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Charles Blé Goudé, janvier 2006, Abidjan. © REUTERS/Thierry Gouegnon
Charles Blé Goudé, janvier 2006, Abidjan. © REUTERS/Thierry Gouegnon

Blé Goudé: «Je ne cherche pas à déstabiliser le régime Ouattara»

Charles Blé Goudé vient d'être arrêté au Ghana le 17 janvier 2013. Quelques mois auparavant, depuis un lieu qu'il tenait secret, l'ex-leader des Jeunes patriotes ivoiriens livrait sa version des faits à SlateAfrique. Il met un point d'honneur à se défendre des accusations de tentative de déstabilisation de la Côte d'Ivoire.

Mise à jour du 22 janvier 2013: Charles Blé Goudé, proche de l'ex-président ivoirien Laurent Gbagbo, arrêté au Ghana et extradé la semaine dernière, a été inculpé le 21 janvier par la justice ivoirienne de "crimes de guerre", a-t-on appris de source officielle.

"Dans le cadre des procédures judiciaires ouvertes contre lui en Côte d'Ivoire, M. Charles Blé Goudé a été présenté ce matin au juge d'instruction (...). Il lui est reproché notamment les faits suivants: crimes de guerre, assassinats, vols en réunion, dégradation et destruction de biens d'autrui", selon un communiqué lu sur la télévision publique RTI.

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SlateAfrique - Quel est votre avis sur le rapport des Nations unies qui vient d'être publié?

Charles Blé Goudé - Avant toute chose, je souhaite envoyer un message à tous les experts onusiens et à toutes les organisations internationales qui s'intéressent à la Côte d'Ivoire.

Ils devraient inviter et aider tous les Ivoiriens à aller vers la paix, au lieu de passer leur temps à quantifier les Ivoiriens qui seraient soit dans le camp des «méchants», ou dans le camps des «bons».

Je pense que tous les mensonges déversés sur notre pays ont provoqué ce que les Ivoiriens sont en train de vivre aujourd'hui, comme désastre, et désorientation.

Alors que le régime actuel est en train de bafouer le droit des Ivoiriens, d'approfondir le fossé âpre des ethnies, il faut absolument éviter de tomber dans un piège de ce pouvoir qui n'a rien à proposer, et qui est en réalité un pouvoir dictatorial.

C'est pourquoi la communauté internationale doit être honnête. Dans le cas contraire, ils sont tout simplement en train de nous montrer qu'il y a des raisons de désespérer de connaître la vérité.

Et puisque je tiens à être honnête, je tiens à ajouter que je ne suis pas un chef de guerre, je suis pour la lutte pacifique, je suis contre les armes comme moyen d'accession au pouvoir.

Ceux qui payent les rebelles, et qui prennent contacts avec des terroristes pour déstabiliser leur pays sont aujourd'hui au pouvoir, je pense que c'est à eux qu'il faut s'intéresser.

SlateAfrique - Dans le rapport, il y a des accusations précises, comme votre participation à des réunions au Ghana avec Moïse Koré, Marcel Gossio, Justin Koné Katinan, dont l'objectif serait la déstabilisation du pouvoir en Côte d’Ivoire?

C.B.G - Pour participer à des réunions au Ghana, il faudrait déjà que je sois sur le territoire en question. Je ne suis pas du tout au Ghana. Je n'ai d'ailleurs aucun contact avec les personnalités qui sont citées.

J'ai décidé de mener une vie de clandestinité, parce que ma sécurité est menacée par le gouvernement en place à Abidjan. Je n'ai aucun intérêt à faire des réunions comme celles évoquées dans ce rapport.

Tout ceci est le fruit de l'invention la plus totale des rédacteurs de ce rapport. L'objectif est très clair: nous diaboliser. Cette manipulation est destinée à mettre sur le carreau tous les adversaires que le gouvernement à Abidjan redoute. D'ailleurs, nous envisageons de déposer une plainte.

SlateAfrique – Pourtant, le rapport évoque aussi des liens entre des pro-Gbagbo et des militaires maliens ainsi que des mouvements islamistes nord-maliens en vue de déstabiliser gouvernement Ouattara?

C.B.G. - Aucun observateur sérieux de l'actualité politique sur le continent noir ne peut prendre au sérieux de telles connexions. D'autant plus que, la junte malienne est farouchement opposée aux djiadistes qui occupent le nord du Mali. Comment pouvons nous être en connexion en même temps avec deux ennemis?

SlateAfrique - Avez vous des contacts réguliers avec d'autres pro-Gbagbo?

C.B.G. - Je ne suis en contact avec personne. J'ai décidé de me mettre à l'écart pour observer. Car, il y a tellement de leçons à tirer de cette crise que je ne veux pas céder à la précipitation.

Je suis convaincu que nous sommes dans le vrai, mais je n'ai pas toutes les réponses sur comment fonctionne le monde, et comment on en est arrivé là. Je suis dans un moment de bilan, de transformation, et je veux qu'on évite de m'associer à des réunions auxquelles je n'ai aucun rapport.

