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Les Lions d'Afrique noire ne rugissent plus
Le Sénégal et le Cameroun n'iront pas à la prochaine Coupe d'Afrique des nations. A Dakar, le match a été interrompu par des supporters en colère. A Yaoundé, les coéquipiers d'Eto'o ont succombé face au Cap-Vert.
On connaît les seize qualifiés pour la Coupe d’Afrique des nations qui se déroulera du 19 janvier au 10 février 2013 en Afrique du Sud. Un pays organisateur qui a remplacé au pied levé la Libye, qui se débat avec la reconstruction postkadhafiste.
Après l’Egypte, vainqueur de trois CAN dans les années 2000 et éliminé lors du tour préliminaire par la Centrafrique, deux grands d’Afrique sont tombés: les Lions de la Teranga (Sénégal) et les Lions indomptables du Cameroun, titulaire de quatre trophées continentaux.
Seuls, les Lions de l’Atlas (Maroc) ont réussi à renverser une situation compromise par une défaite (0-2) au match aller en inscrivant quatre buts face au Mozambique.
Trois matchs avec des Lions d’Afrique, trois scénarios dont on peut tirer, comme dans les fables de La Fontaine, quelques leçons….
La honte du football africain
Il est à peine 20 heures samedi soir quand des pierres commencent à fuser des tribunes du stade Sédar Senghor de Dakar.
Didier Drogba, qui a inscrit quelques minutes plus tôt un coup franc des 25 mètres, transforme un penalty justifié. Le Sénégal, déjà défait au match aller 4 à 2 par la Côte d’Ivoire, est mené 2 à 0 après 70 minutes de jeu.
Pris de panique devant la violence des supporters sénégalais, quelques centaines de spectateurs ivoiriens sautent les gradins pour se réfugier sur la pelouse. Certains sont atteints par des jets de pierre et légèrement blessés. Les joueurs doivent quitter le stade sous la protection de boucliers déployés par les forces de l’ordre. Les Ivoiriens attendront près de deux heures avant d’être évacués par des cars.
Tout le monde a alors en mémoire les émeutes qui avaient suivi le match Sénégal-Gambie en octobre 2008. Jets de pierre dans le stade (déjà), et en dehors, des bus incendiés, le siège de la fédération de football mis à sac, des batailles rangées avec les policiers. Cette fois, les incidents ne se propagent pas à la ville et le calme revient dans la soirée.
Dans le couloir jonché de pierres menant aux vestiaires des joueurs, on retrouve de gros blocs de béton arrachés à la structure du stade et concassés, probablement avec des masses, par les supporters en colère.
Dans toute l’Afrique, le Sénégal est montré du doigt: «Vous êtes la honte de l’Afrique.» Il encourt de lourdes sanctions: suspension de son stade lors de prochains matchs pour les matchs qualificatifs de la coupe du monde de 2014 au Brésil, exclusion provisoire de la CAN…
Mais pourquoi tant de violences autour d’un match de foot? En Afrique, ce sport est souvent le creuset de tensions politiques, le pouvoir en place cherchant toujours à exploiter à son profit les succès de l’équipe nationale.
Au Sénégal, l’un des pays les plus démocratiques de l’Afrique de l’Ouest, la dernière présidentielle s’est déroulée de façon plutôt apaisée. Contrairement à la Côte d’Ivoire où les tensions ethniques restent très présentes.
On a noté quelques empoignades musclées entre Zokora, le Bété, et Yaya Touré, le Malinké, entre Salomon Kalou, le Sudiste, et Kader Keita, le Nordiste. Malgré la guerre, l’équipe des Eléphants ivoiriens a su surmonter ses divisions. Grâce notamment à son capitaine Didier Drogba, le Bété investi dans la réconciliation entre frères ennemis.
Le Sénégal n’a pas ses problèmes-là. Si son équipe est minée, c’est par la mauvaise gestion, les changements d’entraîneur, les jalousies entre joueurs. Et par ses mauvais résultats. Contrairement à la Côte d’Ivoire de Drogba, finaliste de la dernière CAN et qualifiée à deux reprises pour la phase finale de la Coupe du monde. Morale de l’histoire, le football reste heureusement une affaire de joueurs. Et quand ils sont bons et intelligents, ils gagnent leurs matches.
