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Charlie Hebdo est-il une caricature de la liberté de la presse?
C'est reparti pour un tour: pudding de caricature du Prophète et son coulis d’outrance. Un article du dessinateur Damien Glez.
Mise à jour du 24 septembre: Une nouvelle manifestation s'est déroulée le 24 septembre dans le nord à majorité musulmane du Nigeria pour dénoncer le film islamophobe produit aux Etats-Unis qui a déjà fait descendre des dizaines de milliers de personnes dans les rues du pays le plus peuplé d'Afrique, a déclaré un organisateur.
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Emoi, émoi, émoi… Charlie hebdo enfonce le clou de ce que certains considèrent comme une crucifixion du prophète Mahomet.
De «grosses légumes» musulmanes françaises dénoncent une fixation de l’hebdomadaire satirique sur l’Islam. Au risque d’oublier que les différents papes qui se sont succédés au Vatican ont expérimenté, à travers leurs caricatures dans Charlie, la presque totalité des positions du kama sutra.
Et au point de ne pas voir que la couverture incriminée, ce 19 septembre, présente tout à la fois un juif et un musulman.
Si le musulman représenté est sur un fauteuil roulant, ce n’est qu’une allusion au film Intouchables, l’adjectif se retournant aujourd’hui contre les fondamentalistes qui proclament «Touche pas à la religion».
Il n’y a donc pas, dans l’hebdo français, de politique patente du «trois poids, trois mesures» à l’égard des trois religions les plus répandues dans l’Hexagone (éludons ici le débat inépuisable sur le licenciement du dessinateur Siné lourdé pour avoir été jugé antisémite par la direction du journal).
Toujours est-il que cette collection «automne-hiver 2012» de caricatures publiée dans l’hebdomadaire satirique fait suite à d’autres; les médiocres du journal danois Jyllands-Posten, en 2005, ce qui vaudra à Charlie hebdo un procès retentissant; celles, plus drôles, du numéro spécial «Charia hebdo», publié en 2011 à l’occasion des montées de l’islamisme dans le Maghreb. Celles-ci vaudront au journal un incendie de ses locaux.
Attention à la manipulation des fantasmes
Comme à l’accoutumée, le débat s’enflamme. Les écoliers d’une vingtaine d’écoles françaises dans le monde sont privés d’algorithmes et les demandeurs de visa français, déjà lessivés, sont priés de repasser un autre jour à l’ambassade.
Bien entendu, ceux qui s’insurgent le plus sont ceux qui ont le moins vu l’objet du délit. C’est aussi à cela que doivent réfléchir les dessinateurs. Les croquis qu’ils griffonnent sont moins dangereux que les fantasmes et les manipulations qu’ils suscitent.
Le cartoon deviendrait-il du pain… béni pour des salafistes prêts à en découdre? L’hebdo qualifié «d’extrême gauche» se réjouit-il d’avoir comme soutien à peine voilé, ce jour, la représentante de l’extrême-droite, Marine Le Pen?
Commenter sans lire? Dans un Burkina Faso majoritairement musulman —et où, Islam ou pas, l’existence de Dieu ne se discute guère—, l’hebdomadaire français ne sera disponible, dans sa version papier, qu’en infime quantité et qu’après le délai qu’imposent les connexions aéroportées.
Pourtant, battage radiophonique oblige, certains Burkinabè ont déjà un avis, comme Moussa:
«C’est de la provocation facile. C’est bien vrai que le blasphème n’est pas un délit en France, mais est-ce que c’est une raison pour faire ça?»
Comme pour donner du poids à sa réaction, l’indigné précise qu’il a «fait» la France.
«Moi-même, je lisais Charlie quand j’étudiais en France, mais là, ils vont trop loin. Le problème des Français, c’est qu’ils se moquent du reste du monde. Ils n’ont pas vu les morts en Libye après le film sur Mahomet?»
Francocentré, Charlie? Le Burkinabè oublie-t-il que le dessinateur Luz et le rédacteur Olivier Cyran étaient à Ouagadougou à la dévaluation du franc CFA, au milieu des années 90?
Cette année-là, ils avaient évoqué le Burkina dans leur publication française, avaient participé activement à l’édition d’un journal satirique burkinabè et avaient abondamment «tapé» sur certains Français qui «empoisonnent le continent».
Peut-on rire de tout, tout le temps et avec tout le monde?
Bien sûr, il faut défendre le droit de représenter les personnages historiques et Mahomet en est un, élu de Dieu ou pas.
Bien sûr, il ne faut pas céder à cette injonction qui prétend que jamais, dans l’Islam, on n’a toléré l’image de Mahomet.
Bien sûr, les satiristes doivent se faire l’écho de l’actualité brûlante et c’est bien la représentation de Mahomet qui l’occupe depuis la diffusion du film L’innocence des musulmans.
Bien sûr, les Burkinabè sont bien placés pour savoir que ce sont les chatouillis envers les chrétiens qui posèrent plus de problème à leur hebdomadaire local.
«On dirait que vous ne savez pas ce qui est arrivé à Salman Rushdie», écrivait un jour une bigote scandalisée au Journal du jeudi.
Si l'humoriste français Pierre Desproges était toujours de ce monde, à sa citation «on peut rire de tout, mais pas avec tout le monde», il ajouterait peut-être «mais pas tout le temps».
«C’est pas le moment de caricaturer Mahomet. C’est contre-productif», insiste Sébastien, un Burkinabè évangéliste, qui fait référence au contexte troublé, en Afrique, depuis la diffusion du film islamophobe venu des Etats-Unis.
«Ce n’est pas parce qu’on peut qu’on doit», précise-t-il.
«On dirait qu’eux-mêmes, à Charlie hebdo, ils sont plus intégristes que les intégristes...»
Des intégristes de la liberté de la presse? Des évêques des opinions mal-pensantes devenues pensée homologuée? La critique en miroir en inspire une autre:
«En fait, Charlie est une caricature de la liberté de la presse. Si la liberté, c’est dire n’importe quoi, on n’en veut pas en Afrique», tranche Arzouma.
En attendant, loin du continent, les journalistes de Charlie Hebdo surfent sur la vague politico-médiatique suscitée par l’annonce de leur nouvelle salve de caricatures du prophète.
De Laurent Fabius à François Fillon, tous font de la pub à l’hebdo, même ceux qui le dénigrent.
Pour un puriste de la satire, c’est peut-être le procès d’intention le plus blessant: la nouvelle édition de Charlie ne serait qu’une opération marketing destinée à faire un buzz dans un but pécuniaire.
«Pécuniaire», «marketing», «buzz», il n’y a pas de plus gros mots pour un journaliste satirique…
Damien Glez
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