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Burkina Faso: Quand Ouaga la puissante écrase Bobo la douce
En plein centre du Burkina Faso, Ouagadougou s'impose incontestablement comme LA grande ville du pays. A 360 km de là pourtant, Bobo-Dioulasso, surnommée «capitale économique», tente de survivre dans l'ombre de sa rivale.
Un brin de vent chaud qui effleure le visage, une ambiance tranquille, peu de voitures. Dans le centre-ville de Bobo-Dioulasso, on peut circuler à pied, le long des rues bordées d'immenses manguiers.
Le rythme paisible, la proximité du plan d'eau appelé «Guinguette», lorsqu'on veut se baigner. Et puis, surtout, l'accueil chaleureux de la population, toujours disposée à causer, à vous renseigner ou à vous aider dans vos démarches sans que vous n'ayez besoin de demander.
Les vrais citadins, Ouagalais un brin chauvins, assimilent même Bobo à la campagne.
Firmin, salarié d'une entreprise bobolaise, passe sa vie à Ouaga, et ne revient que pour voir sa famille ou lorsqu'il a rendez-vous avec son patron:
«Si tu veux voir des choses, c'est à Ouaga qu'il faut venir. On est toujours en train de courir, l'activité est là, c'est pas comme ici! A Bobo, il n'y a rien à faire, on s'ennuie!», lâche t-il, moqueur.
Mais n'en déplaise à ceux qui la snobent, Bobo-Dioulasso reste, d'une manière générale, beaucoup plus agréable que Ouagadougou. Ce n’est pas un hasard, d’ailleurs, si les étrangers la préfèrent généralement à la capitale.
Malgré tout, il est vrai que depuis quelques années, les investisseurs économiques la délaissent.
Ancienne ville-moteur
C’est bien elle, pourtant, que l’on nomme «capitale économique» du Burkina, pour les innombrables atouts qu’elle savait autrefois exploiter.
Première grande ville du Burkina reliée par le train à Abidjan, c’est Bobo qui se place en pole position pour envoyer les matières premières jusqu’au port ivoirien ou pour réceptionner celles qui en remontent.
C’est aussi à Bobo qu’est transformée aujourd’hui encore près de 85% de la production nationale de coton, principale richesse du pays. C’est à Bobo qu’est implantée la Sifa, fleuron de l’industrie burkinabè, qui produit et assemble une partie des deux roues qui circulent sur les routes.
C’est Bobo qui, enfin, accueille tous les deux ans, depuis 1983, la Semaine nationale de la Culture, symbole du rayonnement culturel du Burkina.
La Sofitex, plus grande
entreprise de coton du pays (4.500 personnes). © Cerise Assadi-Rochet
Perte de vitesse
Malgré tout, il ne faut pas s’y tromper. La «capitale économique» fait aujourd’hui davantage référence à un lointain passé florissant qu’à une réalité.
En 2009, la ville n'accueillait plus que 20% des entreprises du pays tel que défini par le Recensement industriel et commercial, contre 58% pour Ouagadougou.
La plupart des Bobolais le disent:
«A Bobo, y a plus rien. Ouaga a tout pris.»
Mamadou, rencontré au coin d'une rue, en témoigne parfaitement. Mécanicien de profession, il a appris son métier «sur le tas». Mais aujourd'hui, cela fait déjà plusieurs mois qu'il ne travaille plus. Il survit de petits travaux en tout genre, en proposant ses services ici et là.
«Je vais bientôt obtenir ma carte d'identité, pour pouvoir ensuite me rendre à Ouaga, et y trouver un travail, explique-t-il. Une fois que j'aurai un peu d'argent, je pourrai passer le permis et devenir chauffeur. Ce n'est pas en restant ici que je vais pouvoir mener ma vie!»
Issa est étudiant, il a 24 ans. Il est né à Bobo, mais, une fois son bac en poche, celui-ci n'a eu qu'un souhait:
«Aller étudier à Ouaga, pour avoir de meilleurs enseignements, et rencontrer plus de monde.»
Lui qui rêve de pouvoir s'expatrier en France ou au Canada pour travailler dans le conseil, a le sentiment d'avoir pris la meilleure décision de sa vie:
«En restant à Bobo, je sais qu'il ne se serait rien passé pour moi. A Ouaga au moins, je prends ma vie en main, j'explore différents milieux et je diversifie nettement mes compétences.»
Ce constat touche absolument tous les corps de profession. Le salariat, qui a tendance à se généraliser dans la capitale, fait rêver de nombreux Bobolais qui doivent, eux, souvent se contenter du secteur informel pour gagner leur vie.
Ouagadougou, sortie de l'ombre
Face à ce qui ressemble à un naufrage, la meilleure explication sort d’ailleurs de la bouche des Burkinabè eux-mêmes: Ouagadougou a effectivement tout pris.
En plein centre du pays, la capitale est reliée par le goudron aux capitales de tous les pays frontaliers du Burkina. Elle dispose d’un aéroport international.
Elle a su massivement tirer profit de l’exode rural, puisque sa population, dépassant à peine les 100.000 habitants au début des années 70, atteint aujourd’hui 1,6 million d’habitants.
