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Moustafa Abdel Jalil, président du Conseil national de transition, s’adresse aux rebelles le 4 mars. Reuters/Asmaa Waguih
Moustafa Abdel Jalil, président du Conseil national de transition, s’adresse aux rebelles le 4 mars. Reuters/Asmaa Waguih

Le grand oral de l'opposition libyenne

Des membres du Conseil national de transition ont rencontré intellectuels et journalistes mardi 22 mars à Paris, à l’initiative de Bernard-Henri Lévy.

Des représentants du Conseil national de transition (CNT) libyen, Mansour Saif al-Nasr et Ali Zeidan, ont exprimé leurs positions le 22 mars 2011 à l’invitation de Bernard-Henri Lévy. Le philosophe français avait réuni à Paris des amis intellectuels, écrivains, hommes politiques et journalistes afin de leur faire connaître les positions et les objectifs du CNT qui combat le régime de Kadhafi.

Bernard-Henri Lévy a présenté Ali Zeidan, porte-parole du CNT en Europe, et Mansour Saif al-Nasr à des «amis français» désireux d’en savoir davantage sur ce mouvement qui se dit prêt à organiser une transition démocratique après le départ de Kadhafi. «Ils ne s’étaient jamais exprimés en France», explique d’emblée Bernard-Henri Lévy.

En guise de préambule, les représentants du CNT ont remercié le peuple français et le président Sarkozy: «Le drapeau français flotte partout en Libye à côté du drapeau libyen. Les gens dans toutes les régions chantent "One, two, three, merci Sarkozy".» Les représentants du CNT soulignent que le vote de «la résolution des Nations unies a permis le recul des forces de Kadhafi des positions qu’elles occupent».

Un Conseil qui se veut représentatif

A la question «Qui est membre du CNT, comment vous avez réuni ce conseil et comment vous prenez vos décisions?», les représentants du CNT ont répondu:

«Le conseil a été formé après la libération de quelques villes comme Benghazi, Tobrouk, Dalma, Al Bayda, les gens ont envie d’une institution qui puisse gérer le pays. Le conseil est composé de 31 membres issus de toutes les régions de la Libye, 8 membres sont connus seulement, les autres restent anonymes pour des raisons de sécurité puisque certains se trouvent encore dans des zones occupées par Kadhafi

Les représentants du CNT affirment que, «dans le conseil, toutes les couches de la nation sont représentées, les femmes, les jeunes». Selon eux, «le conseil est un conseil de transition en vigueur jusqu’à la libération totale de tous les territoires, suivra une assemblée constituante chargé de fonder un Etat démocratique».

Aux interrogations sur le fait de savoir si le CNT allait demander l’aide armée de ses voisins pour faire partir Kadhafi, les porte-parole ont affirmé: «D’abord nous voulons de la coalition qu’elle poursuive la destruction des capacités militaires des forces de Kadhafi, c’est clairement le vœu de la plupart des Libyens. Kadhafi doit partir. C’est le choix des Libyens et ce doit être celui de la coalition.»

Risques de partition

SlateAfrique a posé les questions de savoir si toutes les régions sont représentées dans le CNT et s’il n’y a pas un risque de partition à terme de la Libye. Les représentants du CNT ont répondu:

«Non pas de risque de partition. Toutes les couches de la population libyenne sont représentées dans cette révolution. Moi je suis du sud, d’une tribu qui a été dans le passé alliée de Kadhafi. Ali est d’une tribu du centre qui a toujours été alliée de Kadhafi. Si c’était une guerre civile, nous serions du côté de Kadhafi, mais ce n’est pas une guerre civile, c’est un peuple qui en a marre d’une dictature qui a duré plus de 42 ans. Le peuple veut la démocratie, les Droits de l’homme et vivre comme des êtres humains. Kadhafi a fait trop de mal à l’intérieur comme à l’extérieur. Il a éliminé 1.200 prisonniers politiques, sans parler du vol de l’UTA, des victimes du vol de Panam, il a attaqué nos voisins des villes et des villages au Tchad. Il a occupé pendant des années une partie du Tchad, il a exporté dans le monde l’immigration clandestine et le terrorisme.»

Aux interrogations sur le fait de savoir s’il y dans le CNT des membres de la tribu de Kadhafi, Mansour Saif al-Nasr a répondu:  

«Oui, il y a même un colonel de la tribu de Kadhafi, un cousin de Kadhafi, qui commandait un régiment à Al Bayda, à l’est. Le régime de Kadhafi l’a envoyé à Shahat pour éliminer les manifestants. Parti là-bas, il voit des mercenaires, et a refusé de se mettre avec des mercenaires pour combattre ses frères libyens. Et il a gagné les rangs des révolutionnaires et il est mort au champ d’honneur, une cérémonie de funérailles a été préparée à Shahat pour ce cousin de Kadhafi.»

Des interrogations portaient aussi sur le temps qu’il faudrait pour vaincre Kadhafi. «Je ne pense pas que ça va durer un ou deux ans, mais plutôt une semaine ou dix jours si les frappes continuent sur la même voie qu’elles ont commencé, nous voulons que l’histoire de l’élimination du régime de Kadhafi soit écrite par le peuple libyen et non pas par les autres forces», a expliqué Ali Zeidan.

