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Le Sénégal et le défi du redressement économique
Gagner une présidentielle c’est bien. Mais, en 2013, le président sénégalais devra relancer l’économie, donner des emplois aux jeunes et faire reculer la pauvreté. Pas facile.
«En route vers le sommet». Durant le dernier mandat d’Abdoulaye Wade, le slogan s’affichait fièrement sur des pancartes géantes à Dakar.
Mais, en mars 2012, le «Vieux» a dû céder le fauteuil présidentiel à son ancien dauphin Macky Sall. Et, aujourd’hui, comme le dit le Fonds monétaire international (FMI), «avec un mandat politique fort, le gouvernement doit relever les défis d’accélérer les réformes et satisfaire les attentes élevées du peuple».
Bref, le plus dur reste à venir. Surtout que la croissance économique du Sénégal s’est essoufflée ces dernières années.
De 1995 à 2005, la croissance moyenne était de 4,5%, avec une baisse significative du taux de pauvreté, qui est passé en dix ans de 68 à 48%, soit une baisse de 20 points.
Mais, sur la période 2006-2011, la croissance moyenne a péniblement atteint 3,3% et le taux de pauvreté est resté quasiment identique à 47%.
Si la lutte contre la pauvreté a marqué le pas, la fin des années 2000 a marqué l’émergence des «nouveaux riches» avec leurs ostentatoires véhicules 4X4 filant à toute allure sur les deux voies de la Corniche de Dakar, pour rejoindre leurs somptueuses maisons du quartier des Almadies ou un restaurant de luxe du Plateau.
Nouvelles fractures
De nouvelles fractures sont apparues ou se sont accentuées. D’abord à Dakar, entre ceux qui vivent dans des villas dont la vue plonge dans l’immensité atlantique et les autres qui s’entassent dans les rues poussiéreuses de Pikine.
Mais aussi entre la capitale, en pleine explosion démographique, et le reste du pays, notamment les zones rurales. Le taux de pauvreté est considérablement plus élevé dans les campagnes (57%) qu’en ville (33%), ce qui alimente une exode rural continue.
Les adversaires de Wade lui ont reproché d’avoir privilégié les grands travaux d’infrastructures, comme la route de la Corniche, l’autoroute pour désengorger Dakar ou le nouvel aéroport international. Et d’avoir un peu oublié la lutte contre la pauvreté.
La sanction est tombée comme un couperet, avec la défaite sans appel de Wade, qui était au pouvoir depuis 2000.
Et la victoire de Macky Sall, en mars 2012 n’a pas encore changé radicalement la donne pour les plus modestes des Sénégalais.
Après la mauvaise performance de 2011 (+2,6%), en partie due à la sécheresse, la croissance économique pour 2012 devrait pourtant s’élever à 3,7% avec des perspectives à 4,3% en 2013 et 4,8% en 2014, selon le FMI.
Mais l’économie sénégalaise évitera difficilement les effets de la crise au Mali, un de ses principaux partenaires économiques.
La descente aux enfers du Mali, dont la moitié nord est occupée par des bandes islamistes et la moitié sud vit sous la menace de militaires putschistes, devrait impacter l’activité du port de Dakar, par lequel transite un grand nombre de marchandises destinées au marché malien.
Dépression européenne
La dépression économique dans laquelle s’enfonce l’Europe a en outre déjà un impact sur le Sénégal, notamment sur les transferts d’argent des migrants.
Et l’entrée probable en récession en 2013 de la France, principal partenaire occidental et premier bailleur de fonds de Dakar, n’est pas une bonne nouvelle.
La grande majorité des touristes, venant pendant l’hiver européen, se réchauffer sur la Petite Côte, entre Dakar et la Gambie, viennent de l’Hexagone. Avec la crise, ils seront probablement moins nombreux à aller chercher le soleil aussi loin.
Ces chocs extérieurs vont secouer l’économie sénégalaise, dont le déficit budgétaire se creuse dangereusement. Il était sous la barre des 4% du PNB en 2007 mais a bondi à 6,7% en 2011.
Les nouvelles autorités sénégalaises devront tenter de le réduire, comme l’exigent les bailleurs de fonds, tout en protégeant les populations les plus vulnérables de la crise à venir. Pas facile!
Mais dans le même temps, elles devront attirer les investisseurs étrangers pour soutenir la croissance. Et là encore, ce n’est pas gagné.
Le Sénégal figure dans les profondeurs du classement du rapport 2013 Doing Business de la Banque mondiale.
Ce document est scruté avec beaucoup d’attention par les investisseurs et donne le niveau de facilité (ou de difficulté) pour faire des affaires dans un pays.
Il serait, bien sûr, cruel de comparer le Sénégal (166e rang mondial) avec Singapour (1er), Hong Kong (2e), la Nouvelle Zélande (3e) ou les Etats-Unis (4e). Après tout, la France n’arrive qu’à la 34e position…
Pas assez accueillant
Mais, même en comparant ce qui est comparable, le pays de la Teranga (hospitalité) ne se montre guère accueillant.
En Afrique subsaharienne, c’est l'île Maurice qui décroche la première place (19e rang mondial), devant l’Afrique du Sud, le Rwanda et le Botswana.
Le Sénégal n’arrive qu’à la 32e place des Etats situés au sud du Sahara. Ce pays qui visait les sommets et se rêvait déjà en pays émergent est allègrement dépassé par le vertueux Cap Vert (11e en Afrique subsaharienne), le géant nigérian (14e), le voisin gambien (21e) et même le Mali (23e) qui ne devrait toutefois pas tardé à dégringoler en raison de la crise qu’il traverse.
Seule mais maigre consolation pour Dakar, le pays de la Teranga dépasse toujours le pays le plus riche de l’Afrique de l’Ouest francophone et seule «locomotive» régionale, la Côte d’Ivoire (39e en Afrique subsaharienne et 177e au niveau mondial).
Le Sénégal compte sur son secteur tertiaire pour tirer son épingle du jeu, notamment son secteur bancaire et ses activités touristiques.
Dakar veut également se placer comme le principal centre francophone pour les conférences internationales, en jouant de sa proximité avec l’Europe (seulement 5 heures de vol depuis Paris), sa stabilité politique, une faible insécurité comparé à Abidjan ou Kinshasa et un climat très tempéré.
Mais la Côte d’Ivoire et ses 20 millions d’habitants (contre 12 millions au Sénégal) met en avant son rang de premier exportateur mondial de cacao, de producteur de pétrole/gaz et son tissu industriel pour maintenir hors de distance ses rivaux sénégalais.
Entre Dakar et Abidjan, la bataille s’annonce rude.
Adrien Hart
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