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Qui tue qui en Guinée-Bissau?
Complots, assassinats et vraies fausses tentatives de coup d’État se multiplient en Guinée-Bissau ces dernières années. Voici un tour d'horizon des suspects et des bénéficiaires de ces violences.
À Bissau, l’assassinat est la continuation de la politique par d’autres moyens, pourrait-on dire pour paraphraser le théoricien de la guerre allemand Carl von Clausewitz. Dans ce mauvais western tropical les obstacles se surmontent les armes à la main et les problèmes sont écartés à coup de kalachnikov.
Un Président, deux ministres, trois chefs d’état-major, une poignée d’officiers supérieurs et quelques députés ont été tués entre 2000 et 2012. En douze ans, le système politico-militaire mis en place à l’indépendance par le Parti africain pour l'indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC) s’est transformé en une sorte de Cronos dévorant ses enfants. La classe politique instrumentalise l’armée qui à son tour se joue des responsables politiques. En résulte une instabilité croissante. Le complot, vrai ou faux, est devenu le baromètre des tensions entre les principaux acteurs d’un jeu sanglant qui a eu pour conséquence d’enterrer définitivement la démocratie.
L'exécution du président Vieira, le 2 mars 2009
L’assassinat le plus emblématique est celui qui s’est produit le 2 mars 2009. Le président Nino Vieira est exécuté dans sa maison et sous les yeux de son épouse par l’une des deux équipes envoyées par l’état-major. Le capitaine Pansau N’Tchama se vantera par la suite d’avoir appuyé sur la détente. Moins de vingt quatre heures plus tôt, le chef d’état-major, le général Batista Tagmé Na Waie venait de périr dans un attentat à la valise piégé. Les militaires rendent le président Vieira responsable de cette mort et se vengent. Voilà, la version officielle.
Mais la thèse est un peu simpliste. En effet, Nino Vieira savait que Tagmé Na Waie se méfiait de lui. Il n’ignorait pas non plus que le rapport de force ne lui était pas favorable, Tagmé ayant réussi à dresser l’armée contre le président. Nino n’avait pas les moyens de faire éliminer son ennemi sans y laisser sa vie. Par ailleurs, le président était tranquillement chez lui lorsque les commandos de tueurs sont venus. S’il avait été, de près ou de loin, mêlé à cet attentat, il aurait pris des dispositions et renforcé sa garde personnelle. En revanche, il avait, dans la journée, envoyé des émissaires à l’état-major pour y voir plus clair à propos de la mort du général.
- Les suspects:
-Pansoa N’tchama : Plus que suspect, il est le coupable. Juste après les évènements, il est envoyé à Lisbonne par l’état-major et reçoit une bourse du gouvernement portugais pour suivre une formation militaire. Il devenait encombrant à Bissau, se pavanant en ville avec les effets personnel du défunt président, comme sa gourmette en or. Un meurtrier «bling bling», pour une démocratie «bang bang».
-Colonel Antonio Indjaï. L’adjoint de Zamora Induta et donc de Tagmé Na Waie a dépêché le premier commando chez le Président, celui de Pansoa N’Tchama. Avait-il donné l’ordre de tuer le Président? Peu de personnes en doutent à Bissau même si aucun n’ose le dire publiquement. Il n’y a pas que les morts qui se taisent.
-Lieutenant général Zamora Induta, chef d’état-major en second. C’est lui qui a dépêché le deuxième commando arrivé sur place. Moins rapide qu’Indjaï mais tout aussi déterminé…
-Carlos Gomes Junior: accusé par certains d’être le commanditaire du meurtre afin d’en tirer les bénéfices politiques. Brouillé avec Vieira, il était à l’époque Premier ministre et de facto principal adversaire politique de ce dernier. Celui que l'on surnomme «Cadogo» n’a jamais rien fait pour que la justice puisse punir les coupables.
- Les bénéficiaires indirects:
-Malam Bacaï Sanha et Kumba Yalla. Les deux dinosaures du marigot politique avaient à l’époque toutes les raisons d’en vouloir à Vieira. Le premier tentait de récupérer le PAIGC à son profit. Le second a toujours soupçonné le Président d’avoir joué un rôle actif dans son éviction en 2003.
