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Moutons à Tunis le 25 octobre 2012. Reuters/Zoubeir Souissi
Moutons à Tunis le 25 octobre 2012. Reuters/Zoubeir Souissi

Algérie: Faut-il sacrifier le peuple ou le mouton?

Le chroniqueur Kamel Daoud prend le prétexte de la récente célébration de l'Aïd-el-kébir pour rappeler que l'Algérie demeure un pays où il est plus facile de choisir son mouton que son président.

Le sang a coulé en Algérie. Pas celui des Algériens, mais celui des moutons, grand produit dérivé des monothéismes qui ont remplacé le sacrifice humain par le geste de la substitution d'Abraham.

On s’imagine un peu si le pays avait égorgé 200.000 moutons à la place de 200.000 personnes durant les années 90 quand le FIS (Front islamique du salut) avait cru avoir fait un rêve mystique.

Le mouton étant l’élu qui meurt à la place de l’Algérien comme l’élu vit à la place de l’Algérien d’aujourd’hui. Le geste abrahamique étant justement destiné à atténuer le sang par le symbole et à canaliser la violence de la condition humaine par dérivation sur la condition animale.

Sauf que l’Algérien des années 90, éradicateur ou terroriste islamiste, a fait le contraire d'Abraham: du haut de la montagne des visions, face au choix entre le mouton descendu du ciel et le fils venu du ventre de la terre, il préféra sacrifier la terre et égorger l’homme pour croire plaire à son Dieu. L’histoire étant d’abord un mythe qui essaye de se réactualiser sous forme d’utopie, d’ancêtres, de Jérusalem céleste, de la cité de Dieu ou du Français de souche.

Nostalgiques de Boumédiène et de l'Etat tuteur

Du coup, une parenthèse sur l’un des grands mythes politiques algériens: le boumediénisme (Houari Boumédiène, deuxième président de la République algérienne). Il est ambiant, sous le mot, derrière la nostalgie ou la promesse.

Les Algériens, même ceux nés après Chadli (président de la République 1979-1992), ont cette nostalgie de l’ordre, de l’Etat tuteur et propriétaire, de l’homme sévère, dur, juste et autoritaire. Le pays slalome d’ailleurs entre deux grands pôles: le chaos alias le désordre, et le boumediénisme, alias le régime.

Le régime a d’ailleurs bien joué sur ces idées pour faire passer la démocratie pour un appel au chaos. Mais le boumédiénisme n’est pas seulement une manipulation des esprits et de l’électorat rural. Même les hommes du régime en rêvent. Les uns voulant incarner son pouvoir militaire dans la clandestinité des «Services», les autres, dans son charisme diplomatique.

Pour sa campagne électorale de 1999, Abdelaziz Bouteflika a d’ailleurs succombé au mimétisme jusqu’à la caricature et son slogan a été le «retour» de l’Algérie sur la scène internationale. Noter le mot «retour» et pas conquête. Personne ne se réclame de Chadli ou de Zeroual (président de la République 1994-1999) et encore moins de Boudiaf (président de janvier à juin 1992), tous veulent se réclamer de Boumediene, de son autorité et de son burnous.

A défaut de choisir leur président...

L’homme politique a pourtant été un désastre économique, mais les Algériens n’en retiennent que la stature et l’époque bénite de la dignité collective. Une preuve? Lorsque la force publique, sous le règne de Sellal premier a réussi à dégager les jardins publiques, les espaces verts, les trottoirs et les devantures des immeubles squattées par les revendeurs clandestins, les Algériens, les plus vieux ont soupiré de nostalgie:

«C’est comme durant les années 70», a dit un vieux retraité.

Et les jeunes ont regardé avec curiosité cette époque en réédition momentanée. D’ailleurs, les Algériens semblent être aujourd’hui tellement en attente d’ordre et de régulation qu’ils ne se sont pas soulevés quand les Bouazizi ambulants ont été chassé.

D’ailleurs, pour eux, Boumediene est un homme qui a été dépecé en plusieurs morceaux après sa mort. Mais depuis, le temps et le sang ont coulé, justement. Les Algériens n’élisent toujours pas leurs présidents mais peuvent choisir leurs moutons et les sacrifier à la place de leurs fils, voisins, proches et passants.

Cette évolution sur le dos des ovins n’est pas irréversible. Elle reste fragile, douteuse, déséquilibrée et menacée. Il suffit de rien pour que l’homme croit entendre le ciel lui demander de tuer le prochain au lieu de sacrifier l’animal. On le voit un peu partout dans le monde: les faux fils d’Ibraham tuent au Mali comme ailleurs. Autant que les faux fils de Moïse.

Kamel Daoud (Algérie Focus)

 

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Kamel Daoud

Kamel Daoud est chroniqueur au Quotidien d’Oran, reporter, écrivain, auteur du recueil de nouvelles Le minotaure 504 (éditions Nadine Wespieser).

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