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Extrait du film Comme un lion © IVAN MATHIE POUR LAZENNEC
Extrait du film Comme un lion © IVAN MATHIE POUR LAZENNEC

Comme un lion ou le chemin de croix des footballeurs africains

L'envers du décor de la planète foot: désillusion, arnaque des joueurs, argent, un esclavage des temps modernes. Le tout filmé par le réalisateur Samuel Collardey.

Liverpool, Manchester, Barcelone, Chelsea… Dans les rues d’une petite ville du Sénégal, les enfants portent tous des maillots aux couleurs de leurs idoles.

Dans leurs yeux, Ronaldo, Ibrahimovic, Zidane ou encore Messi brillent comme des nouveaux dieux.

Sur un terrain de sable improvisé, les footballeurs en herbe frappent avec énergie dans le ballon, persuadés que leur avenir sera synonyme de trophées et de gloire. Parmi eux, Mitri, 15 ans. Un peu plus doué que ses camarades de jeu, il est repéré par un recruteur.

Moyennant une importante somme d’argent, l’agent lui promet de passer des essais dans des clubs en France. La famille se cotise et l’adolescent débarque à Paris. Mais le rêve tourne court. L’arnaqueur s’est volatilisé. Le jeune Africain est livré à lui-même sans un sou et sans papiers dans les rues de la capitale…

Une histoire vraie

Pour raconter l’histoire de Mitri dans Comme un lion, le réalisateur Samuel Collardey s’est inspiré d’une rencontre. Alors qu’il cherchait à réaliser un film sur les jeunes de banlieues sauvés par le football, il a été ému par le parcours d’un Sénégalais du centre de formation de Sochaux (est de la France).

«Il vivait à Saint-Louis, où il jouait avec ses copains dans la rue. Il s’est fait repéré par un agent plus ou moins véreux qui lui a fait croire qu’il allait intégrer un club en France. Arrivé à Paris, le même agent l’a abandonné. Il a vécu comme ça pendant deux ans avec l’aide de la communauté africaine», se souvient le cinéaste originaire de Franche-Comté.

«Finalement, il a été rattrapé par les services sociaux qui l’ont placé dans un foyer. L’assistante sociale l’a inscrit dans un petit club de football pour s’occuper le week-end et il a rencontré un coach qui l’a aidé à décrocher des essais à Sochaux.»

Un parcours bouleversant que le jeune sportif a eu du mal à confier au réalisateur. Alors que sa vie est portée à l’écran, le Sénégalais, qui est aujourd’hui footballeur amateur, préfère garder l’anonymat.

«Ces gamins ont honte de ce qui leur est arrivé. Au début, il m’a dit qu’il ne voulait pas être mêlé à tout cela, car il avait peur que sa famille au Sénégal l’apprenne ou qu’on découvre son histoire dans le milieu du foot», explique Samuel Collardey.

Le rêve brisé de cet adolescent n’est pourtant pas un cas isolé.

«Je me suis rendu compte qu’il y avait à peu près 400 gamins africains qui venaient en France chaque année faire des essais. Ils ne sont pas tous victimes. Très peu d’entre eux intègrent des centres de formation, beaucoup passent des essais et échouent et certains se font arnaquer complètement», précise le metteur en scène.

Des apprentis footballeurs qui ont le poids de leurs rêves sur les épaules, mais aussi tous les espoirs de leur famille.

Dans Comme un lion, la grand-mère de Mitri a emprunté auprès de tous les habitants du village pour faire partir son petit-fils. Une dette que le jeune garçon traîne comme un boulet et qui l’empêche de rentrer chez lui:

«C’est ça qui le ronge. Il finit par couper les ponts avec le Sénégal comme le jeune qui a inspiré l’histoire. Pendant deux ans, il a arrêté de parler avec sa famille, car il n’en pouvait plus de leur mentir. Ses parents n’ont jamais su ce qu’il s’est passé, la misère qu’il a vécu

Un acteur sénégalais

Extrait du film Comme un lion © IVAN MATHIE POUR LAZENNEC

Mi-fiction, mi-documentaire, Comme un lion est au plus proche de la réalité. Le réalisateur a tourné des séquences dans un vrai poste de la Police aux frontières, dans un foyer africain de Montreuil ou encore dans le bureau d’un juge pour enfants du tribunal de Bobigny, en region parisienne:

«C’est un scénario qui est ultradocumenté, car il s’appuie sur des choses que j’ai entendu ou qui ont été vécu ». 

Pour garder cette authenticité, Samuel Collardey a aussi choisi de tourner avec une majorité d’acteurs non professionnels. Il a été lui-même au Sénégal pour dénicher Mytri Attal, le garçon qui joue le rôle principal :

«On a sillonné les terrains de football et on a même organisé un tournoi. Comme j’étais venu avec des maillots, ils ont cru que j’étais un recruteur. Les gamins me disaient "emmenez-moi en Europe ! ". J’ai bien vu que c’était facile pour n’importe qui de se faire passer pour un agent avec une fausse carte et en racontant n’importe quoi. Quand Mytri m’a vu débarquer chez ses parents, il s’est dit qu’il allait lui aussi partir jouer au foot. Quand il a compris que j’étais réalisateur, il était très déçu!»

A défaut de devenir le nouveau Didier Drogba, Mytri Attal crève l’écran. En wolof ou en français, le jeune comédien exprime avec justesse cette rage de réussir. De péripéties en péripéties, le jeune lion se raccroche toujours à son rêve de buts.

«C’est vraiment l’histoire d’un gamin à qui on ferme la porte et qui rentre par la fenêtre!», plaisante le réalisateur.

Comme un lion est une belle démonstration de courage et surtout une dénonciation sans concession d’un trafic des temps modernes.

Précis et ludique, le film montre la réalité sordide de l’envers du ballon rond. Son auteur espère désormais pouvoir le montrer en Afrique pour enfin briser les idées reçues sur le business du foot:

«L’exploitation en salle est inexistante, il va falloir que des associations s’en emparent ou qu’on essaye de le vendre à des chaînes de télévision. C’est la seule façon de toucher les gens

Stéphanie Trouillard

 

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Stéphanie Trouillard

Stéphanie Trouillard. Journaliste française spécialiste du Maghreb et du Canada.

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