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Dans les cuisines d'Appels sur l'actualité
Appels sur l'actualité est l'une des émissions stars de RFI. Depuis quinze ans, Juan Gomez et son équipe fidélisent des millions d’auditeurs, en grande majorité africains.
Le direct vient de se terminer, mais l’émission du lendemain est déjà dans toutes les têtes. Casques vissés sur les oreilles, téléphones en main: l’équipe d’Appels sur l’actualité s'affaire.
Si les sonneries sont incessantes —l'émission porte bien son nom— le niveau sonore de la pièce reste raisonnable. Une ambiance feutrée qui ne doit rien au hasard. Tous chuchotent pour éviter une cacophonie qui deviendrait rapidement insupportable.
Dans un recoin du bureau, Juan Gomez réfléchit à sa chronique pour la chaîne franco-allemande Arte. Une nouvelle casquette qu’il a endossé en septembre 2013, et qui consacre son succès d’animateur.
Peu connu du public français, Juan Gomez bat pourtant des records de popularité en Afrique. Dans son bureau, les signes de cette notoriété s’entassent. Un patchwork coloré de dessins, d’affiches ou de portraits offerts à l’animateur jouxte des dizaines de lettres de fans fixées au mur. Certaines s’adressent à One Gomez, d’autres à Wanne Gomesse.
C’est pourtant un courrier très court, précieusement accroché sur la lampe de son bureau, qui a le plus touché l’animateur. En 2008, Corneille, un auditeur de RDC, lui annonçait la naissance de son premier fils. Un nouveau-né prénommé Juan Gomez.
Des témoignages beaucoup plus révélateurs que les chiffres d’audience de l’émission, qui restent inconnus. Seule certitude, RFI est écoutée par plus de 40 millions de personnes. Et parmi ces fidèles, 82% viennent du continent africain.
«Un rêve de gosse»
Malgré l’engouement qu’il suscite chez son public africain, l’animateur assure garder «la tête sur les épaules»:
«L’essentiel de l’auditoire est loin, donc on se rend moins compte. Mais bien sûr, quand on se déplace en Afrique, on croule sous la demande d’autographes. Les gens veulent vous toucher et vous parler, c’est impressionnant.»
L’impact de l’émission en Afrique est considérable. Juan Gomez en a conscience. Mais les milliers de kilomètres qui le sépare de son public ne l’empêchent pas d’éprouver, tous les matins, une «certaine pression»:
«J’ai beau connaître les dossiers, tout le reste m’échappe. Je suis tributaire des lignes téléphoniques et des auditeurs. Mais c’est un stress positif», souligne l’animateur.
Avant d’ajouter, impétueux, que «quand on aime, on fonce».
82% des auditeurs de RFI viennent du
continent africain ©Claire Rainfroy, D.R.
Car la radio, Juan Gomez en rêve depuis l’âge de huit ans. «Un rêve de gosse», qu’il se félicite d’accomplir tous les matins.
«C’est un privilège, tous les jours, j’apprends quelque chose», insiste-t-il avant d’énumérer les sujets récemment traités.
Grève des fonctionnaires au Tchad, campagne électorale au Burkina Faso, sans oublier l’épineux dossier du Mali. Mémoire de l’actualité africaine de ces seize dernières années, Juan Gomez a vu certains sujets sortir du domaine du tabou:
«Je me souviens de plusieurs émissions sur le sida, il y a une dizaine d’années, où les auditeurs appelaient très peu. Mais ce sujet a fini par entrer dans les mœurs. Maintenant, il y a beaucoup plus de réactions et de débat.»
Les chefs d’Etat africains veillent au grain
L’émission se divise en deux parties. La première est dédiée aux questions des auditeurs. Un chapitre d’Appels sur l’actualité dont s’occupe Camille Deloche. Après le journal, Juan Gomez laisse débattre en direct les auditeurs, soigneusement sélectionnés par Nadia Imgharen.
L’interactivité est la marque de fabrique de l’émission. En témoigne la rengaine répétée chaque jour par Juan Gomez: «RFI vous donne la parole». Tous les matins, à 8h10, (temps universel), sa voix ronde accompagne les auditeurs.
Une grand-messe pour des millions d’Africains, mais aussi pour les dirigeants politiques, qui écoutent l’émission d’une oreille attentive. Et parfois, certains sujets agacent les hautes sphères africaines.