Aux interrogations sur le sort réservé à Kadhafi en cas de victoire, le porte-parole du CNT en Europe a affirmé: «Je ne peux pas le prédire. Le souhait de tout le peuple libyen est qu’il reste vivant et qu’il soit jugé et paie pour tous les crimes contre l’humanité qu’il a commis.»

Besoin d’armes et d’entraînement

Durant la rencontre, le porte-parole du CNT a évoqué «un besoin d’armes et d’entraînement». En dépit des limites imposées par la résolution 1973, il a affiché un certain optimisme sur l’efficacité des frappes aériennes de la coalition dans la perspective de venir à bout des forces du colonel Kadhafi.

«Si les bombardements continuent à détruire tous les chars et les armes lourdes et que nous nous trouvons à armes égales avec les troupes de Kadhafi, nous sommes sûrs de les vaincre. La résolution exclut des troupes terrestres et l’envoi d’armement, mais si des pays voisins veulent venir à notre aide, je ne pense pas que l’on puisse leur interdire.»

Sur la détention éventuelle d’armes secrètes par Kadhafi, la réponse n’est pas tranchée. Le porte-parole a souligné que «pour utiliser les armes chimiques, il faut des avions et des missiles et Kadhafi n’en a plus. Il ne peut pas utiliser d’armes chimiques, d’autant plus que les Américains et la communauté internationale ont mené des inspections».

Par ailleurs, il affirme avec insistance qu’«il n’y a aucune victime civile des bombardements jusqu’à maintenant. Kadhafi a fait de la propagande devant les caméras en présentant des blessés issus des manifestations».

Le porte-parole s’est défendu des rapports et témoignages sur des violences commises contre des travailleurs noirs pris pour des mercenaires.

«Les travailleurs africains ont déjà fui la Libye, mais nous savons aussi qu’il y a beaucoup d’Africains, du Mali, du Tchad et du Niger, qui ont été embauchés par Kadhafi. J’ai eu des entretiens avec des représentants de ces pays pour qu’ils mettent fin à ce phénomène. Ce n’est pas officiel, mais il y a des recrutements de mercenaires réalisés au Tchad et au Niger qui rassemblent des milliers de personnes. La ligne de la révolution est de faire la différence entre les mercenaires, qui sont des prisonniers de guerre, et les travailleurs.»

A cet instant, Bernard-Henri Lévy est intervenu pour demander à ce qu’une déclaration officielle du CNT affirme sans ambiguïté que «les travailleurs noirs sont les amis des Libyens et qu’il ne faut pas les confondre avec les mercenaires». Une requête que les représentants ont promis de transmettre après avoir néanmoins signalé que, sur le terrain, un appel en ce sens avait été lancé à la radio.

La Libye de demain

Des interrogations de la salle ont porté sur les ressources techniques et humaines du Conseil national de transition et de la Libye révolutionnaire pour reconstruire un Etat après 42 ans de dictature.

«Dans le conseil, il y a des avocats, des professeurs d’université, hommes et femmes, des intellectuels et des dignitaires locaux, et nous avons des cadres compétents à l’intérieur comme l’extérieur.»

Mais le recours à des experts internationaux, dont des Français, est aussi envisagé.

Mansour Saif al-Nasr a formulé les contours d'un régime post-Kadhafi.

«Nous avons tiré les leçons de la dictature, nous n’accepterons jamais un régime non démocratique, une personne qui n’est pas élue, plus de mandat à vie. La Libye sera un pays paisible, nous exporterons la paix, le pétrole et nous aurons des relations de bon voisinage avec l’Afrique et les pays du nord de la Méditerranée.»

Ali Zeidan a voulu rassurer l’auditoire sur tout risque d’extrémisme religieux:

«L’Etat libyen post-Kadhafi sera laïque, le peuple libyen est modéré. Il y a des religieux mais pas de fanatisme. Au sein du CNT, il n’y a pas de fanatiques ou de membres d’al-Qaïda. La révolution a annoncé que l’Etat ne sera pas conduit par des religieux.»

Mais «comment pouvez-vous dire à l’avance que le pays et le peuple libyens seront démocratiques et laïques?», a interrogé un membre de l'assistance au porte-parole du CNT. Et lui de répondre:

«La démocratie veut que l’Etat soit laïque. D’autres pays veulent l’islam et pas la démocratie, mais nous nous voulons la démocratie et la laïcité. La France est un pays laïque, mais il y a toujours la religion, le catholicisme et les églises.»

Interrogé sur la politique pétrolière future, il a ouvert quelques perspectives.

«En cas de victoire, les accords pétroliers signés seront respectés, mais dans l’avenir, nous nous souviendrons des nations qui nous ont aidé.»

Pierre Cherruau et Philippe Randrianarimanana

 

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Pierre Cherruau et Philippe Randrianarimanana

Pierre Cherruau est journaliste et romancier. Il a dirigé le service Afrique de Courrier international. Philippe Randrianarimanana, journaliste franco-malgache, est spécialiste de l'Afrique, de Madagascar et de la Russie. Ancien collaborateur de Courrier international et courrierinternational.com.

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