Sans véritable consolidation des collectivités territoriales, Ouaga concentre encore la plupart des administrations.
Autant d'atouts qui attirent les potentiels investisseurs et entrepreneurs, qui la préfèrent de loin à Bobo, bien plus excentrée.
Ainsi assiste-t-on à Ouaga à une prolifération des petites et moyennes entreprises et à l'accroissement du bassin industriel. Le pouvoir central encourage d'ailleurs très nettement l'essor de la capitale, au détriment des autres villes.
A ce jour, une véritable politique de développement à l'échelle du pays se fait encore cruellement attendre, malgré les annonces répétées des gouvernements successifs.
Et, pour peu que des entreprises choisissent malgré tout de s'implanter à Bobo, elles ne génèrent pas nécessairement d'emplois pour les locaux:
«Les sociétés et les ONG qui s’implantent à Bobo-Dioulasso débarquent le plus souvent avec un personnel recruté à Ouaga, explique Bancé, étudiant partageant son temps entre les deux villes.
Alors, manque de moyens d'action ou absence totale de volonté de la part de l'Etat burkinabè?
Un Etat peu ambitieux?
Ouagadougou, centre décisionnel du pays. Ouagadougou, centre d'impulsion économique du pays. Impossible de ne pas imaginer un lien entre ces deux caractéristiques. D'autant que la situation ne date pas d'hier.
Certains disent même que la capitale a dépassé sa rivale depuis la fin des années 80. Si l'Etat en avait la volonté, il aurait, depuis le temps, cherché à s'enquérir des moyens d'actions permettant la mise en place d'une meilleure répartition des pôles générateurs de richesses.
Pourquoi ne pas le faire, alors que la centralistation à l'extrême ne pourra être à long terme que contre-productive pour le Burkina? Sans doute parce qu'une frange du pouvoir a tout intérêt à garder les richesses sous la main depuis plus de 20 ans. Le contrôle n'y est-il pas ainsi beaucoup plus simple, et l'ingérence bien plus facile?
Le coup de grâce ivoirien
Et, comme si cela ne suffisait pas, les deux crises politiques ivoiriennes de 2002 et 2010-2011 sont venues porter le coup de grâce à Bobo.
L’arrêt du trafic ferroviaire et routier reliant Bobo à Abidjan a provoqué un ralentissement très net des activités bobolaises.
Vendeurs comme acheteurs ont alors été obligés de se tourner vers d’autres produits, et d’autres pays potentiellement intéressés.
Résultat: allongement des délais d’approvisionnement et de commercialisation, et, bien sûr, diminution des revenus des ménages et augmentation des prix des produits de première nécessité.
De deux crises ivoiriennes naît donc une crise bobolaise, qui pousse d'autant plus les habitants à l’immigration ouagalesque.
Le match n'est pas fini
Le tableau n'est pourtant pas si sombre. Bien qu'ayant dû affronter d'innombrables difficultés, Bobo, forte de ses plus de 500.000 habitants et d'un passé relativement prospère, n'a pas (encore) tout perdu. Elle reste, de très loin, la deuxième ville du pays.
Bobo doit notamment réussir à tirer profit des facteurs naturels propices aux productions agricoles dont elle dispose: températures clémentes et pluviométrie plus importante que dans la plupart des autres villes du pays.
Exemple type du potentiel de Bobo, la Semaine nationale de la Culture pourrait également donner à la ville une bouffée d'oxygène supplémentaire. Alors que depuis quelques éditions, l'événement perd de sa splendeur, certains spécialistes du domaine culturel sont persuadés qu’il pourrait-être un moteur économique important pour Bobo.
C'est le cas d'Urbain Kam, le directeur de l'Association pour la sauvegarde du patrimoine artistique et culturel du Burkina (ASPAC), qui gère notamment le musée de la musique de la ville:
«La manifestation peut devenir lucrative. Tant pour les artistes et artisans qui en obtiendraient des revenus suffisants pour organiser toute leur vie autour d’elle, que pour les commerçants et hôteliers-restaurateurs, qui pourraient en tirer des revenus directement réinjectables dans leurs entreprises.»
Le public bobolais lors de la semaine nationale de la culture. © Cerise Assadi-Rochet
Tout comme Urban Kam, bien d'autres veulent croire au potentiel de la ville et de ses habitants. Certains n'hésitent d'ailleurs pas à exploiter ces capacités, et prouvent que les investisseurs n'ont pas tous déserté.
Moctar est l'un d'entre eux. Entrepreneur, il multiplie les investissements à long terme. Pour lui, le problème est clair, et ne concerne d'ailleurs pas que Bobo:
«Le problème chez nous vient souvent du manque de connaissances. Il faut que ceux qui ont des connaisances, ici, au Burkina, en fassent profiter les autres. Ainsi les gens auront-ils les moyens d'entreprendre, d'employer de la main d'oeuvre, de créer des richesses et de contribuer au développement de la ville, et à plus grande échelle, du pays. Peut-être même de l'Afrique...»
Cerise Assadi-Rochet
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