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L'émir du Qatar et le roi du Maroc, Marrakech, 25 octobre 2002. © ABDUL LAZRAK / AFP
L'émir du Qatar et le roi du Maroc, Marrakech, 25 octobre 2002. © ABDUL LAZRAK / AFP

Le Maroc dans la nasse du Qatar

La crise fait du royaume l'obligé des riches monarchies arabes dont l'insatiable émirat du Qatar. Bonne ou mauvaise nouvelle?

Il est loin le temps où le Maroc bombait le torse face à «la tyrannie médiatique» de la chaîne de télévision Al Jazeera et fermait avec fracas son bureau de Rabat en raison d’une série de reportages dommageables à sa réputation de royaume calme et serein.  

Habile, le Qatar a su se doter de cette «arme de politique internationale exceptionnelle» , dont l’influence n’est plus à démontrer.

Bien avant sa chute, Hosni Moubarak en visite au siège de la chaîne à Doha s’était écrié:

«Ne me dites pas que tout ce tintamarre sort de cette boîte à chaussures!»

 L’ex-raïs égyptien ne se doutait pas, à l’époque, que la «CNN du monde arabe» participerait bien plus que tout autre média à faire écho aux clameurs révolutionnaires de la place Tahrir.

On le sait, la ligne éditoriale d’Al Jazeera est dictée par les humeurs de Cheikh Hamad bin Khalifa al-Thani, le potentat de cet émirat lilliputien à la richesse insolente.

La rente financière qu’il tire de ses immenses réserves de gaz et de pétrole lui donne les moyens de s’imposer à tous, jouant tantôt le conciliateur, tantôt le faiseur de rois dans un jeu diplomatique ambigu aux alliances aussi mouvantes que déroutantes.

Le curseur de Doha est à la bienveillance

Aujourd’hui, avec le Maroc, le curseur de Doha est à la bienveillance. Une accalmie concrétisée par un incessant ballet de visites officielles.

En 2011, c’était l’émir du Qatar qui venait, à chéquier ouvert, donner des gages à Rabat . En retour, le souverain marocain vient de faire une halte remarquée à Doha lors de son récent périple dans la région.

«S’agissant de la question nationale marocaine, il est utile de rappeler que le Qatar a toujours exprimé une position constante en faveur de la marocanité du Sahara et de la défense de l’intégrité territoriale du royaume du Maroc», écrit pour l’occasion un chroniqueur thuriféraire de la Couronne chérifienne, défendant maintenant l’idée d’un «axe Rabat-Doha solide».

Une assertion relayée par la presse officielle qui prète à sourire, tant les relations entre les deux pays ont été tumultueuses par le passé, y compris sur l’épineux dossier du Sahara Occidental, tâlon d’Achille du royaume alaouite.

En 1995, Hassan II avait blâmé le coup d'Etat de Cheikh Hamad contre son père alors en villégiature en Suisse et qui lui-même avait chassé son cousin du pouvoir en 1972.

A l’époque, l’émirat-confetti n’avait pas encore la place qu’il occupe actuellement sur l’échiquier régional.

Un «club des rois» uni face aux révolutions

Les révolutions arabes ont resserré les liens entre les monarchies survivantes, au point que les riches pétrosultanats du Golfe ont réaffirmé très vite leur sainte alliance avec les royaumes désargentés du Maroc et de Jordanie, jusqu’à les inviter précipitamment à prendre place autour de la table du Conseil de coopération du Golfe (CCG).

Une idée pour le moins saugrenue, finalement remisée, mais révélatrice de la fébrilité de ces régimes qui ont en commun leur nature féodale.   

Aussi, le voyage de Mohammed VI au Moyen-Orient est perçu comme une volonté de créer un véritable «club des rois» aux intérêts bien compris, comme le soulignent une brochette d’experts britanniques cités par le Financial Times.

Le Maroc échangerait ainsi une certaine expertise dans la gestion politique de la contestation populaire contre de substantielles aides économiques. Une relation gagnant-gagnant pour les têtes couronnées arabes.

«Les monarchies du Maroc et de la Jordanie sont sortis relativement indemnes du printemps arabe», estime Ayesha Sabavala, analyste auprès de l'Economist Intelligence Unit.  

