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Guinée: l'armée, un risque difficile à maîtriser
Le président guinéen, Alpha Condé, a limogé les militaires de son gouvernement, le 5 octobre. Mais les officiers, jadis au pouvoir, restent influents dans le pays.
Mise à jour du 26 octobre 2012: Les créanciers du Club de Paris ont accordé "l'annulation quasi-totale" de sa dette à la République de Guinée, soit 365 millions de dollars, dans le cadre de l'initiative en faveur des pays pauvres très endettés, ont-ils annoncé le 25 octobre.
"Afin de contribuer à restaurer la soutenabilité de la dette de la République de Guinée, les créanciers du Club de Paris ont décidé d'annuler 356,3 millions de dollars, ce qui représente l'effort d'annulation incombant au Club de Paris dans le cadre de l'initiative PPTE (pays pauvres très endettés) renforcée", indiquent-ils dans un communiqué.
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Le 27 septembre, à la veille de la commémoration du massacre du 28 septembre 2009, qui avait fait 157 morts et une centaine de femmes violées dans un stade de Conakry, une délégation de la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH) a eu un long entretien avec le président Alpha Condé.
Pendant deux heures, la FIDH a insisté sur la nécessité de sortir les militaires du gouvernement, afin que les enquêtes ouvertes par la justice guinéenne puissent suivre leur cours.
Le 5 octobre, c’était chose faite. Les généraux Mamadouba «Toto» Camara, ministre de la Sécurité et de la Protection civile, Mamadou Korka Diallo, ministre de l’Elevage, et Mathurin Bangoura, ministre de l’Urbanisme et de l’Habitat général, ont plié bagage.
Mais, Mamadouba «Toto» Camara, surnommé «autorité» par ses cadets, reste l’un des gradés les plus influents de l’armée.
Cet ancien chef d’état-major adjoint de l’armée de terre, très populaire auprès de la troupe, représente un gage de paix à lui tout seul.
Ancien de Saint-Cyr, il a été le numéro trois de la junte de Moussa Dadis Camara (2008-2009).
Il a ainsi pu tirer discrètement les ficelles derrière le capitaine fantasque, occupé à ses «Dadis shows», avec l’aide de l’ancien numéro deux de la junte, Sékouba Konaté (un ministre de la Défense devenu ensuite président de transition par intérim).
Démagogie et népotisme
Mamadouba Toto Camara a toujours été le premier à préconiser une réforme profonde de l’armée, sans vraiment joindre l’acte à la parole.
Lorsqu’Alpha Condé l'a flanqué de Mouramany Cissé, un ministre délégué de la Sécurité chargé de la réforme des services de sécurité, il aurait si vivement protesté qu’il a été promu ministre d’Etat… Et il n’aurait «accepté» de partir pour être remplacé par Mouramany Cissé qu’après avoir négocié l’entrée de son épouse au sein du nouveau gouvernement. C’est ainsi que Mimi Koumbassa a été nommée ministre déléguée aux Affaires sociales...
Désormais, il ne reste plus qu’à «dégager» le colonel Claude Pivi et le lieutenant-colonel Moussa Tiégboro Camara, incriminés par le rapport d’enquête des Nations unies sur le massacre du 28 septembre 2009.
Deux hommes de l'ancienne junte de Moussa Dadis Camara que Sékouba Konaté, président par intérim entre janvier et novembre 2010, aurait imposés à Alpha Condé. Ce dernier devrait, selon nos informations, s’en débarrasser par décret.
Moussa Tiégboro Camara a déjà été inculpé par la justice guinéenne le 1er février 2012. Il se défend en rappelant qu’il a nettoyé son pays des «narcos», ces cartels latino-américains qui avaient pignon sur rue à Conakry dans les dernières années du régime de Lansana Conté.
Ces vastes organisations criminelles ont déstabilisé la Guinée-Bissau et contribué à la crise politique au Mali. Il n’empêche: Moussa Tiégboro Camara, l’actuel patron de l’Agence nationale contre le trafic de drogue, pourrait perdre son poste, de même que Claude Pivi, le chef de la garde présidentielle.
Un pas dans le bon sens, du point de vue des défenseurs des droits de l’homme, mais aussi un facteur potentiel de déstabilisation avant des élections législatives qui tardent à être organisées.
Claude Pivi sera-t-il ou non inculpé? Cet officier influent reste dans tous les cas dans le collimateur de la justice internationale. La Cour pénale internationale (CPI), qui a fait des missions en Guinée, n’interviendra que si le manque de volonté et d’avancées de la justice guinéenne devient flagrant…
Or, le statu quo politique en Guinée impose aux pouvoirs exécutif comme judiciaire de manipuler l’armée avec une main de velours. Des semaines de tractations vont sans doute précéder les départs de Tiégboro Camara et Claude Pivi.
Vieillissement et indiscipline
Alpha Condé, échaudé par l'attaque au lance-roquettes menée par des militaires, le 19 juillet 2011, contre sa résidence de Kipé, une banlieue de Conakry, a procédé à une réforme graduelle de l’armée.
Une armée guinéenne vieillissante et indisciplinée qui compte plus de gradés que de soldats. Lentement mais sûrement, il a remplacé par décret les responsables de l’état-major, et réussi l’exploit de faire partir 4.000 soldats à la retraite, à grands renforts de sacs de riz largement distribués.
Mais la grande muette continue de sévir en toute impunité, maintenant l’ordre à sa façon —en tirant dans le tas comme à Nzérékoré (sud-est de la Guinée), en août 2012, où la répression d’une manifestation a fait cinq morts parmi les civils.
«Il y a du mécontentement dans l’armée», note Aliou Barry, président de l’Observatoire national de la démocratie et des droits de l’homme (ONDH).
Mais à son avis, «l’instabilité vient plutôt des multinationales opérant dans le secteur minier».
En décidant de revoir les contrats miniers et en changeant les règles du jeu, Alpha Condé a provoqué la colère de grands groupes: Rio Tinto (un groupe anglo-australien qui a beaucoup investi pour extraire à partir de 2015 du fer de Simandou, le plus important gisement de ce minerai au monde), Rusal (un groupe russe qui exploite une usine d’alumine et de bauxite à Fria, à l’arrêt depuis avril en raison d’un conflit social) et BHP Billiton, une autre société anglo-australienne qui a décidé cette année de quitter la Guinée.
Sabine Cessou
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