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Le Sud-Africain Osacar Pistorius aux Jeux paralympiques de Londres, septembre 2012. © REUTERS/Eddie Keogh
Le Sud-Africain Osacar Pistorius aux Jeux paralympiques de Londres, septembre 2012. © REUTERS/Eddie Keogh

Le transhumanisme, une aubaine pour l'Afrique

Le mouvement transhumaniste peut notamment permettre au continent noir d'entrer dans une nouvelle ère sportive.

En 1982, le réalisateur anglais Ridley Scott enchantait les fans de science-fiction avec son film Blade Runner.

Vingt ans plus tard, l’athlète Oscar «Blade Runner» Pistorius marque les Jeux olympiques de Londres. En prenant le départ des séries et des demi-finales du 400m, le Sud-Africain, amputé des deux pieds, entre définitivement dans l'histoire.

Le coureur s’était déjà frotté à des valides sur la piste, mais l’épopée londonienne marque une étape majeure. Aujourd’hui, Pistorius jouit d’un statut à part. Et le parcours du coureur aux prothèses favorise les idées d’un courant qui fait de plus en plus parler de lui.

Pour les transhumanistes, l'Homme doit utiliser la technologie pour améliorer ses capacités. Une doctrine qui s’applique dans toutes les disciplines (économie, politique…). En sport, une telle révolution permettrait de réaliser des performances toujours plus spectaculaires. L’Afrique gagnerait à s’y intéresser.

Le symbole Pistorius

Dès l’Antiquité, les intellectuels s’intéressent à l’évolution de l’homme. Mais c’est dans les années 80, en Californie, que le mouvement transhumaniste prend forme.

«La science montre que l'humain n’est pas fixe. C’est le résultat d’une évolution de plusieurs millions d’années. Si nous provenons de ces millions d’années, il n’y a aucune raison de penser que cette évolution est terminée», explique Marc Roux, président de Technoprog, l'association française transhumaniste.

«L'humain est de plus en plus capable d’intervenir sur lui-même. On peut considérer qu’il le fait depuis qu’il manipule les premiers outils. Les choses se sont accélérées avec la révolution industrielle et encore davantage, depuis quelques décennies», ajoute l’historien de formation.

La technologie au service de l’humain. L’idée n’a rien d’innovante. Mais, pour les transhumanistes, «cette capacité d’intervention sur notre propre évolution, en tant qu’individu et en tant qu’espèce, nous devons l’assumer. Depuis 10.000 ans, l’humain est intervenu sur son évolution par sa technique sans vraiment y réfléchir. Avec le transhumanisme, il est question d’agir en conscience et en responsabilité.»

Les transhumanistes souhaitent que la technologie prenne une plus grande place dans nos sociétés. L’objectif: améliorer l’humain. Ces derniers comptent notamment sur les nanotechnologies, les biotechnologies, les technologies de l’information et les sciences cognitives (NBIC) pour effectuer ces améliorations.

Oscar Pistorius n’est pas le premier athlète transhumain. Mais son parcours est symbolique et peut laisser penser qu’un jour, le sport basculera dans le transhumanisme.

«Il est probablement le premier qui ait été autant médiatisé. Le point important, à mon sens, c’est la question de la prothèse et le sens qu’on lui donne, la manière dont on la regarde. On a l’impression que, tout d’un coup, il y a comme une barrière qui a été franchie parce qu’on voit sa prothèse comme si elle faisait intégralement partie de son corps.»

En 2011, à l’occasion de la sortie du jeu vidéo Deus Ex: Human Revolution, une publicité virale présentant la société virtuelle Sarif Industries est diffusée sur Internet. La vidéo donne une idée de ce que pourrait être le transhumanisme.

Problème éthique, forcément

Lorsqu'on évoque ce courant, la question de la morale n’est pas loin. Les idées du transhumanisme vont-elles à l’encontre des valeurs du sport?

En 2008, le cas Pistorius avait déjà soulevé des interrogations. Cette année-là, l’Association internationale des fédérations d’athlétisme (IAAF) interdit au Sud-Africain de participer aux JO de Pékin, arguant que ses prothèses en fibres de carbone développées par la firme islandaise Ossur, constituent un avantage sur les athlètes valides. 

Un handicapé équipé d’une telle technologie doit-il toujours être considéré comme un handicapé? Pour Marc Roux, le clivage valide/non-valide est inadéquat. Ce dernier souhaite établir de nouvelles catégories dans les disciplines sportives.

«L’humain dépend de ce que nous voulons bien en faire, des orientations que nous donnons de manière collective. Donc à ce moment-là, toute catégorie ne peut forcément être qu’arbitraire. […] Si on reconnaît l’arbitraire de nos catégories, la question éthique se pose complètement différemment. Il suffit qu’il y ait équité à l’intérieur d’une catégorie donné.»

Et d’ajouter:

«Dans les sports mécaniques, on ne trouve pas étonnant que des F1 aillent plus vite que des F3000. Simplement, on fait concourir les uns avec les autres respectivement. On définit des catégories le plus précisément possible. Et puis, régulièrement, parce que la technologie évolue, on modifie la définition des différentes catégories.»

«On le fait pour ce qui est purement technique (sports mécaniques) et pour ce qui nous paraît purement humain (catégorie de poids dans les sports de combats). Je pense qu’on va le faire pour des catégories intermédiaires (catégorie avec prothèses de jambes, avec prothèses d’œil bionique…).»

