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Bénin: le poison du pouvoir fait peu à peu son effet
Le Bénin passe pour une vitrine de la démocratie mais il n'est pas immunisé contre la maladie du pouvoir politique. La supposée tentative d'empoisonnement du président Boni Yayi cache-t-elle un mal plus profond?
Mise à jour du 7 décembre 2012: Patrice Talon, l'homme d'affaires béninois soupçonné par la justice de son pays d'être le commanditaire d'une tentative d'empoisonnement du président Thomas Yayi Boni pourrait être extradé de France dans deux mois,a informé RFI. La Cour d'appel de Paris devrait statuer dans 8 semaines sur la demande d'extradition de l'homme d'affaires, faite par le Bénin. Patrice Talon a été arrêté à Paris le 5 décembre avant d'être libéré. Il est actuellement placé sous contrôle judiciaire.
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Patrice Talon, un homme d’affaires béninois de 55 ans, a été arrêté le 5 décembre à son domicile parisien, pour être déféré au parquet de Paris.
Il est sous le coup d’un mandat d’arrêt international, dans une sombre histoire de complot visant à empoisonner Boni Yayi, son ancien ami et président du Bénin. Des accusations qu’il qualifie de «canular», et sur lesquelles il se dit prêt à s’expliquer devant la justice.
Comment en est-on arrivé là? Voilà des mois que le Bénin est plongé dans des turpitudes inconnues —avec une paranoïa d’Etat qui va en s’amplifiant. Le 1er août, Boni Yayi a donné une longue conférence de presse, dans laquelle il accusait déjà son ex-ami et mécène Patrice Talon, de complot contre lui.
Fin septembre, cet homme d’affaires, natif de Ouidah (42 kilomètres de Cotonou, la capitale économique) quittait précipitamment le pays avec sa famille, direction l’Europe via les Seychelles. Il a été exfiltré par la route en passant par le Nigeria, pour éviter une arrestation imminente à Cotonou.
Ensuite, l’affaire est allée en se corsant, suivant un scénario des plus rocambolesques… «Une honte pour le pays», soupirent certains Béninois.
Un polar d'un autre genre
Le 21 octobre, trois proches du président Yayi Boni sont arrêtés pour avoir tenté d’intoxiquer le chef de l’Etat. Il y a d'abord Moudjaïdou Soumanou, ancien ministre du Commerce et de l'Industrie et directeur général de la Sodeco (Société pour le développement du coton). Ensuite, Ibrahim Mama Cissé, médecin personnel du président et aussi, Zoubérath Kora-Séké, la propre nièce de Boni Yayi, employée à la présidence.
Tous trois ont été inculpés pour «association de malfaiteurs et tentative d’assassinat». Des faits contestés par le médecin personnel de Yayi Boni.
L’avocat de Moudjaïdou Soumanou, de son côté, affirme que des aveux lui ont été extorqués sous la pression. Selon les explications données sur le site Internet du président, la nièce en aurait parlé à sa sœur, qui a «soufflé la puce à l’oreille» (sic) de Boni Yayi. Tous les regards se tournent, plus que jamais, vers l’homme qui est accusé d’avoir tout manigancé.
Patrice Talon est ainsi accusé d’avoir approché les trois personnes dans un hôtel de Bruxelles, les 16 et 17 octobre, durant les Journées européennes pour le développement (JED). Il leur aurait promis la somme faramineuse de 1 milliard de francs CFA (1,5 million d’euros) à chacune, contre l’empoisonnement du président —avec substitution de cachets prescrits au chef de l’Etat, des pilules radioactives au lieu d’analgésiques.
Selon la version donnée par l'entourage du chef de l'Etat béninois, ces médicaments radioactifs auraient été livrés à Cotonou par un mystérieux intermédiaire. Talon reconnaît avoir rencontré Zoubérath Kora-Séké à Bruxelles, «le lien familial» entre lui et Boni Yayi, avec lequel il aurait tenté une réconciliation. Pour le reste, il affirme s’être fait piéger.
L’affaire continue de rebondir: un garde du corps du président a été arrêté le 6 novembre, lui aussi, soupçonné d’avoir été soudoyé par Patrice Talon.
Accusations de complot tous azimuts
Mais s’il y a complot, est-ce vraiment celui que l’on croit? La question est lancinante au Bénin, où l’opposition dénonce une «grossière mise en scène». Yayi Boni, à 60 ans, estime avoir encore une longue carrière devant lui.
Elu une première fois en 2006 avec 75% des voix, il a été déclaré vainqueur avec 53% des suffrages, en mars 2011, à l’issue du premier tour d’un scrutin contesté. La Constitution du Bénin, qui limite à deux le nombre de mandats présidentiels successifs, a été respectée par Nicéphore Soglo (président de 1991 à 1996) comme par Mathieu Kérékou (président de 1972 à 1990, puis élu en 1996 et réélu en 2001).
Boni Yayi voulait-il faire trois mandats, quitte à lancer une nouvelle République pour «remettre les compteurs à zéro», comme l’a affirmé Patrice Talon?
