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Côte d'Ivoire: Ouattara sous le feu des défenseurs des droits de l'homme
Le président ivoirien, qui affirme vouloir instaurer un véritable Etat de droit, est reçu ce 4 décembre par le chef de l'Etat français, François Hollande, tandis que l’ONU et des ONG condamnent les atteintes aux droits de l’homme dans son pays.
Il ne se passe guère de jour sans que le régime du président ivoirien Alassane Ouattara ne soit indexé sur la question des droits de l'homme.
Le 26 octobre 2012, Amnesty international avait publié un rapport dénonçant des arrestations arbitraires et des tortures dans des camps militaires ivoiriens.
Quelques jours plus tard, Human Rights Watch et International Crisis Group avaient, à leur tour, accusé les FRCI d'exactions massives, arrestations et détentions arbitraires, traitements inhumains et cas de torture.
«Il est hors de doute qu'il y a eu des cas de détentions arbitraires, que des gens ont été mis au secret, de même que des gens ont été victimes de torture», affirme à son tour, le 1er décembre, à Abidjan, Ivan Simonovic, sous-secrétaire général des Nations unies chargé des droits de l'Homme. Nous avons des preuves de telles violations des droits de l'Homme (...) J'ai moi-même rencontré des victimes de torture, donc je peux confirmer qu'il y a eu de la torture.»
Le responsable onusien juge aussi «inquiétant» que la lumière n'ait pas encore été faite sur une attaque commise le 20 juillet contre un camp de déplacés proche de Duékoué (ouest du pays).
«Alors que, au moins huit personnes ont été tuées, beaucoup sont toujours portées disparues», ajoute t-il.
Le bilan officiel de l'attaque du camp, gardé par des Casques bleus de l'Onuci, faisait état jusque-là de six morts. Six autres corps, qui pourraient être ceux d'autres victimes, ont été exhumés, en octobre, d'un puits.
Des FRCI (Forces républicaines de Côte d'Ivoire) et des chasseurs traditionnels dozo sont soupçonnés d'avoir effectué cette descente sur le camp. Mais le chargé des droits de l'homme à l'ONU n'évoque pas le massacre de centaines de Guérés (ethnie dominante à l'ouest), fin mars 2011, à Duékoué, sous l'oeil de Casques bleus marocains qui étaient restés les bras croisés. Une tuerie à grande échelle qui ne fait toujours pas l'objet d'une enquête sérieuse.
L'exigence d'une justice impartiale
Même la France, l'ex-puissance coloniale accusée d'être en retrait dans la défense des droits de l'homme, s'inquière officiellement:
«Nous sommes préoccupés par ce que nous pouvons lire dans ces rapports», reconnaît Pascal Canfin, le ministre délégué au Développement, de passage, le 1er décembre, à Abidjan avec Pierre Moscovici, son collègue de l'Economie et des Finances, venus signer avec le gouvernement ivoirien un contrat de désendettement-développement de 630 millions d'euros.
Selon lui, la France sera «très attentive» sur «l'approfondissement de la réconciliation», même s'il s'agit d'un «processus complexe». «Nous ne sommes pas là pour donner des leçons», tempère toutefois Pierre Moscovici, après un entretien avec le président Ouattara.
Devant ce tir groupé d'organisations chargées de défendre les droits de l'homme, le régime d'Abidjan accuse le coup et tente quelques parades.
Le 28 octobre, le ministre de la Défense organise, pour les journalistes, une visite au pas de course de camps militaires d'Abidjan indexés comme lieu de tortures. Avec ce constat à la fin du parcours:
«Vous avez constaté qu'il n'y a rien.»
Plus sérieusement, le gouvernement, après avoir nié, admet de possibles «dérapages», puis reconnaît des «mauvais traitements» mais seulement lors d'arrestations d'hommes en armes.
En visite dans le Zanzan (est du pays), Alassane Ouattara monte à son tour au créneau, en se défendant de pratiquer la «justice des vainqueurs»:
«Il n’y pas de prisonniers politiques, martèle le président ivoirien (...) Des personnes ont été arrêtées sur le fait et déférées. Maintenant la justice doit faire son travail. Ceux qui ont été pris sur le flagrant délit sont en train d’être jugés, civils comme militaires.»
La Côte d'Ivoire est un «Etat policier», lui réplique Miaka Ouretto, le président intérimaire du Front populaire ivoirien (FPI), le parti de Laurent Gbagbo.
En finir avec l'Etat policier
En visite à Paris, sans le secrétaire général du FPI, Laurent Akoun, toujours détenu à Abidjan pour «troubles à l'ordre public», Miaka Ouretto a été reçu à l'Elysée par Hélène Le Gal, conseillère Afrique de François Hollande.
Devant les journalistes, il déroule un long chapelet d'accusations:
«Trente milles de nos camarades sont en exil, plus de cinq cents sont en prison. On compte plus de vingt milles réfugiés au Liberia ou en Guinée. Deux cent milles salariés pro-Gbagbo ont été licenciés. Les recettes fiscales s'amenuisent. Le pays est victime d'un affairisme criard. Nos dirigeants sont déportés.»
Mais, explique t-il, «nous sommes réalistes et nous voulons avancer sans rancune. Notre reconnaissance de Ouattara comme président est une question oiseuse. Quand je le vois, je le salue par ces mots "Excellence, Monsieur le président de la République". J'étais présent à son investiture. Il veut quoi encore? Il n'a qu'à ouvrir le jeu. Notre pays a besoin de ça.»
Le président intérimaire du FPI s'affirme prêt à ouvrir un «dialogue direct» avec Ouattara. A condition notamment que les prisonniers politiques soient libérés. Le président ivoirien est d'accord pour discuter, mais sans préalable. La réconciliation est en marche...
Philippe Duval
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