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Six raisons de ne pas aimer Kadhafi
Terreur, confusion, manipulations, nuisance, insultes, provocation… Le «guide de la révolution» libyenne a un solide répertoire d'ennemis dans son pays comme chez ses voisins arabes.
Mise à jour du 20 octobre 2011. Les forces du nouveau régime en Libye affirment avoir pris le contrôle de Syrte, le dernier bastion du régime déchu de Mouammar Kadhafi, après plus d'un mois de combats meurtriers. Selon le CNT (Conseil national de transition), le colonel Kadhafi serait mort.
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Un dictateur impitoyable
Des dizaines de jeunes qui manifestent devant le consulat d’Italie (vide) de Benghazi en 2006 et qui se font massacrer par la police, des prisonniers qui subissent le même sort durant plusieurs émeutes dans les années 1990. Des opposants assassinés aux quatre coins de la planète. Des disparus, enlevés en plein jour et dont plus personne n’a plus jamais entendu parler… Sans atteindre le niveau de terreur organisée de la Syrie d’Assad (père et fils), de l’Irak de Saddam Hussein ou même de la Tunisie de Ben Ali, la Libye, sous la férule de Kadhafi, fait partie de ces pays arabes où la dictature n’a jamais toléré la moindre contestation. Ni liberté d’expression, ni opposition autorisée ou même tolérée.
A cela s’ajoute un culte de la personnalité ubuesque et une volonté déclarée de transformer la Jamahiriya (néologisme né de la combinaison de Joumhouriya, la république, et Jamâhir, les masses ou le public) en Etat héréditaire. Pour n’importe quel Arabe, la Libye de Kadhafi n’a jamais été un pays où il faisait bon vivre et où l’on se rendait avec plaisir. Quant aux travailleurs immigrés, qu’ils soient arabes ou subsahariens, ils étaient aussi maltraités que ceux du Golfe. Les Tunisiens en savent quelque chose, eux qui sont régulièrement expulsés du jour au lendemain, otages des colères de Kadhafi contre leur pays natal.
Un idéologue confus
Que celui qui a lu le fameux Livre Vert lève le doigt! Mieux: que celui qui a compris la doctrine qui y est exposée se lève. Officiellement, Kadhafi a instauré en 1977, soit huit ans après sa prise de pouvoir, une démocratie directe où le peuple gouverne directement sans avoir besoin de partis. Bien entendu, le leader libyen a toujours contrôlé d’une main de fer les Comités populaires destinés à défendre sa révolution censée «résoudre de manière définitive la question de la démocratie».
Tour à tour inspirée par l’islam (religion d’Etat) et par un socialisme revisité, la doctrine politique de Kadhafi est en réalité un «boulgui-boulga» indigeste qui a découragé des légions entières d’étudiants en sciences politiques. On ne s’étonnera donc pas d’apprendre que la pensée du guide de la révolution, son titre depuis 1980, n’a guère connu de succès hors de ses frontières. Alors que le panarabisme prôné par Nasser n’a jamais totalement disparu –et les révolutions du moment lui redonnent même une certaine jeunesse– la doctrine libyenne n’est pas lisible et n’a guère de sympathisants dans le monde arabe à l’exception, temporaire, de tous ceux qui cherchent à obtenir un soutien financier…
Un fauteur de troubles
Le constat est simple et résume à lui seul la capacité de nuisance de Kadhafi. Il n’existe pas ou peu de mouvements rebelles arabes qui n’aient pas été financés, à un moment ou un autre, par le régime libyen. C’est le cas par exemple des Sahraouis du Front Polisario, dont on pense trop souvent qu’ils ne sont soutenus que par l’Algérie. En Tunisie, Kadhafi a longtemps exhorté la gauche à faire tomber Bourguiba avant de se rapprocher brièvement des islamistes. En Egypte, Sadate puis Moubarak n’ont eu de cesse de mettre en garde leur encombrant voisin contre ses tentatives de déstabilisation et ses velléités de fédérer les tribus nomades du sud-ouest du pays. Les Algériens eux, n’ont pas oublié qu’une partie des armes destinées aux Groupes islamiques armés transitaient par la frontière libyenne au vu et au su des services secrets du régime de Tripoli. Ils n’ont pas oublié non plus que les attentats de décembre 2007 dans la capitale algérienne n’ont pas été condamnés par Kadhafi. Dans le Golfe, presque toutes les oppositions aux monarchies pétrolières, le plus souvent installées à Londres, ont bénéficié du soutien financier libyen.
