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Afrique du Sud - Shell fait la guerre des étoiles
«Il y a énormément de voix qui s'élèvent en faveur de la Tunisie et du peuple en Egypte, mais qui prend la parole pour la planète?» C'est pour la région semi-désertique de Karoo, en Afrique du Sud, que la princesse Irene des Pays-Bas a lancé ce cri du coeur.
L'objet de sa révolte? Un projet de forage de gaz de schiste de la compagnie pétrolière Shell. La major anglo-néerlandaise a sollicité les droits de prospection sur trois sites d’une surface totale de 90.000 km².
Ce projet, situé dans le Karoo, une vaste région semi-désertique dont le territoire est en partie occupé et cultivé et qui dispose d’un parc national, suscite une sérieuse polémique. Contre lui, un vaste éventail de personnes et d'organisations, allant des fermiers et habitants aux associations écologistes et propriétaires terriens se sont mobilisés. Parmi ces derniers, le milliardaire Johann Rupert ou encore la princesse Irene, sœur de la reine Beatrix des Pays-Bas.
Shell assure que sa technique de prospection, la fracturation hydraulique massive, est sans danger pour l’environnement. Elle consiste à injecter de l’eau à haute pression dans la roche afin de la fissurer et libérer les hydrocarbures.
La major insiste par ailleurs sur le fait que, tout comme l’eau prélevée, l’opération de fracturation hydraulique sera réalisée à grande profondeur, et que les détergents utilisés dans le processus ne devraient pas contaminer les eaux souterraines séparées par une barrière de roche. Aux dires du PDG de Shell Afrique du Sud, Bonang Mohale, le projet ne va pas menacer l’approvisionnement en eau des habitants de la région de Karoo et la compagnie dédommagera tous les propriétaires qui seraient lésés.
La compagnie insiste également sur le fait que le projet va renforcer la sécurité énergétique du pays et qu’il ne causera aucune pollution.
«L’industrie pétrolière et gazière utilise cette technique en toute sécurité depuis plus de 60 ans pour atteindre du gaz naturel», a déclaré aux journalistes à Johannesburg, Graham Tiley, un haut responsable de Shell.
Néanmoins, cette technique a mauvaise presse aux Etats-Unis (elle est proscrite dans l’Etat de New York, au nord-est du pays), mais aussi en France, où le Premier ministre a prolongé un moratoire sur la recherche et le forage de gaz et d'huile de schiste jusqu’à la mi-juin 2011.
Mais la prospection de gaz de schiste par Shell dans le Karoo pose une autre menace, loin d’être négligeable: il pourrait ruiner le projet d’implantation en Afrique du sud du radiotélescope le plus sensible du monde, prévient la revue Nature. Le pays est en compétition avec l’Australie pour être le site d’accueil du Square Kilometre Array (SKA), un engin qui coûte la bagatelle de 1,5 milliard d’euros et qui comprend 3.000 antennes d’une surface totale d’un kilomètre carré. Il est capable de capter des signaux émis juste après le Big Bang.
Or, Shell envisage de forer à proximité du site envisagé pour le radiotélescope géant. La phase de prospection, qui devrait débuter en 2012, durera trois ans. Huit puits seront réalisés sur chacun des sites et la production pourrait commencer au bout de neuf ans. Et selon Adrian Tiplady, qui travaille sur le projet d’implantation du radiotéléscope en Afrique du sud, le SKA risque d’être sérieusement affecté:
«Le risque majeur est une interférence électromagnétique générée par les gros équipements industriels utilisés dans le secteur minier et toutes les communications radio liées à cette activité.»
De plus, la région de Karoo héberge déjà le plus grand télescope optique de l’hémisphère sud, le Southern African Large Telescope (Salt).
Or ce télescope nécessite un ciel dégagé pour fonctionner, mais la poussière des routes et des sites de forage tout comme les vibrations des mines pourraient brouiller les images. L'engin se sert de mesures sismiques extrêmement sensibles pour régler ses appareils.
La décision finale sur le choix de l'implantation du SKA sera prise par une commission internationale.
Lu sur Business Day, Nature