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Le président algérien Bouteflika et Chadli Bendjedid aux funérailles d'Ahmed Ben Bella. Louafi Larbi / Reuters
Le président algérien Bouteflika et Chadli Bendjedid aux funérailles d'Ahmed Ben Bella. Louafi Larbi / Reuters

Algérie: le crépuscule des pionniers

Après Ahmed Ben Bella, Warda al-Jazaïria et Pierre Chaulet, le troisième président de la République algérienne Chadli Bendjedid s'est éteint à l'âge de 83 ans. Le début de fin d'une époque.

Après Ahmed Ben Bella, Warda al-Jazaïria, Pierre Chaulet, c'est une autre figure historique de l'Algérie qui s'en est allée: le troisième président algérien.

Chadli Bendjedid s'est éteint à l'âge de 83 ans à la suite de son admission à l’hôpital militaire de Ain-Ennadja. Il est ainsi la quatrième figure emblématique algérienne à disparaître en cette année de cinquantenaire d'indépendance.

Chadli Bendjedid a rendu l'âme le 6 octobre, l'ancien président souffrait d'un cancer avancé de la prostate et de troubles rénaux pour lesquels il s'était déjà fait soigner à plusieurs reprise en France. Le destin a voulu que, à l'instar d'autres «géants», il parte en 2012, année du cinquantenaire de l'indépendance algérienne.

L'automne des patriarches

Force est de constater que cette année particulière reste marquée par les disparitions successives de personnalités profondément liées à l'histoire de l'Algérie indépendante: Ben Bella, premier président de l'Algérie indépendante est décédé au mois d'avril. Warda al-Jazaïria qui chantait dès la fin des années 50 des odes patriotiques à la gloire de l'Algérie libre est décédée au mois de mai. Pierre Chaulet, activiste anticolonialiste de la première heure, compagnon de lutte de Frantz Fanon et  pionnier fondateur de l'agence Algérie Presse  Service, décède le 5 octobre.

Le lendemain c'est au tour d'un président qui a fortement imprégné la mémoire des Algériens de disparaître; Chadli Bendjedid  fut le premier président algérien à cumuler trois mandats et à rester 13 ans au pouvoir.

Un règne houleux

Après le décès de Boumediene, ce quadragénaire vigoureux, colonel dans l'armée nationale de libération se trouve propulsé troisième président de la République algérienne.

On raconte que ses homologues l'avaient désigné à ce poste pour son ancienneté et au détriment d'un autre militaire, un certain Abdel-Aziz Bouteflika.

Quelques mois après sa nomination, en mars 1980, Bendjedid doit  faire face à un soulèvement populaire en région kabyle, les manifestations du printemps berbère sont réprimées et 126 personnes trouvent la mort.

En 1986, le contre-choc pétrolier fait drastiquement chuter le prix du pétrole, l'économie algérienne qui repose sur l'exportation du pétrole est exsangue; les prix flambent et les pénuries se multiplient, dès 1987 des grèves générales paralysent le pays et déboucheront quelques mois plus tard sur les événements du 5 octobre 88, première crise significative depuis l'indépendance.

Chadli hâte alors les réformes économiques et politiques entamées ; deux années plus tard, en juin 1990, les premières élections municipales libres sont organisées, le Front Islamique du Salut (FIS) émerge comme grand vainqueur et obtient la majorité dans 45 wilayas. Les élections législatives et présidentielles sont prévues pour la fin de l'année 91, entre temps, en mai 91, le FIS déclenche  une grève générale pour contester le vote d'une nouvelle loi qui favoriserait le FLN.

Dans la nuit du 04 juin, Chadli Bendjedid décrète l'état d'urgence qui durera jusqu'au mois de septembre. Le 26 décembre 1991, sans surprise, le FIS remporte une majorité écrasante au premier tour des élections législatives.

Quinze jours plus tard, le 12 janvier 1992, le président Bendjedid démissionne de ses fonctions, les élections sont annulées,  vous connaissez la suite...

Ce que l'histoire retiendra

On se souvient de lui comme le président qui a joué un rôle prépondérant dans la libération des 52 otages américains à Téhéran, comme celui qui a doté l'Algérie de son monument national Makam Ecchahid (1982) et de son code de la famille (1984), on se souvient aussi que le multipartisme et la libération de la presse ont vu le jour sous son mandat.

On se souvient surtout qu'il était le dernier président à avoir gouverné l'Algérie avant qu'elle ne bascule dans l'horreur. Beaucoup d'algériens pensent qu'il détient une grande part de responsabilité dans le chaos qui avait frappé l'Algérie des années 90: on lui reproche sa mauvaise gestion, d'avoir joué avec le feu qui a allumé la poudrière, d'avoir tenté d'instrumentaliser le parti islamique et de s'en être brutalement débarrassé.

Pour ces raisons, le nom de Bendjedid est souvent associé (à tort ou à raison) à la décennie noire.

A cet égard, beaucoup d'algériens attendent impatiemment la sortie de ses Mémoire prévues pour début novembre, et qui promettent d'être très riches en révélations.

Un président contesté, mais le président de mon enfance!

S'il y a un président algérien qui m'aura marqué, c'est bien Chadli Bendjedid.

Au-delà du fait que j'étais un bébé lorsqu'il fut promu président et une pré-adolescente quand il avait présenté sa démission, que lorsque mes yeux s'ouvrirent sur le monde, le portrait de cet homme grave  représentait pour moi l'autorité, en réalité, le souvenir de Chadli Bendjedid s'est fortement imprégné dans ma mémoire à cause du nombre impressionnant de blagues qui circulaient à son sujet.

Bien avant que les caricaturistes tournent en dérision le pouvoir, des centaines de blagues mettaient en scène le président, ce phénomène était unique et à ma connaissance aucun président algérien n'eut droit à autant d'histoire drôles dédiées...

C'est peut-être la raison pour laquelle, moi, comme bon nombre d'algériens, gardons un sentiment de sympathie à l'égard de cet ancien président.

Quoique retiendra l'histoire, repose en paix Chadli, après tout, les présidents sont des hommes comme les autres, ils affrontent parfois des situations intenables ou des choix difficiles, mais ils font surtout de leur mieux.

Nesrine Briki

 

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Nesrine Briki

Journaliste, Écrivain

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