SlateAfrique - Comment vivez vous cet «isolement»?

C.B.G - Vivre hors de son pays n'est pas facile. Mais c'est une parenthèse de formation qui va me servir.

Je lis beaucoup, je m'informe, je réfléchis. Je lis comme jamais je n'ai lu.

SlateAfrique - Vous lisez quoi?

C.B.G. - Je m'intéresse aux biographies. Je lis la biographie de Nelson Mandela, Un long chemin vers la liberté.

Cet homme illustre a été accusé d'être un terroriste et bien plus encore. Il a été en prison, il en est sorti et est devenu l'homme le plus célèbre de la planète. Qu'est ce qui a bien pu se passer, j'essaye de comprendre tout ça. Je m'intéresse aussi aux crises au Rwanda, les crises au Congo.

J'ai été propulsé dans la politique, trop jeune, sans comprendre le fonctionnement du monde. Aujourd'hui je profite de cette pause dans ma vie pour mieux comprendre le monde. Je n'oublie pas de lire la Bible chaque jour pour donner une dimension spirituelle à tout ce que nous faisons.

Dieu a été témoin de tout ce qui s'est passé dans mon pays. Si je suis sorti indemne d'une telle situation, cela veut dire que c'est la main de Dieu qui a agi.

Les questions qui se posent à présent sont: qu'est ce que Dieu veut nous donner comme message? Avons nous fait correctement ce que nous avions à faire? Est-ce qu'on a fait des erreurs? Est-ce que la situation dans notre pays est une situation normale? Est-ce un moment de passage à vide pour arriver à un changement? Est-ce un chaos reconstructeur?

Je m'interroge chaque jour, je suis à un stade de questionnement, et je veux que Dieu m'accompagne et me donne un esprit de discernement. Je ne suis pas dans une histoire de construction de projet de déstabilisation, loin de là.

SlateAfrique – Et si le dialogue échoue, quelle partition allez vous jouer?

C.B.G. - Je me considère comme un enseignant qui tente d'être pédagogue. Dans une classe, certains comprennent tout de suite, et d'autres ont besoin d'étudier longtemps avant de comprendre, et d'autres ne comprennent jamais.

L'enseignant ne doit pas se décourager, mais continuer la leçon avec persévérance; un jour les derniers de la classe comprendront.

La vérité est que l'on peut faire du bien à un mauvais moment, les gens ne comprennent pas cela. Le jour viendra où nous pourrons tous nous rendre compte qu'il n'y pas d'autre voie que le dialogue.

En attendant ce jour, je ne cesserai jamais d'appeler au dialogue, jusqu'à ce que le gouvernement en place et ses alliés comprennent que seul un dialogue peut ramener la paix en Côte d'Ivoire.

Au lieu de vaincre l'adversaire, je propose qu'on puisse le convaincre qu'il est dans l’erreur.

SlateAfrique – Nombre de partisans de Laurent Gbagbo sont réfugiés au Ghana. Les pressions des autorités ivoiriennes vis à vis d'Accra commencent elles à porter leurs fruits?

C.B.G. - J'ai plutôt l'impression que le problème des exilés ivoiriens, des pro-Gbagbo est surtout une question d'orgueil du gouvernement Ouattara. Je pense, qu'au lieu de régler les vrais problèmes des Ivoiriens, aujourd'hui, le pouvoir en place n'a rien à proposer aux Ivoiriens, quant aux problèmes sociaux.

La flambée des prix des denrées de premières nécessité, de santé, des emplois promis, de sécurité... Il n' y a aucune proposition concrète du gouvernement sur ces questions.

Et je pense que le pouvoir ivoirien a peur d'être interpellé à terme, par la communauté internationale sur le respect des droits de l'Homme, et des libertés individuelles et collectives.

C'est pour cette raison que le gouvernement Ouattara a décidé de se poser en victime, en faisant passer les pro-Gbagbo pour des terroristes qui essayent d'attaquer la Côte d'Ivoire et la sous région de l'Afrique de l'Ouest pour ainsi avoir avec elle la communauté internationale. C'est sa stratégie pour attaquer l'opposition, mais c'est un mauvais choix: tôt ou tard, les réalités finiront toujours par rattraper le pouvoir ivoirien. C'est pourquoi il vaut mieux s'assoir et discuter et faire de bonnes propositions pour l'avenir.

SlateAfrique - Vous renoncez définitivement à la lutte armée?

C.B.G. - Les luttes armées n'apportent que de petites victoires. La vraie victoire pour la Côte d'Ivoire n'est pas la victoire d'un camp contre un autre, mais le rapprochement de tous les Ivoiriens.

Je sais que cela prendra du temps. Mais il le faut, nous n'avons pas le choix. C'est le bien être des Ivoiriens qui en dépend. Le régime de Ouattara doit comprendre que cela ne se fait pas dans l'humiliation, les allégeances, mais avec le respect des convictions de chaque camp.

Ekia Badou et Pierre Cherruau

 

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