-José Sócrates Carvalho Pinto de Sousa. Le Premier ministre portugais et plus généralement les dirigeants portugais ont applaudi en douce la disparition de Vieira. Dès l’indépendance de la Guinée-Bissau, le Portugal joue en effet un rôle dans les crises que traverse le pays africain. Lors du soulèvement de l’armée contre Nino Vieira, en 1998, Lisbonne a soutenu les insurgés. Certains cercles lisboètes n’ont jamais pardonné à Nino la lutte pour la libération et la douloureuse guerre perdue par le Portugal.
La mort de Batista Tagmé Na Waie, le 1er mars 2009
- Les suspects
-Le vieux soldat balante avait beaucoup d’ennemis. À commencer par José Américo Bubo Na Tchuto, officier de la marine.
-Les cartels de la drogue. Tagmé avait lancé une opération main propre et - au moins publiquement - il faisait la chasse aux narcos. Le mode opératoire de son assassinat (une valise piégée) appuie la thèse d’un complot des trafiquants de drogue.
- Les bénéficiaires
-Ses adjoints, Zamora Induta et Antonio Indjaï. Ils ont chacun monté d’un rang à l’état-major. Zamora devient le grand patron, Indjaï est son adjoint. En 2010, le second écarte le premier pour devenir premier… Un schéma classique à Bissau où la devise nationale pourrait se résumer par cette phrase: «Si tu veux savoir qui je suis, dis moi qui tuer».
-Lisbonne : Le Portugal entretenait des relations difficiles avec le chef d’état-major qui voulait réduire l’influence portugaise au sein de l’appareil militaire. Il s’appuyait d’ailleurs pour cela sur son ministre de la Défense, Helder Proença qui sera assassiné quelques mois plus tard.
Car à peine trois mois après la mort de Nino Vieira le bain de sang se poursuit. Deux personnalités influentes du monde politique sont à leur tour assassinées. Il s’agit de Baciro Dabo et de Helder Proença. Le premier était candidat à la présidentielle, le second ancien ministre de la Défense. Les deux sont tués par un commando militaire et le ministère de l’Intérieur se justifia en accusant les responsables politiques de comploter en vue de prendre le pouvoir. Bissau ressemble alors au Moscou de Staline. Les purges au sein de l’appareil politico-militaire se font à coup de revolver.
La mort de Baciro Dabo et Helder Proença, le 5 juin 2009
- Les suspects
-Un coupable, l’armée et un suspect, Carlos Gomes Junior, le Premier ministre. A-t-il voulu écarter définitivement des hommes influents, notamment au sein du PAIGC? Une chose est certaine, jusqu’à présent les enquêtes diligentées par le procureur de la République n’ont rien donné. C’est fou ce qu’il est difficile d’y voir clair dans les eaux sombre du Rio Geba, le fleuve qui traverse le pays...
- Les bénéficiaires
-Le Portugal, une fois de plus, qui à l’époque soutient activement Carlos Gomes et voulait écarter ceux qui comme Helder Proença dénonçait l’ingérence de l’ancienne puissance coloniale dans les affaires intérieures.
La mort d’Ansumane Mané, le 30 novembre 2000
Parmi les morts emblématiques de ces dernières années, figure le célébrissime Ansumane Mané, sorte de héros mandingue de l’épopée anti-coloniale des années 60-70. Considéré comme le glaive de Nino Vieira, il a joué un rôle de premier plan lors de la prise de pouvoir par ce dernier en 1980. En 1998, Nino le révoque de ses fonctions de chef d’état-major pour son implication supposée dans un trafic d’armes avec les rebelles casamançais.
Débute alors une insurrection militaire qui verra Vieira quitter le pouvoir. Deux ans plus tard, Koumba Yalla est élu président. Mais Mané reste omniprésent et veut continuer à contrôler les troupes. Alors que Kumba Yalla nomme à la tête de l’armée le général Verissimo Seabra Correia, Ansuman Mané dénonce cette promotion et se proclame seul chef de l’armée. Le 23 novembre 2000 des combats éclatent entre les hommes d’Ansumane Mané et ceux fidèles à Kumba Yalla. Le 30 novembre, Mané est tué.
- Les suspects
-Verissimo Seabra Correia, le chef d’état-major nommé par Kumba Yala voulait-il la mort de celui qu’il estimait? Difficile à dire. Mais, même entre frères d’armes une guerre reste une guerre, ce qui fait forcément des dégâts.