La fin du feuilleton Eto’o
Autres Lions, autres problèmes…. Ceux du Cameroun sont éliminés par le Cap-Vert, un pays inconnu au bataillon des nations footballistiques, qui obtient ainsi une première qualification à une CAN.
Une rencontre marquée par le retour de la star mondiale Samuel Eto’o après une année de fâcheries avec Rigobert Song, le nouveau team-manager de l’équipe, et des mois de suspension. Le joueur le mieux payé du continent —il touche 20 millions d'euros par an, hors primes, droits d'image et revenus publicitaires, au club d'Anjhi Makhachkala, dans la riante République du Daguestan (Russie)— a accepté de revenir en équipe nationale à l’issue d’une entrevue avec le Premier ministre camerounais.
Avec lui, Jean-Paul Akono, le nouveau sélectionneur qui a succédé au français Paul Le Guen, remercié, a rappelé quelques vieilles gloires, Emana, Wobé, Makoun… Des revenants, persifle la presse camerounaise.
A l’entrée sur le stade, Eto’o, qui s’est laissé pousser une barbichette, reprend l’hymne national à tue-tête et tombe dans les bras de Rigobert Song. C’est bon pour la photo. Mais, il vient de jeter tous ses feux.
Si Emana se démène, Eto’o pèse peu sur le jeu et, mis à part un tir sur le poteau, effectue une prestation insignifiante.
Le Cameroun qui a encaissé un but en début de match, doit en inscrire quatre pour se qualifier après sa défaite (0-2) au match aller. En milieu de seconde mi-temps, des spectateurs commencent à quitter le stade. On craint alors des incidents comme au Sénégal la veille.
Mais le ciel, qui boude les footballeurs est avec les forces de l’ordre. Il déverse des trombes d’eau sur le public qui achève de quitter les travées.
A l’ultime minute du match, Fabrice Olinga inscrit le but de la victoire camerounais (insuffisant pour la qualification) d’une superbe reprise de volée dans la surface de réparation.
Eto’o a été stérile. Mais lui, le gamin de 16 ans, arrivé sans papiers à Malaga dans le championnat espagnol, a marqué. Faisant la pige à la star vieillissante qui vient, sans doute, de disputer son dernier match en sélection nationale.
Le Cameroun ne participera pas à la prochaine CAN. La faute aussi aux interférences politiques qui ont plongé l’équipe dans une instabilité chronique: sept entraîneurs en moins de dix ans, et parmi eux des techniciens expérimentés comme Le Guen ou Artur Jorge, tous empêchés de construire à long terme avec de jeunes joueurs. Parce que le pouvoir en place demande des résultats immédiats et des trophées…
Morale de l’histoire tirée de la fable Le lion et le rat:
«Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage.»
L'exemple marocain
Face au Mozambique, les Lions de l’Atlas doivent aussi remonter deux buts pour se qualifier. Il en marquent quatre. Sans Chamakh, leur star confinée sur le banc d’Arsenal, et avec un nouvel entraîneur du cru, un parfait inconnu sur la scène internationale. Qui avait pris la place d’Eric Gerets, limogé après la défaite du match aller.
Le Belge touchait près de trois cent mille euros par mois, soit mille fois le salaire moyen marocain. Moralité: dans le football, l’argent ne fait pas toujours le bonheur…
Et ce sport reste avant tout un jeu et tous ceux qui sont accrochés à ses basques pour en tirer gloire et profit, en ont mesuré ce week-end encore la glorieuse incertitude.
Ce n’est pas le Premier ministre gabonais qui dira le contraire: il avait accompagné son onze national au Togo. Il a perdu face à l’équipe entraînée par l'ancien international français Didier Six et, lui non plus, il n’ira pas à la CAN 2013 en Afrique du Sud.
Philippe Duval
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