Selon l’homme d’affaires, interrogé, fin octobre par RFI, un «tripatouillage constitutionnel» était en vue:
«Le président m’a sollicité pour que j’accompagne son nouveau projet politique, en utilisant mes relations, mes moyens pour obtenir auprès de l’Assemblée le nombre de députés qu’il faut pour voter ce genre de modifications qui nécessitent une majorité qualifiée. Mais j’ai résisté. Comme nous sommes des amis, j’ai pu quand-même lui faire comprendre que ce n’était pas indiqué, que ce n’était pas faisable, que ce n’était pas bien. Et même si j’avais voulu, ça n’aurait pas marché. Le peuple béninois est attaché à sa démocratie, donc j’ai refusé.»
Du coup, il a perdu simultanément deux marchés importants, sur lesquels il est accusé de détournements massifs de fonds. Le premier porte sur la gestion du programme de vérification des importations (PVI) au port de Cotonou, remporté après l’élection de 2011.
Une grosse part de gâteau, puisqu’il s’agissait de mettre de l’ordre dans la perception des taxes douanières du port. Le second avait conféré à Talon le monopole sur les intrants de la filière coton (graines, engrais, insecticides), après l’élection de 2006.
Point commun avec le Togo
Talon n’est pas le seul à se trouver dans le collimateur du pouvoir. Le secrétaire général de la Confédération générale des travailleurs du Bénin (CGTB), Pascal Todjinou, a été arrêté, le 17 octobre, pour défaut d’assurance sur sa voiture accidentée, puis relâché le 22 octobre.
Lionel Agbo, un ancien conseiller du président béninois est, quant à lui, poursuivi pour diffamation et offense au chef de l'État. Il a déclaré après avoir quitté son poste parce que Boni Yayi comptait «s'accrocher au pouvoir», et dénoncé «la grande corruption» au palais présidentiel.
Le Bénin paraît glisser sur la dangereuse pente du Togo, un voisin peu démocratique où Kpatcha Gnassingbè, ancien ministre de la Défense et demi-frère de l’actuel président, Faure Gnassingbè, a notamment été condamné à 20 ans de prison ferme en septembre 2011, pour une sombre histoire de complot.
Boni Yayi, qui a de bons rapports avec Faure Gnassingbè, a passé de longues années à Lomé, de 1994 à 2006, occupant le poste de président de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD).
Mais ce passé ne rend pas les deux pays comparables. L’ancien Dahomey a été aux avant-postes de la démocratisation des années 90, en tant que premier pays à faire une conférence nationale. Son opposition est toujours dynamique et le pays comprend des institutions de contre-pouvoir, parmi lesquelles une armée républicaine.
Seul point commun avec le Togo du clan Eyadéma: l’image présidentielle est de plus en plus présente à la télévision, avec un chef d’Etat qui occupe une bonne partie des journaux télévisés, ce qui n’était pas le cas sous Mathieu Kérékou.
Selon un commentateur béninois, les accusations de complot relèvent bien du «poison», et ne contribuent pas à un débat politique serein. Sa crainte:
«Plus le terme du mandat de Yayi Boni va approcher, plus il y aura des crises politiques. Va-t-il quitter ou pas le pouvoir?»
Yayi Boni a répondu plusieurs fois qu’il ne briguerait pas de troisième mandat. Mais peut-on lui faire confiance?
Les craintes d'une crise grave
Dans un jeu politique désormais brouillé, les concurrents à la succession existent, mais ne se sont pas ouvertement déclarés.
Parmi eux, Abdoulaye Bio Tchané, 60 ans, ancien président de la BOAD et ex-directeur Afrique du Fonds monétaire international (FMI), l’un des challengers de Yayi Boni en 2011. L’actuel Premier ministre, Pascal Koupaki, 61 ans, ancien ministre des Finances et du Développement, nourrit des ambitions présidentielles. De même que Léhady Soglo, 52 ans, fils de Nicéphore Soglo, déjà candidat en 2006.
Faut-il s’inquiéter de voir le Bénin sombrer dans une grave crise, à l’horizon des prochaines élections, en mars 2016?
Un autre commentateur béninois qui souhaite, lui aussi, garder l'anonymat, souligne:
«Cette série d’évènements donne l’impression d’un président qui perd un peu pied, qui n’a pas le contrôle de la situation. Boni Yayi donne une image du pays de plus en plus mauvaise, qui contraste avec sa réputation. Cette situation a plus à voir avec la personnalité du président qu’à une évolution structurelle au niveau du pays. Cela étant, la démocratie béninoise ne s’est pas renforcée ces dernières années. La Cour constitutionnelle, qui a joué un rôle très important par le passé, n’est plus perçue comme étant réellement indépendante de l’exécutif. Ce qui pourrait être un grave problème pour la suite.»
Alors qu’on s’interroge sur l’avenir, un grand maître du Fâ, l’art de la divination au Bénin, a d’ores et déjà annoncé que le successeur de l’actuel président serait un homme élancé et de teint noir. Boni Yayi, peut-être…
Sabine Cessou
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