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Hamed Bakayoko, bon vivant et shérif de Côte d'Ivoire
Hamed Bakayoko, le ministre ivoirien de l'Intérieur, a de nombreuses cordes à son arc. Atalaku (éloge public) pour cet homme clé du régime de Ouattara.
La scène commence à faire le buzz sur le Net. Mais, à Abidjan, elle n'émeut pas grand monde.
Hamed Bakayoko, 47 ans, ministre de l'Intérieur de la Côte d'Ivoire, remet à une brochette de policiers ivoiriens un gros paquet de «jetons», dix millions de francs CFA pour les chefs, deux pour les sous-fifres qui ont abattu trois braqueurs.
Un tas de «blé» en petites coupures, du vrai cash, comme en distribuait les shérifs du Far West pour récompenser ceux qui permettaient la capture «mort ou vif» de bandits.
Dans les chancelleries occidentales, ce geste de générosité fait grincer les dents.
On s'offusque, en expliquant qu'on transforme ainsi des «corps habillés» (soldats et autres forces de maintien de l'ordre, en Côte d'Ivoire), déjà peu à cheval sur les articles du Code de procédure pénale, en chasseurs de prime.
On s'alarme des nouvelles frasques d'un ministre dont le «dossier» est déjà «lourd».
Et puis, ça tombe mal: accréditer l'idée que la Côte d'Ivoire serait un far west est du plus mauvais effet, à l'heure où de nombreuses organisations de défense des droits de l'Homme écrivent pis que pendre sur le pays d'Houphouët-Boigny (président de 1960 à 1993).
Hamed Bakayoko, lui, n'y voit pas malice:
«Depuis quelque temps les Ivoiriens sont apeurés dans certaines zones, notamment autour des banques et en zone 4 (un quartier où résident beaucoup d'occidentaux, à Abidjan), car les braquages n’arrêtent pas, lance t-il à ses policiers. Je suis très heureux de constater que nos services ont réagi avec efficacité. Je leur demande d’ailleurs d’aller plus loin. Il faut qu’ils arrivent à traquer les bandits. Il faut que la peur change de camp.»
L'atalaku, le nerf de la guerre
En claironnant sur tous les toits que «les braquages n'arrêtent pas» en Côte d'Ivoire, Hamed Bakayoko risque, certes, de décourager l'investissement.
Mais peut-on lui reprocher de faire du boucan autour d'un haut fait de guerre contre le banditisme. Les diplomates occidentaux ne voient-ils pas le mal partout?
«Faut comprendre le gars, c'est un ex-fêtard... C'est tout ce qu'il connaît, les dons en public et autres atalakus ou démonstration», commente méchamment un internaute.
C'est vrai que, dans le monde de la nuit, de Paris à Kinshasa en passant par Abidjan, «Hambak», comme l'appellent familièrement les Ivoiriens, est connu comme le loup blanc.
Quand il débarque sur la piste de danse d'une boîte de nuit, le ministre ne passe pas inaperçu.
En plein règne de l'ex-président Laurent Gbagbo, au printemps 2005, il vole la vedette à Miss Côte d'Ivoire, qui vient d'être élue sous le parrainage de la Première dame d'alors, Simone Gbagbo. Miss Côte d'Ivoire fête son titre à la Mostra, une discothèque sur les bords de la lagune qui traverse Abidjan.
C'est ainsi, Hamed Bakayoko n'est pas habitué à faire «petit boucan» là où il passe.
C'est même un grand «boucantier» (expression typique en Côte d'Ivoire), comme son «frère» Douk Saga, le maître de la danse locale du coupé-décalé, décédé en octobre 2006.
«Sa mort, écrit Hamed Bakayoko sur son blog, je l’ai ressentie comme celle d'un proche. C'est un jeune pour qui j’avais de l'estime. Cette estime était réciproque. J'ai connu Douk Saga à Paris. Sa mort est une grande perte pour la jeunesse culturelle de notre pays.»
Douk, le maître du «travaillement» qui jetait de sa décapotable américaine, les billets de banque à ses admirateurs, l'inspirateur d'une génération de chanteurs ivoiriens et le créateur de «concepts». C'est sous son règne musical que la mode de l'atalaku, l'éloge public d'une personne, a prospéré pour s'étendre à toute l'Afrique.
En distribuant des «jetons» à ses policiers, en faisant leur atalaku, «Hambak» n'a-t-il pas rendu le meilleur hommage au chanteur Douk?
Un passé pas si lointain de fêtard
Et la fonction de ministre de l'Intérieur de Côte d'Ivoire serait-elle incompatible avec un passé de noctambule? Doit-on lui reprocher d'être proche d'Idriss Karamoko, un homme d'affaires ivoirien, patron de la boîte de nuit Folie’s Pigalle?
Ne faut-il pas plutôt considérer un CV marqué par le «concept» de la réussite? A l’âge de 25 ans, Hamed Bakayoko est le directeur de publication d’un quotidien à fort tirage, Le Patriote, organe du RDR (Rassemblement des Républicains), le parti d'Alassane Ouattara.
A 28 ans, il est aux commandes de Radio Nostalgie, la première radio privée commerciale de Côte d’Ivoire, fondée par Dominique Ouattara (femme d'affaires et, aujourd'hui, Première dame), dont, en 2000, il devient le PDG Afrique.
Déjà, en classe de CM2, il avait créé et dirigé le journal de son école, ce qui dénote une vocation précoce pour la communication.
Seulement, de méchantes langues laissent entendre qu'il serait fait jeter de l'université et qu’il aurait «coupé-décalé» son CV, une pratique courante à l’époque.
Les même langues insinuent que, à part un baccalauréat à Ouagadougou (Burkina Faso), il n'aurait obtenu aucun diplôme, sauf celui de «chef d'une bande de loubards», cassant de l'étudiant Fesci, la Fédération estudiantine dirigée dans les années quatre-vingt dix par Guillaume Soro (actuel président de l'Assemblée nationale ivoirienne), puis par Charles Blé Goudé (ex-chef des Jeunes patriotes ivoiriens, proche de Laurent Gbagbo).
L'art et la maîtrise de la com'
«Hambak», avec son physique de déménageur et son visage de boxeur, n'est-il pas tout simplement victime d'un délit de faciès?
«Sa présence dans les médias ne relève pas du hasard mais est plutôt le résultat d’une ambition saine», peut-on lire dans une courte biographie que lui consacre le site Abidjan.net.
Et puis, aurait-il passé sept années aux commandes du ministère des NTIC (Nouvelles technologies de l'information et de la communication) dans les différents gouvernements de réconciliation qui se sont succédé sous Gbagbo, si, «au préalable il n'avait fait montre de ses remarquables aptitudes», lit-on sur son site Internet. Atalaku bien ordonné commence par soi-même!
Il faut vraiment être un diplomate occidental aigri pour ne pas s'extasier devant une telle carrière.
Alexandre Vilar
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