Une myriade de débats sur le bien-fondé de ce mouvement se profile. Et ces réflexions iront bien au-delà de la prothèse.

«Le transhumanisme propose de considérer différemment l’ensemble des substances chimiques, pharmaceutiques, pour envisager, sous la condition absolue d’un contrôle sanitaire plus que satisfaisant, de permettre à des athlètes d’utiliser des substances d’augmentation ou d’amélioration de leur performance», affirme Marc Roux qui insiste sur «l’absolue nécessité de se prémunir contre les dangers».

Un défi pour l’Afrique

Outre le manque d’équité sportive, on peut également craindre un accroissement des inégalités entre l’Occident et l’Afrique.

Aux Etats-Unis, berceau du mouvement, et, plus généralement dans les pays anglo-saxons, le transhumanisme repose souvent sur une conception très libérale. Une vision qui ne favorise pas les plus modestes.

L’adhésion au transhumanisme suppose des investissements lourds que la majorité ne pourra pas se permettre. «Un très grand nombre de pays d’Afrique a encore des difficultés importantes à surmonter», rappelle Marc Roux.

Mais, au même moment, d’autres Etats voient leur économie décoller:

«L’Europe n’est pas dans une période brillante alors que plusieurs pays africains sont en période de croissance importante. […] L’Angola est en train de racheter des parts importantes d’actions d‘entreprises portugaises à tour de bras.»

Les pays prospères de la zone peuvent profiter de ce contexte économique favorable pour s’intéresser au transhumanisme. Le sport ne sera pas le premier bénéficiaire de cette politique, les priorités sont ailleurs (santé, éducation, entre autres).  Reste que ces Etats auront toujours la possibilité d’investir dans ce secteur.

Une donnée non négligeable pour des pays en pleine mutations. L’histoire l’a démontré à plusieurs reprises, le sport est une arme politique. Briller dans une grande compétition permet à un état d’affirmer son nouveau statut, de rayonner au niveau international. Ainsi, le transhumanisme pourrait, dans l’idéal, faire émerger de nouvelles puissances du sport issues du continent noir.

Plus vite, plus haut, plus fort

Et permettre de rêver des exploits les plus fous.  

«L’humain est considéré comme quelque chose d’ouvert, donc théoriquement sans limite, indéfini. Il y a toujours possibilité de repousser les limites.»

  Pourtant, lorsqu'on s’intéresse aux performances des grands champions de ces dernières années, la question des limites peut légitimement se poser, tant le niveau est élevé.

En natation, Michael Phelps, le fils caché de Neptune, a fait chavirer la concurrence. Talonné par son dauphin Rafael Nadal, son altesse Roger Federer a régné sur le tennis masculin durant plusieurs années. Quant à Usain Bolt, il a hissé l’épreuve du 100m dans une nouvelle dimension. Au football, Cristiano Ronaldo, et surtout, Lionel Messi, font exploser tous les compteurs.

Ces extraterrestres ont enchaîné les records. Pourra-ton faire mieux à l’avenir? Probablement. Une chose est sûre, avec le transhumanisme, la question ne se pose même pas.

«Cela sous-entend qu’on accepte l’idée d’intégrer complètement la technique dans l’humain. Ça implique qu’on conçoit que l’humain et ses technologies vont évoluer ensemble. On peut même envisager une fusion de l’humain avec ses technologies.»

Marc Roux prône l’instauration d’un «trans-olympisme». Sa devise: «Plus vite, plus haut, plus fort». Identique à celle qui accompagne les Jeux olympiques depuis 1896, le «trans-olympisme» étant perçu comme une suite logique de l’olympisme.

L’Afrique a offert à la planète foot deux des plus grands attaquants des années 2000. Avec le transhumanisme, les futurs prodiges du ballon rond n’ont pas fini de s’illustrer. Plus adroits qu’Eto’o. Plus puissants que Drogba. Les filets tremblent déjà.

Les nouveaux écolos

Mais avant de s’extasier devant les hypothétiques exploits de ces «cyber-sportifs», les transhumanistes doivent d’abord diffuser leurs idées.

S’il bénéficie actuellement d’un essor certain, le mouvement reste encore très confidentiel, notamment en France. Quant au continent noir, il apparaît, dans l’ensemble, loin de toutes ces préoccupations.

Pour Marc Roux, le courant va progressivement s’installer:

«Dans les années 70, l’écologisme était tout à fait marginal, on regardait les écologistes comme des babacools un peu doux dingues. Aujourd’hui la pensée écologiste est omniprésente, dans toutes les strates de la société, dans tous les partis politiques. […] Je ne serais pas étonné si, dans les dix-vingt années à venir, le transhumanisme suit une trajectoire semblable à celle de l’écologisme des deux dernières décennies.»

L’Afrique devrait, comme souvent, tirer les bénéfices de ce mouvement après les autres. Mais certains pays en plein expansion, auront les moyens de rattraper leur retard plus vite qu’auparavant.

Utilisé à bon escient, le transhumanisme pourra instaurer un nouveau rapport de forces entre l’Afrique et l’Occident. En sport et dans bien d’autres domaines. 

Jacques-Alexandre Essosso

 

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Journaliste à SlateAfrique.

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