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Les déplacés maliens se cherchent un nouveau chemin
Selon le HCR, au moins 200 mille personnes sont déplacées, depuis le début du conflit dans le Nord-Mali. Des familles qui construisent une nouvelle vie à Bamako.
Pour la première fois de sa vie, Béchir a découvert la capitale malienne. Avant ce mois d’avril, il n’avait jamais quitté Tombouctou.
De son nord natal, Bamako lui semblait loin. Là-bas, il faisait vivre sa famille grâce à la confection de bijoux et d’objets artisanaux à destination des touristes. Une vie modeste, calme, heureuse.
Ses enfants se rendaient à l’école, à quelques mètres du domicile, sa femme gérait sans difficulté la vie domestique. Tout allait bien pour Béchir.
Aujourd’hui, il vit ici avec sa famille, dans une maison en construction qu’il loue pour 35.000 francs CFA (53 euros) dans un quartier excentré de Bamako.
Installé par terre près de ses outils, dont certains sont les vestiges de son ancienne vie, il essaie en vain de trouver une explication rationnelle à l’invasion de sa ville par les islamistes qui l’ont contraint à l’exil.
«Je suis triste, je ne comprends pas la cause qu’ils défendent. La religion ne doit pas être imposée avec les armes ou par la force. La religion musulmane est une religion tolérante, ouverte», répète-t-il.
La peur au ventre
Les islamistes ne s’en sont jamais pris à sa famille, mais son fils aîné garde des séquelles de cette fuite guidée par la peur. Souvent malade depuis son arrivée dans la capitale malienne, le garçon a été marqué par la fouille musclée du bus dans lequel sa famille avait pris place pour fuir Tombouctou.
Assis à ses côtés, un militaire de l’armée malienne a passé le voyage tétanisé par «la peur de se faire tuer».
Le garçon souffre aussi du manque de ses amis.
«Ceux qui sont restés à Tombouctou ne peuvent plus étudier, les écoles sont fermées», déplore le jeune homme, scolarisé à Bamako comme ses frères, mais peu assidu compte tenu de son état de santé.
Béchir, lui, continue sa production de bijoux artisanaux, sans parvenir à les vendre:
«Je fais beaucoup de choses, mais il n’y a personne pour les acheter, plus de touristes, plus de clients, plus d’argent qui circule.»
Autre difficulté pour Béchir, la barrière de la langue. Il ne parle ni bambara (langue majoritairement parlée à Bamako, ndlr), ni français, mais tamasheq, la langue des Touareg.
Heureusement, la solidarité familiale fonctionne pour pallier ces difficultés et l’absence de dons extérieurs. La belle-mère de Béchir les a, un temps, accueillis chez elle. Mais ils n’étaient pas les seuls à la solliciter. Deux sœurs de l’épouse de Béchir ont elles aussi fui le nord du Mali pour se réfugier à Bamako.
Fatimata a rejoint la capitale le 17 avril, ses huit enfants sous le bras. La jeune femme a joué des coudes pour trouver quelques places dans le bus en partance de Gao. Avant ce grand départ, elle décrit les quinze jours les plus angoissants sa vie, guettant depuis sa fenêtre les allées et venues des groupes armés.
«Ce n’était pas possible de rester là-bas. On avait trop peur, les gens font n’importe quoi», raconte Fatimata, enveloppée dans une volumineuse tunique bleue et blanche.
«Les écoles, les magasins, le marché étaient fermés, les maisons détruites et les affaires volées», poursuit la mère de famille. «On a tout laissé derrière nous.»
C’est une voisine qui veille depuis sur sa maison. Elle lui téléphone régulièrement pour s’assurer qu’elle n’a pas été pillée.
Désormais, il faut repartir à zéro dans la capitale, où la crise économique a mis un frein aux activités. La mère de Fatimata vivait autrefois de la confection d’objets souvenirs qu’elle vendait sur le grand marché touristique de Bamako. Les touristes ont déserté, les revenus aussi.
Départ à zéro
«Avant, je gagnais ma vie grâce à ça, mais les étrangers nous ont quittés, on vit très mal aujourd’hui», regrette la vieille femme.
Comment fait-elle? Elle ne s’étendra pas sur le sujet, «par pudeur» me glisse mon traducteur (la vieille femme ne parle que tamasheq). Dans la famille, tout le monde s’accorde à dire qu’une intervention armée est l’unique solution pour un retour à la stabilité, exceptée Fatimata.
«L’armée n’est pas une solution, ce serait un désastre pour tous les innocents restés là-bas», estime-t-elle. Elle espère un jour retrouver sa maison et ses affaires. Elle pense que, bientôt, elle fera le chemin inverse. Elle en est sûre.
Tous en sont sûrs, comme ces étudiants de Tombouctou. Fati a fui en pirogue avec douze autres personnes. Une semaine de navigation pour rejoindre Bamako et trouver refuge un temps chez une tante, puis dans un petit appartement sans électricité qu’elle partage avec six étudiants. Elle a abandonné ses études de sage-femme.
«Les gens s’affolaient, les parents demandaient aux enfants de ne pas sortir de la maison par peur d’une balle perdue», raconte la jeune femme.
«On a tout laissé dernière nous, on a tout perdu. Pour le moment, je ne peux pas reprendre mes études ici, je n’ai pas les moyens. Je vais attendre la fin du conflit et si les conditions s’améliorent, je retournerai chez moi.»
En attendant, pour ceux qui n’ont pas de familles à Bamako ni les moyens de refaire leur vie à la capitale, des familles d’accueil s’organisent. Alassane prend en charge quatre familles en ce moment, avec beaucoup de difficultés.
«Les dons sont ponctuels, insuffisants. Nous avons un problème pour recenser ces familles et leur statut de déplacés n’est pas encadré. L’état se focalise sur la libération du nord, sur l’armée, mais oublie les déplacés», regrette cet ancien fonctionnaire à la retraite.
«Les islamistes font du mal au monde entier. Ils sont venus avec un islam que l’on ne connait pas. Le notre est tolérant et modéré, ils n’ont pas à nous apprendre comment pratiquer notre islam», déplore quant à lui ce journaliste de Tombouctou installé à Bamako depuis le mois d’avril.
Certains déplacés seraient malgré tout repartis dans le nord, ne supportant pas leur nouvelle vie à Bamako où aucun avenir ne semblait possible pour eux.
Florence Richard
Certains prénoms ont été modifiés.
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