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Hassane Kouyaté dans l’Affaire de l’esclave Furcy © Eric Legrand pour Le Tarmac
Hassane Kouyaté dans l’Affaire de l’esclave Furcy © Eric Legrand pour Le Tarmac

Furcy, le premier esclave qui assigna son maître en justice

Longtemps ignorée, l'histoire de l’esclavage est aujourd’hui mise en lumière au théâtre grâce à l’affaire Furcy. Cet esclave de l’île de la Réunion fut le premier à assigner son maître en justice pour réclamer sa liberté.

C’est un cri venu d’un autre siècle. Le cri d’un homme qui se bat pour une cause juste. Le cri d’un homme qui réclame sa liberté. Nous sommes en octobre 1817, sur l’île Bourbon, l’actuelle île de la Réunion.

Hommes, femmes, enfants, les habitants ne parlent que d’une chose: le procès qui se joue au tribunal de Saint-Denis. Pour la première fois, un esclave tente de briser ses chaînes devant la justice.

Furcy est un «Malabar» ou «mulâtre» , né d’une mère indienne et d’un père inconnu. Un esclave au service de l’un des plus riches négociants de la région, Joseph Lory. Un homme à tout faire âgé de 31 ans et «estimé à 7.000 francs».

Mais à la mort de sa mère, il trouve un document qui prouve que celle-ci était en fait affranchie depuis de nombreuses années.

Furcy se découvre libre et réclame ce droit. Avec l’aide de Gilbert Boucher, le procureur général, il assigne son maître en justice. Mais face à eux se dressent les hommes les plus puissants de l’île, des propriétaires d’esclaves qui n’entendent pas perdre leurs privilèges.

Traité comme un criminel, Furcy perd son procès en première instance, puis en appel, avant d’être exilé sur l’île Maurice. Ce n’est qu’en 1843, 27 ans plus tard, qu’il finira par gagner son combat juridique devant la cour de Cassation, à Paris.

Un cas unique dans les annales

Le nom de Furcy a résonné pendant longtemps comme une légende, un conte sur un héros de la liberté, un récit tombé dans les méandres poussiéreux de l’histoire. Deux cents ans plus tard, ce procès, le plus long jamais intenté par un esclave contre son maître, est enfin en pleine lumière.

Sur la scène du théâtre du Tarmac, Hassane Kouyaté donne la parole à cet homme en quête de dignité. Dans un décor sobre, aidé par quelques musiques et des dessins, il fait résonner avec force les revendications de Furcy:

«C’est une histoire étonnante. Comment quelqu’un a pu tenir aussi longtemps face à la justice? ll permet aussi d’avoir des détails sur l’esclavage qui n’est pas vraiment enseigné. On parle souvent du commerce triangulaire, mais pas de la vie quotidienne», explique le comédien burkinabè.

Pour imaginer cette pièce, le conteur s’est basé sur le livre de Mohammed Aïssaoui, l’affaire de l’esclave Furcy. Pendant près de quatre ans, ce journaliste du Figaro, d’origine algérienne, a mené une véritable enquête pour retracer le parcours de ce «Malabar» de l’île Bourbon. Un travail fastidieux et captivant qui débuta en 2005, au hasard d’une vente d’un vieux dossier aux enchères de l’hôtel Drouot.

«Quand j’ai vu le titre de ces archives: "un esclave assigne son maître en justice", j’ai trouvé cela très intéressant. Je ne suis pas historien, mais je savais qu’une telle démarche, aller en justice pour briser ses chaînes, était un fait exceptionnel», raconte Mohammed Aïssaoui.

«Quand j’ai découvert en plus dans le dossier, qu’il y avait sept lettres signées de cet esclave, car il savait lire et écrire, j’ai su que c’était un cas unique dans les annales de l’histoire. Même aux Etats-Unis, on n’a pas de témoignage direct d’un esclave. On les obligeait à ne pas être instruit.»


De Paris, à l’île de la Réunion, en passant par l’île Maurice, le journaliste part sur les traces de Furcy. Il retrouve la prison où il fût jeté avant son procès, le quartier où il vécut et, bien sûr, les lieux où il sua sang et eau aux ordres de son maître:

«Si j’avais su que j’allais mettre autant de temps, je n’aurais peut-être pas commencé, mais ce qui m’a fait tenir, c’est la détermination de Furcy. J’ai vraiment eu un sentiment irrationnel. Je me suis dit qu’il m’avait appelé au secours et que je devais répondre à son appel.»

Dans son livre, Mohammed Aïssaoui s’est aussi attaché à rendre hommage à ceux qui, comme Gilbert Boucher, aidèrent l’esclave dans son combat:

«Furcy a fait une démarche extraordinaire, mais tout cela n’aurait pas été possible sans le soutien très fort du procureur général. Ce blanc, qui a finalement ruiné sa carrière, pour ne pas dire sa vie. Il a terminé presque dans la misère

Sans porter de jugement sur les propriétaires de l’époque, il essaye aussi de comprendre leurs motivations et le contexte de ce début de XIXe siècle où un esclave était considéré «comme un meuble et où on pouvait le tuer et ne recevoir qu’une simple amende ou une réprimande».

Le journaliste, devenu historien, dresse également le portrait contrasté de la population de «noirs» de l’île Bourbon:

«Quand on regarde l’histoire à hauteur d’homme, on en voit la complexité. Avec mes petits yeux d’aujourd’hui, je pensais que c’était assez manichéen, que quand on était esclave, on avait envie d’être libre, mais il y avait aussi certains d’entre eux qui avaient peur de cette liberté et de se retrouver à mendier. Ils ont même manifesté contre l’abolition.»

Une histoire sans archives

 Ce passé a pendant des décennies été remisé aux oubliettes de l’histoire. Comme l’a parfaitement décrit l’universitaire Hubert Gerbeau, «l’histoire de l’esclavage est une histoire sans archives». Mais grâce à L’affaire de l’esclave Furcy, des mots, des voix et des sentiments, éclairent enfin ces zones d’ombres.

«Le but n’est pas d’être rancunier. Le but n’est même pas de briser le silence, mais de donner envie de savoir. Le futur jailli du passé. N’ayons pas honte de mettre nos histoires sur la table, car tant qu’on ne fait pas un bon état des lieux, c’est comme si nos racines et nos fondements étaient vilipendés», estime Hassane Kouyaté.

 

Au-delà de l’aspect universel de ce combat pour la liberté, Mohammed Aïssaoui est surtout satisfait d’avoir réussi à faire revivre un homme.

«Ce qui est incroyable, c’est qu’il a désormais une voix. Furcy n’arrête plus d’être entendu. Et le théâtre à travers le travail d’Hassane Kouyaté lui donne une nouvelle dimension. Furcy est sur scène», affirme-t-il avec émotion.

«J’ai l’impression qu’il y a une chaîne qui se construit. Cette fois-ci, ce n’est pas une chaîne qui emprisonne, mais c’est une chaîne de solidarité qui est en train de se former. Une chaîne de l’anti-silence ».

Furcy n’a pas fini d’être entendu. La pièce est déjà programmée pour être jouée sur l’île de la Réunion, aux Antilles, mais aussi dans plusieurs pays d’Afrique.

Stéphanie Trouillard

L’affaire de l’esclave Furcy, jusqu’au 15 décembre au Théâtre du Tarmac à Paris.

 

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Stéphanie Trouillard. Journaliste française spécialiste du Maghreb et du Canada.

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