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DeLaVallet Bidiefono, le «pigeon voyageur» de la danse congolaise
Portrait de l'artiste congolais DeLaVallet Bidiefono qui combat, de Brazza à Paris, pour la danse contemporaine au Congo-Brazzaville.
«Le fou qui voyage» comme on le surnomme dans son quartier, ne s’arrête plus. Entre le spectacle 45 tours, co-écrit avec l’artiste David Lescot, trois tournées en Europe et en Afrique avec sa compagnie Baninga, DeLaVallet Bidiefono ne sait plus où donner de la tête, des pieds, des jambes. D’ailleurs, à peine l’interview commencée, son portable retentit. «Si vous avez un remède miracle contre la fatigue, je suis preneur!» sourit-il, d’un air las.
Pourtant, une fois sur scène, sa danse exprime une énergie dense, folle, DeLaVallet Bidiefono entre en transe.
Il l’a, son remède contre la fatigue ! Il l’a trouvé dans son pays qu’il porte en lui, le Congo-Brazzaville. « Je puise ma force dans le gravier, dans le sable, dans les matitis (les herbes folles) comme on dit chez nous, dans ma famille aussi. »
C’est dès le berceau, à Pointe-Noire où il est né en 1980, que la danse vient à lui. Ses parents tiennent un bar, le bien-nommé «La caravane». Le jeune DeLaVallet voyage dans ce lieu cosmopolite, où Congolais de la RDC, Français, Cubains, Russes, Rwandais se retrouvent pour boire un verre… et danser.
«J’attendais toujours avec impatience la nuit pour regarder les gens danser la rumba, du tchatchatcha, c’était mes moments préférés!»
Il admire ses parents qui enchaînent les pas, les rythmes, «quand je vois mon père danser, je me reconnais tout de suite!» s’exclame-t-il. Une famille qui swingue, la preuve, deux de ses frères font partie de sa compagnie de danse.
Le combat par la danse, son leitmotiv
À 12 ans, il forme son premier groupe et apprend sur le tas, en autodidacte. Au Congo-Brazzaville, les écoles de danse contemporaine n’existent pas, et les artistes ne peuvent compter ni sur les subventions, ni sur les droits d’auteur s’insurge DeLaVallet. Mais le plus dur reste de changer les mentalités.
Interview de DeLaVallet Bidiefono «La danse est double combat»
Même si aujourd’hui le regard des Congolais a évolué, avec la naissance de plus de cinquante compagnies de danse contemporaine dans tout le pays, rien n’est terminé.
Bousculer les idées reçues dans son pays, faire accepter une danse contemporaine viscéralement congolaise, loin «des colonisateurs», est un combat de longue haleine, presque contre soi-même. Ce combat commence dès son prénom: DeLaVallet.
«Avoir un prénom français, c’est être un enfant souillé, une malédiction au Congo ! soupire le danseur. Avant ma naissance, un ami français de mon père le pressait de me donner le nom de ses arrière-grands-parents (DeLaVallet), en gage d’amitié. Mon père refusait à chaque fois, à cause de la pression familiale. Et puis, je suis né dans une vallée… Alors mon père y a vu un signe et m’a appelé ainsi.»
Très jeune, le petit garçon doit affronter les moqueries à l’école, rentre à la maison en pleurs et veut changer de prénom.
Aujourd’hui, DeLaVallet Bidiefono a puisé dans son histoire et celle de son pays, pour bâtir avec David Lescot le spectacle 45 tours. 15 morceaux de 3 minutes, sous forme de 15 rounds pour raconter cette relation avec la France, un doux-amer «je t’aime moi non plus». Se nourrir l’un et l’autre par la violence et l’acceptation.
Interview de DeLaVallet Bidiefono: «Dans les coulisses de "45 tours"»
La danse est son exutoire dans un pays bâillonné mais sa source d’inspiration. Pour sa nouvelle création, Au-delà —qui sera présentée au Festival d’Avignon en 2013—, DeLaVallet Bidiefono s’interroge sur l’absurdité de la mort. Il se trouve à Brazzaville lors de l’explosion de Mpila, qui a fait près de 300 morts et plus de 2.000 blessés. Au souvenir de cette tragédie, il se tait. Ce qu’il ressent, c’est par la danse qu’il le dira.
Hélène Renaux
Spectacle "45 tours" au théâtre des Abbesses à Paris jusqu’au 21 novembre 2012.
"Où vers", le 23 novembre 2012 au CNCDC Châteauvallon et le 27 novembre au Manège, scène nationale de Maubeuge
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