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Algérie Orania, by mayanais, via Flickr CC.
Algérie Orania, by mayanais, via Flickr CC.

Les Algériens ont déjà pardonné aux Français

Algériens et Français semblent sur la voie de la réconciliation, même si rien n'a été oublié de leur histoire tumultueuse.

Il y a des moments où l’histoire et son legs pesant s’effacent comme par enchantement devant l’humain et les émotions qu’il peut ressentir.

Le présent chroniqueur a pu s’en rendre compte à maintes reprises lors d’un périple algérien de dix jours, en compagnie d’une centaine de lecteurs de l’hebdomadaire français La Vie.

Venus des quatre coins de l’Hexagone (mais aussi de Suisse), il s’agissait pour certains de revenir sur leur terre natale, oubliée depuis au moins cinq décennies et enfouie dans les coffres-forts de la mémoire avec leurs souvenirs, bons et mauvais. Pour d’autres, c’était l’occasion de revoir les lieux d’un service miliaire passé à «pacifier» ce qui était alors une partie intégrante du territoire français.

Pour tous, ou presque, ce voyage a été une manière de mettre fin à un refoulement qui n’avait que trop duré. Une possibilité de chasser, enfin, les cauchemars du passé et de se confronter à un peuple dont nombre de Français ignorent encore qu’il a pardonné depuis bien longtemps même, s’il n’a rien oublié.

Et puis, il y avait celles et ceux qui n’ont jamais mis les pieds en Algérie, mais qui s’y sont rendus pour comprendre.

L'Algérie française, c'est fini depuis longtemps

Un voyage pour découvrir comment cette terre a évolué depuis ces époques successives où elle faisait la une des médias. Car tel semble le sort de l’Algérie. On parle de ses embrasements, puis elle redevient anonyme le temps d’une accalmie plus ou moins longue.

Il y a eu les années cinquante, celles de la guerre d’indépendance ou d’Algérie, selon l’endroit d’où on en parle. Virent les années quatre-vingt dix, celles de la guerre civile ou, comme on le dit souvent, de la décennie noire. Que d’articles, que d’écrits et de dits. Et, à chaque fois, est venu ensuite un silence peuplé de fantômes.

Il ne faut pas se le cacher, pour nombre de ces voyageurs, venir en Algérie a relevé de l’acte courageux. Les obstacles à franchir étaient nombreux: la mémoire tourmentée, la blessure cachée, la douleur personnelle ou transmise, sciemment ou non, par la mère pied-noire de Constantine ou le père d’Oran; mais aussi l’image extérieure, calamiteuse et les mises en garde affolées des entourages contre un tel déplacement.

Et pourtant… Hebdomadaire catholique, de sensibilité clairement à gauche, La Vie pensait réunir quelques dizaines de personnes. Au total, elles ont été deux cents (quatre cents autres n’ayant pu obtenir de place).

Voilà qui confirme qu’il y a encore un «besoin» d’Algérie en France. Qu’une histoire, certes non officielle, a continué de se faufiler entre les chicanes des reproches bilatéraux et des surenchères politiciennes.

Il ne faut pas se tromper. Résumer ce voyage à de la nostalgie (à de la nost-Algérie), serait une erreur. C’est bien plus important que cela. C’est un lien physique qui se (re)noue.

Je t'aime, moi non plus!

Que dire de ces dix jours sans trahir les confidences et les sanglots des uns, les regrets et les espoirs des autres?

Et bien d’abord, que l’accueil chaleureux et tranquille des Algériens restera à jamais gravé dans la mémoire de ces visiteurs. Bras ouverts et mots simples pour souhaiter la bienvenue, pour dire à quel point la présence de l’Autre dans nos rues signifie que les temps de folies appartiennent au passé.

A Oran, comme à Alger, dans les ruelles de la casbah comme dans celles de Cherchell ou de Tlemcen, rue Didouche Mourad ou dans les allées du Jardin d’essai, partout, des gestes d’amitié, de partage et de fraternité.

Pas d’hostilité, pas d’agressivité alors même que le monde musulman s’embrasait à cause d’un film minable et de caricatures imbéciles pour ne pas dire criminelles.

Ah, ces discussions improvisées avec des passants curieux de voir autant de «rwamas» déambuler dans leur ville. La politique française, Nicolas Sarkozy, François Hollande, la guerre d’Algérie mais aussi les histoires algériennes, les 200 milliards de dollars de réserves de change, le système politique et ses secrets d’alcôve, la colère contre nos dirigeants quels qu’ils soient, le chômage et la désespérance des jeunes, l’insécurité dans les villes et leurs faubourgs lépreux où sévissent des gredins armés de sabres.

Là aussi, grande surprise des visiteurs, notamment pour celles et ceux habitués au mutisme craintif des voisins maghrébins.

Divergences encore vives sur la colonisation

Quand il rencontre des Français venus comprendre son pays, l’Algérien, jeune ou vieux, ne se prive pas de dire ce qu’il pense à voix haute et même le chroniqueur en a été parfois sidéré.

Ces voyageurs venus à la rencontre du peuple algérien n’auront pas été promenés dans des villages Potemkine, loin de là…

Il y a eu aussi des moments de grande intensité comme celui de la visite du monastère de Tibhirine (près de Médéa, à 90km au sud d'Alger). Instants de recueillement mais aussi d’explications à propos d’une Eglise d’Algérie, qui a décidé de rester aux côtés des Algériens durant les temps difficiles.

Une Eglise qui refuse que ce qu’elle a subi soit différencié de ce que ces mêmes Algériens ont vécu et, encore moins, que cela soit instrumentalisé pour mettre en accusation l’islam.

Hasan al-Atar, érudit musulman du XIXe siècle a écrit un jour que le voyage «est le miroir des merveilles et la balance des expériences».

C’est aussi le meilleur moyen de découvrir l’Autre et de balayer les préventions réciproques.

Bien sûr, tout n’est pas rose dans un monde en vert et des divergences demeureront encore à propos, entre autres, de la période coloniale, de la position d’Albert Camus, du sort des harkis ou de la signification actuelle du port du hijab.

Il n’empêche: en septembre 2012, deux cent voyageurs français ont compris que les Algériens sont passés à autre chose et qu’ils n’ont pas attendu la signature d’un traité d’amitié pour le faire.

Rentrés chez eux, ils témoigneront d’une réalité bien différente de celle décrite par les tenants du choc des civilisations. Et c’est là le plus important. Pour l’Algérie comme pour la France.

Akram Belkaïd (Quotidien d'Oran) à Alger

 

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Akram Belkaïd

Akram Belkaïd, journaliste indépendant, travaille avec Le Quotidien d'Oran, Afrique Magazine, Géo et Le Monde Diplomatique. Prépare un ouvrage sur le pétrole de l'Alberta (Carnets Nord). Dernier livre paru, Etre arabe aujourd'hui (Ed Carnets Nord), 2011.

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