De quoi faire enrager les dirigeants de cette région mais aussi les populations qui, en réalité, n’ont jamais été séduites par celui qu’elles considéraient comme une pâle copie de Nasser voire d’Assad père ou de Boumédiène. A noter aussi que d’autres mouvements clandestins dans le monde ont bénéficié des largesses de Kadhafi, à commencer par l’IRA, les Brigades rouges ou l’ETA. Cela sans oublier les multiples attentats qui lui sont reprochés, à commencer par celui de Lockerbie (1988) et du DC-10 d’UTA (1989).
Un diviseur
Pour nombre d’Arabes, Mouammar Kadhafi n’est rien d’autre qu’un semeur de zizanie. Déjà bien en peine de s’accorder sur le moindre sujet, qu’il s’agisse de la Palestine, du Soudan ou, hier, du Liban, les membres de la Ligue arabe ont toujours eu du mal à trouver une position commune. Et leurs efforts étaient encore plus contrariés quand le leader libyen se mêlait de la partie. Apostrophant les uns, insultant les autres, se lançant dans des diatribes interminables sans respect pour le protocole, le temps de parole et encore moins pour les autres chefs d’Etat, Kadhafi a souvent engendré la confusion et mis tout le monde sur les nerfs.
Les diplomates maghrébins et égyptiens en savent quelque chose et, dans chaque capitale d’Afrique du Nord, les anecdotes ne manquent pas à propos de la capacité du «guide» à monter les uns contre les autres, parfois à l’image d’une commère affirmant à sa voisine de droite (l’Egypte) que sa voisine de gauche (l’Algérie) ne cesse de dire du mal d’elle. Cela avant d’appeler la voisine de gauche pour la mettre en garde contre la voisine de droite… «Si vous voulez torpiller une négociation ou une initiative régionale, il suffit de mettre Kadhafi dans le coup», confie un haut fonctionnaire algérien pour qui le dirigeant libyen n’a jamais admis de ne pas être pris au sérieux par ses pairs arabes.
Un donneur de leçons
«Les Algériens ne savent pas parler l’arabe et sont restés des Français», «les Saoudiens sont les esclaves des Américains», «les Egyptiens ne font que tendre la main pour obtenir un bakchich», «les Marocains devraient se débarrasser de la royauté». Toutes ces phrases, autant de clichés simplistes, ont été prononcées un jour, en public ou à la télévision, par Kadhafi.
Des propos insultants, toujours teintés de mépris et de supériorité, qui ont provoqué l’indignation et la colère. Celles-ci étaient d’autant plus fortes que les Arabes, dans leur grande majorité, ont souvent tendance à considérer les Libyens, surtout les Tripolitains, comme étant des bédouins incultes auxquels le pétrole a donné la chance de quitter leurs tentes. Même chose lorsque Kadhafi proclame qu’il est le roi des peuples d’Afrique. D’ailleurs, son tropisme africain amuse et agace ses partenaires arabes. Pour eux, le zaïm libyen ne cherche qu’à s’acheter une influence dans un continent pauvre afin de compenser son isolement dans le monde arabe.
Un clown
Dans les années 1990, une cassette vidéo a fait le bonheur de milliers de Tunisiens. Un buzz bien avant l’arrivée d’Internet. De quoi s’agissait-il? D’une compilation des passages les plus hilarants des discours de Kadhafi, comme lorsqu’il prétend que Shakespeare est d’origine arabe puisque son vrai nom serait «Sheikh Spear», ou que les Celtes sont d’origine africaine. Recenser les perles kadhafiennes («les insurgés sont drogués par al-Qaïda» étant l’une des dernières en date) permettrait certainement de connaître le même succès éditorial que le livre consacré aux sorties de Jean-Claude Van Damme (Parlez-vous le Van Damme, 2003).
De même, les scènes cocasses ont jalonné le règne du berger de Syrte. Que l’on repense à la tente bédouine plantée dans les jardins de l’hôtel Marigny, en plein huitième arrondissement parisien, ou à cette apparition nocturne à Tripoli, parapluie à la main, pour dénoncer les manifestants de Benghazi. Et que dire des fameuses amazones, ces gardes du corps féminins qui font fantasmer aussi bien en Orient qu’en Occident? Dans un mélange de mauvais goût et de provocation, Kadhafi s’inscrit dans la droite ligne d’un Idi Amin Dada en Ouganda ou d’un Bokassa en République centrafricaine. En plus cultivé, certes, mais tout aussi loufoque et impitoyable avec ses opposants.
Akram Belkaïd
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