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African spirits, métamorphose de Samuel Fosso. © Musée du Quai Branly
African spirits, métamorphose de Samuel Fosso. © Musée du Quai Branly

Les histoires secrètes de nos cheveux

Le musée du Quai Branly à Paris expose les cheveux sous toutes leurs coupes. «Cheveux chéris, frivolités et trophées» revisite l’histoire des coiffures et s'interroge sur ce que les cheveux racontent des sociétés.

De loin, d’assez loin, on aperçoit une perruque en apesanteur. Cheveux hirsutes, les légères mèches qui tombent comme un voile, flottent au vent, soufflées par un ventilateur.

Comme pour dire à ses hôtes, venez c’est par là: vous êtes en terre connue! Immersion dans l’univers du capillaire.  

«Long, court, rasé, teinté, frisé, lissé, peigné, tressés, détachés, hirsute», on découvre le poil crânien dans tous ses états.

Dialogue des civilisations

Dans le prolongement des murs qui mènent au cœur de l’exposition, on est saisi d’étranges sentiments, mêlant curiosité et fascination.

Dans la première partie, le buste de Louis XVII (héritier de la couronne royale de France, à la mort de son père, le roi Louis XVI, en 1793) ou encore celui de Louis XI (qui a régné de 1461 à 1483) enfant portant une cuirasse à la romaine —taillée dans une finesse impressionnante— côtoient ceux d’un homme noir, d’un Chinois ou encore d’un Brésilien.

Les œuvres du sculpteur Charles Cordier sont une confrontation qui invite le visiteur à découvrir la grande diversité de coiffures qui caractérise chaque culture. Comme «au rendez-vous du donnez et du recevoir» tant chanté par l’un des pères de la négritude Léopold Sédar Senghor, toutes les races s’y mélangent et rivalisent de singularité.

Dans un parcours semblable à celui d’une vie, l’exposition commence par des frivolités et les insouciances des débuts, rythmées par les caprices et les désirs.

Les stars y vont de leur participation. Des portraits grandeur nature de Joséphine Baker, Isabelle Huppert, Jane Fonda, la chanteuse française Sylvie Vartan, ou encore l'actrice italienne Gina Lollobrigida (notamment célèbre grâce à la proéminence de sa poitrine) sont là pour rappeler l’importance de la coiffure dans le 7e art.

A côté d’elles, on découvre «l’innocence» des blondes, le «pragmatisme» des brunes face à la «fatalité incendiaire» des rousses, qui dans des tableaux stéréotypés, rivalisent de beauté.

Plus loin, Yves Le Fur, commissaire de l’exposition, mêle images et matières. Les deux entrent en résonnance. Une installation vidéo de 4 minutes revisite les coiffures à travers les âges: des plus anciennes aux plus sophistiquées.

Mais au-delà de la dimension superficielle, on découvre la sémiologie des cheveux. Parfois symbole de puissance, de résistance, de reconnaissance ethnique, de mutation sexuelle ou simplement de séduction.

Rites et symboles

Dans une photographie en noir et blanc, on rencontre le peintre Pablo Picasso, qui avait fait vœu de ne plus se couper les cheveux jusquà ce que la France fût libérée.

Il fait face aux clichés de l’artiste-photographe Samuel Fosso. Sur plusieurs tableaux African Spirits, rend hommage à des personnages marquants des indépendances africaines et du mouvement des droits civiques américains, où l'ont peut reconnaître Senghor, Césaire, Mohamed Ali, Miles Davis, Martin Luther King, Hailé Sélassié, Malcom X, Nelson Mandela.

Grâce à la coiffure, Samuel Fosso se métamorphose et change à chaque fois d’identité. Le voyage continue.

Sur un autre thème, on découvre la réalité du cheveu propre à chaque groupe de la société.

Dans les sociétés africaines, la coiffure était avant tout une marque qui permettait de distinguer l’individu dans un groupe social.

Sous les flashes de Maurice Teissonnière, une jeune femme malgache est immortalisée. Les cheveux en bataille symbolisent son veuvage, une période pendant laquelle elle ne devra ni se peigner, ni se couper les cheveux, afin de repousser les éventuelles avances des hommes.

Dans un registre plus gai, on note sur plusieurs portraits l’évolution des coiffes africaines, grâce notamment à la texture de leurs cheveux, qui leur permet de modifier et de sculpter leur tête au gré des us et coutumes.

Egalement sujet universel de coquetterie, Louise Viltorin, écrit à ce propos dans un article portant sur la chevelure:

«Les cheveux de femmes font rêver les navigateurs, les poètes, les amoureux et les aventuriers. Les cheveux dénoués donnent au visage  une expression éperdue et touchante. Un charme sauvage. Les femmes, de part leur chevelure, imposent au cœur des hommes une nostalgie fébrile.»

On voyage. On papillonne d’une époque à une autre. De l’univers scintillant de la civilisation occidentale, on vogue vers la singularité de la culture africaine. Brusquement, on est comme tiré d’un merveilleux rêve. La réalité reprend le dessus sur le court des choses.

Transition entre le vivant et l'au-delà

Au fur et à mesure que l’on s’engouffre dans cet univers, les lumières s’affaissent. Dans la pénombre, d’étranges sentiments de peur nous animent. Des têtes réduites des tribus Jivaro, des masques cimiers africains en cuir humain, des scalps du Pérou, dominent la salle.

Des sculptures qui donnent froid dans le dos. Certainement, une manière pour Yves le Fur, le commissaire de l'exposition qui court jusqu'ua 14 juillet 2013, de rappeler au visiteur le côté clair-obscur de la vie.

Comme toute chose «la vie biologique des cheveux est réduite à leur perte». Soit acceptée ou contrainte, «la perte des cheveux par la vieillesse et la maladie atteint profondément l’image et le souci de soi. Tandis que la contrainte sociale s’en prend aux cheveux et le plus souvent à celui des femmes, nattes coupées de femmes adultères, en passant par celles dérobées par les fétichistes», souligne les explications accrochées aux murs.

La vague de tonsure de femmes supposées avoir eu des relations avec l’ennemi qui a traversé les conflits d’Europe des années 1933 à 1945, n’échappe pas au regard du commissaire de l’exposition.

A travers un film documentaire dont les images sont pour le moins horripilantes, Yves Le Fur rappelle cette page sombre de l’histoire. Les clichés de Nobuyoshi Araki, de Robert Capa et ceux de Françoise Huguier annoncent également la couleur.

Sans entrer dans les détails, le nu d’une femme de type asiatique étendue sur une baignoire, le sexe recouvert de ses cheveux, renvoie avec force à cette image de perte. L’aventure s’arrête sur des notes mélancoliques.

A deux pas de là, on renoue avec le «mysticisme africain». Le ton est donné avec la coiffe d’un chef fang(ethnie du Gabon) datant d'avant 1899.  

«Ces ornements puissants au charme magique» sont savamment exposés pour évoquer le souvenir ou la puissance  d’une tribu ou d’un peuple, qui pratiquaient autrefois la prise de trophées ou la chasse aux têtes.

Des objets parfois modestes ou spectaculaires ornés de poils envoûtent le visiteur. Et jouent sur deux tableaux: entre «présence vivante et dépouille, disparition et survivance, frivolité et mort», comme nous le rappelle cet écriteau.

La fin du parcours laisse un peu perplexe. Mais certainement, le plus regrettable est qu'on n'ait pas vécu cette aventure en terre africaine, où le cheveu, autour de mythes et légendes, est sacralisé.

Lala Ndiaye

 

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Lala Ndiaye. Journaliste à Slate Afrique

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