vous entendrez un discours mesuré. Il ne faut pas oublier qu’au temps ou l’ANC était considéré comme un groupuscule terroriste, ses dirigeants ont été aidés par le Guide libyen. Pendant ce temps, les Européens se pinçaient le nez dès qu’un Sud-Africain approchait d’un peu trop près. Des liens se sont forgés dans l’adversité entre Libyens et Sud-Africains mais aussi entre le Guide et une foule d’opposants, de présidents, de ministres venus des quatre coins du continent.

Mouammar Kadhafi a dépensé des milliards de dollars dans des projets de coopération économique sur le Continent. Ecoles, routes, hôpitaux. Il a «cadeauté» des centaines de ministres, et s’est créé un solide réseau d’affidés. Là où les occidentaux sortaient leurs calculettes et brandissaient le Fonds monétaire international (FMI), le Guide sortait son chéquier. Etait-il sincère dans son désir d’unifier l’Afrique? Ou simplement mégalomane? Peu importe, en dépit de ses frasques et de ses lubies, il a aidé ses amis. Les dirigeants africains n’ont donc aucune raison d’aboyer avec la meute. Et ce d’autant que beaucoup de ces dirigeants redoutent «la contagion du printemps arabe».

Quatrième raison: ne pas mépriser l’Afrique

Comme le déplore l’une des rares intellectuelles africaines audibles hors du continent, l’historienne Adame Ba Konaré, les occidentaux n’ont pas demandé l’avis des pays africains avant d’engager le feu en Libye. Jean Ping, le président de la commission de l’Union africaine (UA), n’a d’ailleurs pas assisté à la conférence de Paris le 19 mars 2011, faisant savoir publiquement qu’il ne voyait pas pourquoi il irait poser pour les photographes dès lors qu’on méprisait la position de l’UA (qui est contre les frappes aériennes sur la Libye).

La France, l’Europe et les Etats-Unis se soucient au plus haut point des pays arabes, mais ignorent superbement l’Afrique. Son poids reste infime sur la balance des relations internationales et on ne voit pas comment cela pourrait changer dès lors qu’on l’écarte sur un dossier aussi important. Adame Ba Konaré redoute aussi une forme de recolonisation de l’Afrique à travers cette opération militaire. On se dirige vers une partition de la Libye mais aussi vers une nouvelle fracture entre l’Afrique blanche et l’Afrique noire. 

Cinquième raison: au Sud, il est parfois perçu comme une «grande gueule sympathique»

Il leur a tout fait… De l’inavouable, à l’horrible, en passant par les farces moqueuses. Attentats de Lockerbie en 1986 et du vol d’UTA en 1989. Financement des réseaux terroristes en Europe (IRA et Brigades rouges). Discours enflammés contre la colonisation ou en en faveur de l’islamisation de l’Europe.

Kadhafi, le «trublion», est un personnage excentrique qui effraie les occidentaux tout autant qu’il fascine les opinions publiques du Sud. Ses coups de colère ou ses propos venimeux à l’encontre des dirigeants du monde amusent les opinions arabes et africaines tout autant qu’elles agacent les opinions du Nord.

Kadhafi, pense-t-on à Dakar ou Alger, dit tout haut ce que les gens pensent tout bas. On peut critiquer ses buts, ses objectifs, ses méthodes, mais on critique rarement son verbe. Ce n’est sans doute pas très politiquement correct de le dire mais l’opinion publique africaine préfère de loin un trublion comme Kadhafi, à un Paul Biya ou un Blaise Compaoré. La différence? Presque aucune. Tous ont le même mépris du peuple mais Kadhafi au moins donne le change avec panache. Il agite sans cesse l’opinion internationale, tandis que les autres se contentent de régner.

Alex Ndiaye

Du même auteur, lire aussi: Kadhafi, c'est lui qui en parle le mieux

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Alex Ndiaye. Journaliste sénégalais, il est spécialiste de l'Afrique.

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