«Les pays du Golfe ont donc naturellement tenu à leur marquer un soutien indéfectible.» Et pour l’exhiber, le CCG a promis à Rabat et Amman une aide de 2,5 milliards de dollars sur cinq ans.

Un «recalibrage stratégique» dû à la crise

L’ offensive diplomatique du Maroc auprès de ses alliés arabes entre aussi dans le cadre d’un «recalibrage stratégique» rendu nécessaire par la crise qui sévit en Europe avec qui le royaume entretient l’essentiel de ses échanges commerciaux.

«Le soutien du CCG au Maroc n’a pu gagner en importance qu’en raison de l'affaiblissement de la zone euro», juge Kristian Coates Ulrichsen, chercheur à la London School of Economics (LSE), soulignant que le Maroc s’appuiera dorénavant davantage sur les aides du Qatar, du Koweït, de l’Arabie Saoudite et des Emirats arabes unis pour concrétiser ses ambitieux plans de développement (infrastructures routières et ferroviaires, énergies renouvelables, agriculture, tourisme, etc.).

Des plans portées par le volontarisme du roi inquiet du bouillonnement social qui agite son royaume, mais qui nécessitent des milliards de dollars que Rabat n’est pas en mesure de mobiliser sans le soutien direct des fonds souverains du Golfe.

Un nécessaire «nouveau contrat social»

«Le Maroc continue à souffrir de déséquilibres structurels qui nécessitent un nouveau contrat social (…) Il est important d'arrêter de faire des promesses qui ne soulèvent que plus d’attentes, car cela ne crée que de la frustration, lorsque ces promesses ne sont pas remplies», prévient Lahcen Achy du Carnegie Endowment Middle East Center.

La hausse du prix du carburant, le déséquilibre inquiétant de la balance commerciale et une agriculture frappée par une pluviométrie insuffisante ont fait exploser le déficit budgétaire du pays à environ 7,5% du PIB, soit plus du double de la moyenne de 3% observée depuis 10 ans, sans compter l’inéluctable décompensation par l’Etat des produits de première nécessité.

Dans ce contexte d’assèchement des ressources budgétaires socialement explosif, difficile de faire la fine bouche face à l’appétit insatiable de l’ogre qatari sachant par ailleurs que les échanges commerciaux entre le Qatar et le Maroc végètent autour de 50 millions d'euros par an.

Le Maroc, obligé du Qatar, mais à quel prix?

Une situation en passe de changer. En plus de menues subventions attendues dès 2013 et un soutien pour l’émission d’un emprunt international d’1 milliard de dollars, le Maroc se résoud aussi à ouvrir le capital de ses entreprises publiques en mal de cash.

Sur la liste: Maroc Telecom dont veut se dessaisir en urgence le français Vivendi et la Royal Air Maroc.

Doha promet aussi d’aider à la lutte contre le chômage endémique qui mine son allié maghrébin en accueillant massivement sa main-d’œuvre qualifiée

Déjà en 2011, le Qatar était aux avant-postes au Maroc pour prendre pied dans le secteur bancaire et boucler grâce à l’entregent de la nomemklatura du Palais un super-fonds d’investissement dans des projets touristiques et de loisirs dont l’enveloppe devrait atteindre 2 milliards de dollars.

Cette frénésie d’investissements tous azimuts est à première vue salvatrice pour le Maroc. Mais pour quel gain véritable? 

Il faut garder à l’esprit que le Qatar Investment Authority (QIA), le plus imposant fonds souverain de la planète, n’est pas entre les mains d’un parangon de la démocratie.

Le fait que le Maroc rejoigne à son tour la cohorte de ses obligés n’est pas forcément une bonne nouvelle.

Les avoirs du QIA estimés à plus de 700 milliards de dollars n’empêchent pas non plus le fragile émirat d’être lui-même à la merci de tentations insurrectionnelles, tant il danse sur le volcan de l’islamisme et des tensions communautaires entre chiites et sunnites.

La dernière tentative de putsch contre le pouvoir en place ne date que de 2009.

Ali Amar

 

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Ali Amar

Ali Amar. Journaliste marocain, il a dirigé la rédaction du Journal hebdomadaire. Auteur de "Mohammed VI, le grand malentendu". Calmann-Lévy, 2009. Ouvrage interdit au Maroc.

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