-Kumba Yalla. Ce premier mort de l’ère Kumba ouvre un boulevard aux membres de l’ethnie balante qui reviennent en force, à la fois à la tête de l’administration et à la tête de l’armée. Débarrassé de l’encombrant mandingue, Kumba Yala peut enfin imposer son pouvoir.
L’état de grâce ne durera pas longtemps et l’erratique Kumba Yalla lasse très rapidement ses compatriotes. Verissimo Seabra Correia, alors chef d’état-major dépose sans tirer un seul coup de feu (un exploit) Kumba Yalla. Henrique Rosa devient président intérimaire. Quelques mois plus tard, des soldats balantes outrés de voir le pouvoir échapper à leur ethnie arrêtent Verissimo et le battent à mort. Pas de coup de feu non plus. Sans doute était-il écrit quelque part que Verissimo n’aimait pas le bruit des armes…
La mort de Verissimo Seabra Correia, le 6 octobre 2004
- Les suspects
-La branche balante de l’armée a-t-elle manipulée un groupe de soldats pour éliminer le bourreau de «leur» Président? Fort probable…
-Kumba Yalla. Même s’il n’a fait qu’observer les évènements de loin, il n’a pas dû pleurer le lynchage de son ancien ministre…
La mort de Samba Djalo, le 18 mars 2012
Si le vent frais du matin annonce immanquablement l’aube, l’assassinat en Guinée-Bissau annonce toujours des bouleversements profonds. Ainsi le 18 mars 2012, le colonel Samba Djalo est tué d’une rafale de mitraillette alors qu’il se désaltérait tranquillement au bar en face de chez lui. Il n’y a pas que l’abus de «cerveja» (bière) qui est dangereux. Il est à peu près 23 heures et le pays vient de voter pour le premier tour de l’élection présidentielle.
Ce règlement de compte a empêché toute la classe politique de dormir car Samba Djalo n’était autre que le chef des renseignements militaires et principal allié du commandant Zamora Induta, un ex-chef d’état-major très proche du Premier ministre sortant et principal candidat à la présidentielle, Carlos Gomes Junior. Un fil s’est rompu et une chape de plomb s’abat sur Bissau où chacun suppute sur les chances de survie de ce dernier. Moins de trois semaines après le meurtre, l’armée interrompt le processus politique, et Carlos Gomes est obligé de quitter le pays.
- Les suspects
-Antonio Indjaï. Le chef d’état-major figure au premier rang des suspects. Bien qu’il se cache durant le coup de force du 12 avril, c’est bien lui qui réapparaît à la tête de l’armée pour assumer le coup de force.
-Kumba Yalla. L’ex-président prépare depuis des mois la revanche des Balantes et ne souhaite pas que le processus électoral puisse aller à son terme. La mort de Samba Djalo déclenche un processus censé ramener au pouvoir le Parti pour la rénovation sociale (PRS) de Kumba Yala. Quel rôle a-t-il joué dans tout cela?
La mort d’Almicar Cabral, le 20 janvier 1973
Pourquoi une telle violence a pu s’installer au sein du pouvoir bissau-guinéen? Impossible de répondre à cette question sans se souvenir que «le ver est dans le fruit» depuis l’origine. Almicar Cabral, l’emblématique héros de la résistance et chef du maquis bissau-guinéen, est assassiné le 20 janvier 1973, six mois avant l’indépendance de son pays. Des membres de son parti, le PAIGC, avouent le crime. A l’époque, Cabral vit à Conakry et, fait étrange, le président Sekou Touré fera disparaître toutes les pièces à conviction.
- Les suspects
-Le général Antonio de Spinola. Le militaire portugais dirige alors les opérations militaires contre les rebelles de Cabral. Il voulait sa mort. L’a-t-il orchestrée? A-t-il manipulé les membres du PAIGC qui sont passés à l’acte?
-Ahmed Sekou Touré. Pourquoi le président guinéen n’a jamais souhaité élucider la mort de celui qui faisait figure de héros du peuple bissau-guinéen? Il était proche idéologiquement de Cabral et voulait créer avec lui une union des deux Guinée. A-t-il voulu simplement couvrir des complicités au sein de son régime?
Ce bref aperçu historique permet de comprendre que dans système bissau-guinéen, la symbiose entre la classe politique et l’armée engendre une violence devenue au fil des ans incontrôlable. La seule question qui intéresse les Bissau-Guinéens est de savoir comment sortir de ce système qui vampirise le pays?
Alex Ndiaye
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