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Mahomet blues: rendez-nous nos tabous!
Charlie Hebdo a transgressé le tabou suprême de l’islam. Et puis… rien. Texte et dessin de Damien Glez.
Suçotés par les sangsues du politiquement correct, les polémistes francophones chuchotaient qu’ils ne pouvaient plus rien dire, écrire ou dessiner.
En ricochet au navet cinématographique L’innocence des musulmans, l’hebdomadaire Charlie Hebdo décida donc de s’attaquer frontalement au tabou suprême soulevé, quelques années plus tôt, par le confrère danois Jyllands-Posten: la représentation du prophète Mahomet.
Et soudain, voilà annoncée, il y a une semaine, la fin du monde avant celle promise, le 21 décembre prochain, par le calendrier maya.
Pourtant… quelques jours après le numéro provocateur de l’hebdomadaire satirique français… rien.
Rien de plus que les éditoriaux outrés mais feutrés de quelques journalistes africains. Pas de déflagration tunisienne, pas de crépitation égyptienne, pas la moindre détonation libyenne, pas d’école française attaquée au fin fond d’un pays supposé «obscurantiste», pas de cocktail Molotov dans une vitre de la rédaction de Charlie Hebdo, pas même un pneu de scooter crevé au cran d’arrêt. Nada!
Les crobards «indignes» sont passés comme une lettre à la poste. L’indignation des intellectuels de tout poil n’a eu d’égal que le flegme de la plèbe impulsivement jugée impulsive.
Ce calme pourrait inspirer un certain malaise…
Les donneurs de leçons qui retenaient le souffle de tout le peuple français ont l’air, a posteriori, de culs serrés qui ont démontré, en prétendant adopter le point de vue des islamiques, qu’ils en sous-estimaient la sagesse.
Principe de précaution louable qui démontre tout de même que les organismes génétiquement modifiés sont plus dangereux que les traditions religieuses françaises réinventées.
Le «Mahomet blues» peut aussi prendre à la gorge les provocateurs, tout autant que le «baby blues» assaille les mères après l’exquis supplice de l’accouchement.
Comme les mamans crient «rendez mon bébé à mes entrailles», les polémistes pourraient supplier: «Rendez mon tabou à ma ligne éditoriale». «Menacez-nous!» ou notre rébellion aura du plomb dans l’aile. «Faites de nous des Pussy Riots»!
Les provocateurs ont la gueule de bois. Ils ont déjà la nostalgie d’une semaine qu’ils ne revivront pas de sitôt, sinon dans leurs souvenirs d’anciens combattants de la liberté de la presse. Alors ils célèbrent un nouveau numéro de «Charlie», autoproclamé «irresponsable» comme un anniversaire de fait d’arme sans entrechoquement.
Les caricatures sans coup férir de la semaine dernière sont-elles une victoire pour les satiristes? Sans doute. Elles annoncent peut-être aussi la perte d’un fonds de commerce.
Et voilà «Charlie» qui semble assumer la dimension mercantile de son activité en faisant suivre le retirage de sa précédente édition par deux numéros simultanés —le «responsable» et «l’irresponsable».
Le premier est présenté comme l’édition «que souhaitent voir les Boutin et autres Cohn-Bendit», du nom des hommes politiques français qui critiquèrent le numéro du 19 septembre. Donner au lecteur ce qu’il veut: délicieux second degré aux allures de démarche marketing…
Le cœur y est-il encore? Doit-on comprendre que l’ultime tabou a sombré comme le Titanic? Comment choquer après ça? N’existe-t-il plus de sujets sensibles dans le monde francophone, de Paris à Yaoundé? Même le mot «fellation» dans la… bouche d’un ministre ne fait plus rire. Même en Afrique, un comique comme l’Ivoirien Adama Dahico a déjà désacralisé la magistrature suprême en étant candidat à l’élection présidentielle...
Sur le continent africain, tout de même, la transgression a devant elle de belles murailles à abattre. Les entraves ont encore de beaux jours devant elles. Les tabous sont légions. En vrac:
- Le sexe sous toutes ses formes. Le viol? A peine évoqué. La pédophilie? Pudiquement tue. La pornographie? Officiellement inexistante. L’inceste? Qu’est-ce que c’est? La masturbation? Vous n’y pensez pas! Le tourisme sexuel? Chut! La stérilité masculine?
Une plaisanterie, tout comme l’idée qu’il y aurait des hommes battus. Il aura fallu des années avant que la gent féminine n’évoque publiquement sa sexualité, comme dans Les Monologues du vagin.
Même le très débridé Jacob Zuma n’autorise guère de plaisanterie sur son pénis. Les membres africains du Commonwealth se sentent-ils autorisés à plaisanter sur la poitrine dénudée de Kate Middleton? Les défilés aux seins nus ne sont pas tabous dans la famille royale du Swaziland…
- L’esclavagisme en Mauritanie. Et, de même, le rôle des Africains dans la traite négrière des siècles passés.
- La réalité de la vie de certains immigrés en France.
- Le suicide.
De même, il reste bien sûr quelques tabous politiques liés à des personnalités au pouvoir. Dessinez plutôt Mahomet que:
- Idriss Déby. Jean-Claude Nekim, directeur de publication de N'Djamena bi-hebdo, a été condamné à un an de prison avec sursis et à une amende d'un million de francs CFA (1.500 euros) pour «diffamation», pour avoir, dans une brève, rapporté une pétition contre le régime du président tchadien. Le journal est suspendu pour trois mois.
- Mohammed VI. Un autre chatouilleux de la caricature. Le jeune marocain Walid Bahomane a été condamné à dix-huit de prison ferme et 10.000 dirhams (environ 1.000 euros) pour «atteinte aux sacralités», après avoir posté sur Facebook une caricature du roi.
- Robert Mugabe. Evitez d’évoquer sa santé. Un policier zimbabwéen a même passé trois semaines en prison, pour avoir utilisé les toilettes du président.
- Paul Biya. Après six mandats de dilettantisme à la tête du Cameroun, sa succession n’est évoquée que du bout des lèvres.
- Yayha Jammeh le satrape fantasque et son pouvoir verrouillé qui n’aime pas la presse.
Ouf! Les Charlie Hebdo africains ont encore matière à choquer…
Damien Glez
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