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L'Afrique, grande oubliée de la campagne américaine
Grâce à ses étudiants, le romancier et professeur djiboutien Abdourahman Waberi a suivi de près la campagne américaine. Où l'Afrique n'est presque jamais évoquée.
Mise à jour du 7 novembre: Barack Obama est réélu président des Etats-Unis en remportant plus de 270 grands électeurs necessaires. "Quatre ans de plus" a tweeté le président sur son compte personnel.
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A la fin du mois d’août 2012, je suis arrivé à Washington où j’ai pris mes fonctions à l’université George Washington, un établissement au cœur des institutions politiques, économiques et culturelles de la capitale américaine. Mon université a maints atouts dans sa besace, mieux elle est très enviée pour sa position stratégique. Ce n’est pas un hasard si elle a fait des relations internationales un de ses domaines d’excellence.
Après tout notre campus principal - dans le quartier historique de Foggy Bottom - n’est qu’à quelques blocs de la Maison Blanche et des grandes organisations internationales comme la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI), si décriés en Afrique. La direction du Département d’Etat ainsi qu’une foule de fondations publiques ou privées et une nuée d’ambassades tissent un réseau performant de nœuds conviviaux et professionnels avec l’ensemble de la communauté universitaire.
Etudiants infiltrés à la Maison Blanche
Une de mes étudiantes fait un stage à la Maison Blanche et me parle souvent de la gentillesse et du charisme de Michelle Obama. Une autre suit de près la campagne pour l’élection sénatoriale qui se joue dans l’état du Massachusetts entre Elizabeth Warren et le gouverneur sortant soutenu par le candidat républicain, Mitt Romney. Mon étudiante travaille pour Elizabeth Warren. Cette ancienne conseillère spéciale du président Barack Obama a eu pour mission la création d'une nouvelle agence de protection des consommateurs.
Elle fut par le passé procureur et professeur de droit à Harvard, et si elle jouit d’une importante côte de sympathie dans les rangs des progressistes, elle est détestée par les conservateurs et par les milieux financiers. J’ai enfin d’autres étudiants qui font du porte-à-porte pour le président actuel ou consacrent un peu de leur temps libre pour servir des repas chauds aux sans-abris, souvent noirs, qui écument la capitale de l’état le plus puissant de la planète.
En conversant avec mes étudiants je fais collection, parfois à mon insu, de ces petits détails qui font le sel de la vie américaine la plus ordinaire. Pour être physiquement proches du pouvoir politique et médiatique qui se concentre dans le fameux district de Columbia, mes étudiants ne sont pas pourtant dupes.
L'absence du monde
Ils n’ignorent rien des distorsions et des travestissements que le poids de l’argent et la dictature de la télévision font peser sur le cours démocratique des choses. Ils s’en moquent ouvertement. Quand le candidat républicain déroule ses muscles rhétoriques de bateleur nixonien, ils sourient la première fois puis éclatent de rire dès la reprise de son sempiternel refrain.
D’un rire franc qui signifie clairement:
«Non, Mr le gouverneur, c’est trop facile. On ne le fait pas à nous!».
Et quand le président leur lance des coups d’œil prétendument complices, ils usent de la même arme. Déclenchant un rire sonore qui dit cette fois:
«Arrêtez M. le Président, vous avez souvent tiré sur cette corde sensible!».
Plus sérieusement, il y a un sujet qui inquiète mes étudiants - bien plus jeunes et plus idéalistes que la majorité de leurs concitoyens - dans le déroulement de cette élection. Ce motif d’inquiétude n’est pas autre que le provincialisme américain ou plus exactement l’absence du monde.
Leur pays, fondé par des immigrants, reste sourd, aveugle et muet dès qu’il s’agit de parler du reste de la planète. Ce n’est pas un hasard si les grandes questions écologiques sont à peine évoquées par les deux candidats – le Démocrate montrant cependant une plus grande appétence pour les ressources énergétiques renouvelables que son adversaire républicain plus proche des lobbys du pétrole.
Ni Europe ni Afrique
Ce n’est pas faire injure à l’Union Européenne que de noter qu’elle demeure la grande absence des grands débats qui ont vu les deux candidats et leurs vice-présidents s’affronter. Et si le nom de la pauvre Grèce ou de l’infortunée Espagne est prononcé, il est invariablement synonyme, pour Mitt Romney, de repoussoir criblé de dettes himalayesques et guetté par la famine.
Sans surprise, la communauté internationale, dédaigneusement connotée par le nom de l’ancien secrétaire général des Nations unies Kofi Annan, ne trouve pas grâce aux yeux du candidat républicain.
Il est une carte du monde qui a circulé parmi mes étudiants au lendemain du troisième et dernier débat. Réduit aux dimensions d’un timbre-poste, le monde qui a été évoqué lors de la dernière phase de la campagne électorale se résume à trois I Iran-Israël-Iraq (l’Iran et sa menace nucléaire; Israël et le soutien indéfectible de la part de Washington; l’Iraq ou comment maintenir sinon réduire sa présence militaire).
Bien sûr, d’autres noms (la Syrie, l’Arabie Saoudite, l’Egypte, la Tunisie ou la Libye) ont traversé les lèvres des deux candidats. Seule la Chine s’invite lors des débats et marque de son empreinte les questions économiques.
Et l’Afrique subsaharienne, me diriez-vous? Pas un mot sur le géant nigérian ou sur la croissante à deux chiffres de certains pays africains. Seuls le Mali et la Somalie ont été cités furtivement. Dans les deux cas, il était question de terrorisme et d’islamisme – ce qui est loin d’être un péché véniel.
Après le passage de l’ouragan Sandy, la campagne a repris ses droits. Il ne reste plus que six jours pour les deux candidats pour convaincre les indécis. Il faut espérer que le nouveau président qui sortira des urnes le 6 novembre sera plus présent au monde que lors de cette campagne qui reste, avec ses 6 milliards de dollars, la plus coûteuse de l’histoire américaine.
Abdourahman Waberi, de Washington DC
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