A l’image de ce chef d’Etat, qui s’est récemment plaint auprès de la direction de RFI. Pendant plus d’une heure, ce président s’est étonné de ne pas avoir été soutenu par plus d’auditeurs.
Des reproches que l’animateur balaye d’un revers de main:
«Ce genre de plaintes, on ne la considère pas comme une pression.»
Juan Gomez se défend de toute partialité politique. Et s’acharne à rester neutre:
«L’émission est le reflet des réactions reçues. On veille à ce qu’il y ait un équilibre entre les interlocuteurs et un maximum de points de vue divergents.»
«Un lien affectif fort»
La clé du succès, il l’attribue d’abord à RFI, et à «l’esprit service public» d’Appels sur l’actualité. Avant d’ajouter, quand-même, «y être, peut-être, pour quelque chose».
«Ma personnalité, ma façon de mener le débat, d’interrompre et de distribuer la parole sont sans doute appréciées», avoue-t-il.
Camille Deloche, son assistante, insiste sur la qualité des auditeurs:
«Leur curiosité et leur ouverture sur les questions internationales me frappe. Ils connaissent bien mieux la France que nous ne connaissons leurs pays.»
Et de poursuivre:
«Les auditeurs ont l’impression que toute la radio se bouge pour eux. Un journaliste ou un expert de RFI leur répond, en direct, pendant plus de cinq minutes. Ça crée un lien affectif fort.»
Juan Gomez préparant son émission Appels sur l'actualité. © Claire Rainfroy, D.R.
Dès 7h30 du matin, les téléphones commencent à sonner. Le rythme des appels s’accentue à mesure que le direct approche, pour atteindre son paroxysme lorsque Juan Gomez récite de façon quasi-religieuse le numéro du standard à l’antenne.
«Parfois, c’est la folie. Pendant la crise en Côte-d’Ivoire (en 2011, Ndlr), on a reçu un nombre phénoménal d’appels. Dans ces moments là, on se dit que c’est toute l’Afrique qui cherche à nous joindre», souffle Camille Deloche.
«Pas de raisons que ça s’arrête»
Résultat, les messages arrivent chaque jour par centaines. La préparation de l’émission repose sur une mécanique bien huilée. Tous les matins, l’équipe procède minutieusement à l’inspection des messages. Des questions et points de vue éparpillés sur le répondeur, la boîte mail ou encore sur la toute nouvelle page Facebook d’Appels sur l’actualité.
Et parfois, des témoignages incongrus se glissent dans ce flot de messages. Comme cet auditeur, qui écrit:
«Dieu m’a gratifié d’un appareil mobile, je vous en donne le numéro.»
Ou bien un autre, qui demande expressément à RFI de lui «faire parvenir un Iphone», le plus rapidement possible.
Les anecdotes sur l’émission, Camille Deloche les collectionne depuis neuf ans. Elle se souvient d’un auditeur mauritanien, propriétaire d’une boulangerie à Nouakchott, la capitale du pays. Indisponible à l’heure d’Appels sur l’actualité, ce boulanger s’était plié en quatre pour participer à l’émission.
«Il m’a raconté qu’il avait fermé sa boulangerie le temps de son passage à l’antenne. Il avait écrit sur un petit panneau “fermé pour cause de participation à Appels sur l’actualité. Je serai de retour dans 10 minutes.” C’était très touchant», se remémore celle que les habitués appellent «Madame Camille».
Depuis 1996, date du lancement de l’émission, le concept ne s’est pas essoufflé. Juan Gomez non plus, malgré un rythme effréné. Un emploi du temps qui s’est un peu plus chargé, avec l’arrivée de sa rubrique sur Arte.
Sa nouvelle chronique pour l’émission 28 minutes, lui confère un début de notoriété en France. Sous un tas de feuilles volantes, Juan Gomez dégage un article de presse qui lui est consacré.
«Ça fait toujours plaisir à ma mère», sourit-il.
Tout en gardant un œil sur le fil de dépêches de l’Agence France Presse, l’animateur vedette évoque une éventuelle passation de pouvoir.
«Ça durera le temps que l’émission a de l’impact et que je conserve cette envie», admet-t-il.
Mais que les fidèles se rassurent, le départ de Juan Gomez n’est pas à l’ordre du jour.
«Je garde cette flamme. Il n’y a pas de raisons que ça s’arrête tout de suite», assure l’animateur.
Dans le petit bureau d’Appels sur l’actualité, les sonneries des téléphones n’ont pas fini de résonner.
Claire Rainfroy
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