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France-Algérie: la guerre des bras d'honneur
Dernier fait d'armes, un ex-ministre sarkozyste de la défense brandit un bras d'honneur en guise de réponse au débat sur la repentance et les méfaits de la colonisation. Les arguments volent de plus en plus haut.
1er novembre 1954, l'Algérie déclenchait une nouvelle révolution armée, couronnée de succès cette fois-ci puisqu'elle allait conduire à l'indépendance en 1962.
58 ans après, les choses ne se sont pas vraiment tassées en France, où les négationnistes sont nombreux et les nostalgériques constituent un lobby politique relativement puissant. Mais le pouvoir a changé et Sarkozy est parti, au Maroc.
Aujourd'hui, la France veut une nouvelle guerre, au Mali, mais doit passer par l'Algérie, qu'elle a perdue en 1962. Comment s'allier l'ex-colonisé tout en niant le fait colonial? Grand exercice de style auquel le nouveau président Hollande tente de se prêter, reconnaissant quelques épisodes sombres de la répression coloniale tout en évitant de se prononcer sur l'ensemble de l’œuvre de dépossession.
Si Paris vaut bien une messe, Alger vaut bien une génuflexion.
Précis de nostalgie
Mais finalement, qui est Sarkozy ? Premier président français d'origine étrangère, il aura pendant les 5 ans de son bref règne, coagulé autour de lui une bonne partie de réactionnaires qui pour la plupart sont restés nostalgiques de l'époque coloniale.
Sarkozy dégagé, la schizophrénie française reste, à tel point que même François Hollande, probablement dans un geste d'ouverture, fait resurgir l'affrontement. Il nomme au ministère des anciens combattants, un Algérien, Kader Arif, passé de l'autre côté de l'espace-temps par le vortex de l'indépendance algérienne.
Né le 3 juillet 1959 à Alger, il s'exile en France en 1962, ses parents ayant ouvertement choisi le camp de la civilisation contre les barbares et les indépendantistes. Pour Kader Arif, devenu Français entre temps, c'est très clair, il n'est pas question de repentance, pendant que pour Chérif Abbès, ministre algérien des anciens combattants, il n'est question que de cela.
50 ans après la fin de la guerre, deux homologues algériens, séparés par la ligne de démarcation de l'histoire, se font face et campent sur leur positions. Mais où sont les Français? Dans l'anachronisme.
L'Algérie française
C'est au Sud, rive Nord de la Méditerranée, que Christian Estrosi, député-maire de Nice, lance à la fin d'un discours le 20 octobre dernier, un anachronique «vive l'Algérie française», comme si son compteur s'était arrêté en 1960. Contrairement au sang, le temps n'a pas coulé, et devant un parterre de convaincus, ce proche de Nicolas Sarkozy, tire la conclusion de 50 ans de débats.
Mais pourquoi cette difficulté à reconnaître l’œuvre «décivilisatrice» de la France? Parce qu'il s'agit d'Algériens et non d'Algérie, et comme le sous-entendait Claude Guéant, autre ministre de Sarkozy, ceux-ci sont placés dans une classe inférieure dans l'évolution des civilisations, qui sont, d'après lui, inégales. Lui aussi est parti, mais lui aussi a oublié de tirer la chasse.
Le bras et l'honneur
La guerre n'est pas terminée, le dernier fait d'armes en cette commémoration du déclenchement de la révolution d'indépendance est venu d'un ministre français de Sarkozy et pas des moindres puisqu'il s'agit de celui de la défense.
Gérard Longuet, ne se sachant pas filmé, lance le 31 octobre un bras d'honneur en guise de réponse à la repentance. Il dévoile ainsi la teneur réelle du débat et la somme des arguments attendus. Au delà de l'élégance, de la finesse et de cette french touch si prisée dans le monde, ce bras d'honneur se veut un discours politique pour en finir avec l'hypocrisie d'une amitié retrouvée.
Mais pourquoi tant de haine alors que le monde entier reconnaît que le colonialisme, contrairement au vaccin contre la tuberculose est une très mauvaise invention? L'anachronisme encore, par un étrange revirement de l'Histoire, la France, depuis Sarkozy, a préféré rester dans la cour sombre et humide du Roi Soleil. Le soleil rend le teint plus bronzé, pas bon pour la grandeur française.
Chrétien mais pas crétin
Repentance? Non, mauvais concept. Pourtant, Sarkozy et ses amis aiment bien rappeler la tradition chrétienne de la France et la repentance est bien un concept très catholique. Pourquoi un bras d'honneur?
Finalement, peut-être qu'il ne s'agit que de religion. D'ailleurs, on aurait pu admirer le courage de Gérard Longuet s'il avait fait le même geste aux Juifs quand son propre État reconnaissait la responsabilité et les crimes de la France envers la communauté juive. En fait, tout est là, il n'est pas question d'histoire mais de rapport de forces. Celui-ci étant variable, la guerre n'est donc pas encore terminée.
Chawki Amari
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