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Les treillis en dérapage incontrôlé au Burkina
Un fait divers qui dégénère en scènes de guérilla, dans la nuit du 22 au 23 mars 2011 à Ouagadougou. Une fois de plus, la population accuse les militaires de ce dangereux climat.
22 mars 2011. 22 heures. Des coups de feu se font entendre dans la capitale du Burkina Faso. Les Ouagalais se calfeutrent et reconstituent, à l’oreille et par téléphones cellulaires, le parcours des fusillades. Tout au long de la nuit, celles-ci se déportent du quartier Gounghin vers l’Est de la ville. Sixième coup d’Etat de la Haute-Volta indépendante ou bisbilles incontrôlées auxquelles les forces de l’ordre ont habitué les Burkinabè?
La veille, la Justice condamnait quatre militaires à 15 mois de prison ferme dans une affaire de mœurs. Un cinquième écopait de 18 mois, ce qui implique sa radiation immédiate des corps habillés. Un mois plus tôt, ces condamnés avaient vengé l’honneur bafoué d’un des leurs en organisant, dans le quartier Pissy, une ratonnade sur un civil jugé trop entreprenant avec l’une de «leurs» femmes.
Ce 22 mars, à l’annonce du verdict, un noyau d’hommes en tenue conteste la justice. Dans le camp Sangoulé Lamizana de Gounghin, les apprentis mutins dévalisent le dépôt d’armes et sortent dans la rue. La manifestation improvisée se transforme en une casse orchestrée par quelques dizaines de soldats. Sur le chemin d’un autre camp militaire, le camp Guillaume Ouédraogo, les contestataires pillent les stations-service, brûlent des pneus dans les rues, incendient des boutiques, et détruisent des feux tricolores. Comble de l’impudence, ils attaquent le domicile de Yéro Boly, le ministre de la Défense. Un civil…
Les tirs nourris continuent jusqu’au petit matin, provoquant la panique aux alentours des camps militaires. Des commerçants dressent des barricades pour protéger leurs biens.
Dans la matinée du 23 mars, la capitale burkinabè tourne au ralenti. Les banques, les commerces et les marchés sont fermés. La circulation est inhabituellement fluide…
Vieux réflexes en treillis
Ce n’est pas la première fois que les forces de l’ordre burkinabè se muent en «forces du désordre». Même après vingt ans de IVe République, les réflexes d’Etat d’exception ont la vie dure. L’Etat de droit est d’autant plus chahuté par les treillis que la hiérarchie militaire fut elle-même maintes fois malmenée au cours de cinq putschs. En 1966, un général –Sangoulé Lamizana– renverse un civil. En 1980, c’est un colonel –Saye Zerbo– qui bouscule le général. En 1982, c’est un médecin-commandant –Jean-Baptiste Ouédraogo– qui déboulonne le colonel. En 1983, c’est un capitaine –Thomas Sankara– qui désarçonne le commandant. En 1987, il devra lui-même céder le pouvoir à son numéro deux, Blaise Compaoré.
En 1998, quand le journaliste Norbert Zongo est assassiné avec trois de ses compagnons, ce sont encore les treillis –ceux de la Garde présidentielle– que la Commission d’enquête indépendante met à l’index. Le journaliste leur reprochait d’avoir «boucané» (brûlé) le chauffeur du frère du président du Faso. Ils ne seront pas jugés dans l’affaire Zongo.
Intouchables militaires? En 2004, on en jugera pourtant quelques-uns pour «tentative de coup d'Etat». A l'ancien ministre de la Défense, le général Kouamé Lougué, il sera reproché plus que de la bienveillance vis-à-vis des apprentis putschistes.
Des scènes de western
Avant-goût des scènes de western vécues ce 22 mars à Ouagadougou, les militaires et les policiers s'opposent du 20 au 21 décembre 2006. Des affrontements au fusil-mitrailleur et à l’arme lourde, en pleine ville, conduisent au report d’un sommet de chefs d’Etat. Bilan officiel: cinq morts et plusieurs blessés.
Tout avait commencé par une altercation banale entre policiers et militaires, à l’entrée d’un concert. La bagarre s’était soldée par la mort d’un soldat. En réaction, les militaires avaient assiégé la ville, s’en prenant aux symboles de la police. Le parc automobile de la «maréchaussée» sera massivement détruit. 600 détenus de la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou seront même remis en liberté par les soldats en colère.
En 2006 comme en 2011, ce sont de banals fait divers qui ont conduit à des scènes de guérillas. Les anecdotes d’abus de pouvoir parsèment le quotidien récent du Burkina Faso, même s’ils ne conduisent pas toujours à l’utilisation de RPG 7 ou de mortier. La culture de l’impunité a fini de convaincre les non-civils qu’ils peuvent être incivils à l’envi. «On a brûlé des gens ici et puis y a rien»: cette phrase résonne encore dans l’esprit de Burkinabè qui ne peuvent s’indigner qu’en silence face à la grande muette.
Climat insurrectionnel
Avec ces nouvelles fusillades, le divorce entre la population et les forces de l’ordre pourrait être consommé, tant le climat est insurrectionnel au Burkina, depuis quelques semaines. C’est bien le comportement des hommes de tenue qui est en cause dans la mort de l’élève Justin Zongo, le 20 février dernier à Koudougou. Les congés anticipés des écoles et la fermeture, jusqu’à nouvel ordre, des universités ont anesthésié les velléités de manifestations. Mais demain? Les policiers, cible principale des contestataires, ont déjà été mis à l’écart de la gestion sécuritaire de cette nouvelle «affaire Zongo». Quelle légitimité les militaires ridiculisés par leurs pillages auront-ils à contrer une foule de jeunes protestataires?
Les regards incrédules se tournent vers des autorités manifestement gênées aux entournures. Le premier des Burkinabè est absent du pays. C’est pourtant lui le chef des armées. Et pas seulement d’un coup de baguette magique protocolaire. Pour les hommes de tenue, il reste un des leurs: le capitaine Blaise Compaoré.
Damien Glez