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Le lieu du drame de la route où 42 personnes sont mortes dans un bus marocain le 4 septembre 2012, Haouz. AFP PHOTO/STR
Le lieu du drame de la route où 42 personnes sont mortes dans un bus marocain le 4 septembre 2012, Haouz. AFP PHOTO/STR

Pourquoi les routes marocaines sont si meurtrières?

Avec 4.000 morts par an, les routes marocaines comptent parmi les plus dangereuses du monde. Et la situation est loin d’être jugulée.

Mise à jour du 7 septembre: Selon le site d'informations marocain Yalibadi, le bilan définitif de l'accident de car survenu le 4 septembre 2012 est de 44 morts.

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Le Maroc vient de vivre un été meurtrier. Et le 4 septembre 2012, un des accidents de la circulation les plus dramatiques —avec 42 morts— qu’a connus le pays est venu confirmer la piètre réputation de son réseau routier, réputé être parmi les plus dangereux du monde.

Preuve en est que l’hécatombe est loin d’être jugulée, malgré un certain volontarisme de l’Etat pour y mettre un frein: le nombre de tués sur les routes augmente chaque année de près de 12%, au point que les médias parlent aujourd’hui non plus seulement de «guerre de la route», mais bien de «criminalité routière».

Une réalité encore plus sombre

Le plan stratégique d’urgence contre l’insécurité routière au Maroc, lancé en 2004, et l’entrée en vigueur du nouveau code de la route et du permis à points en octobre 2010 n’y ont pas changé grand chose: plus de 4.000 personnes sont mortes sur les routes du Maroc en 2011, soit 12 tués par jour. Et 2012 promet hélas de battre ce triste record.

C’est autant de morts que sur les routes françaises, mais avec une population deux fois moins importante et un parc automobile qui compte 13 fois moins de véhicules.

Le Maroc compte 2 millions de véhicules pour 32 millions d’habitants et, proportionnellement, le risque d’y trouver la mort dans un accident de la route est six fois plus élevé qu’en France et neuf fois plus qu’au Royaume-Uni.

«Le nombre d’accidents de la route au Maroc est 14 fois plus élevé qu’en France, 23,3 fois plus élevé qu’en Suède, 11,7 fois plus élevé qu’aux Etats-Unis, 1,3 fois plus élevé qu’en Algérie et en Tunisie et 17,5 fois plus élevé qu’en Espagne» rapporte le site Yabiladi.

La réalité serait bien plus sombre que celle reflétée par les statistiques officielles selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui parle elle de véritable «fléau sanitaire».

Selon elle, la mortalité y est deux fois plus élevée, soit près de 8.500 morts, «en raison de biais statistiques et d’une forte sous-déclaration des décès qui interviennent dans les trente jours suivant l’accident».

En plus de coûter la vie à des milliers de personnes par an, les accidents de la route ont également un coût économique pour le pays estimé à plus de 2% du Produit interieur brut du pays, sans compter les charges répercutées sur les compagnies d’assurance.

Infrastructures obsolètes et incivisme

Les causes d’accidents sont multiples. Mauvaises infrastructures routières (hormis les grands axes autoroutiers), vétusté et manque d’entretien des véhicules, etc…

Sur France 24, un ingénieur blogueur revient sur les raisons qui ont conduit à la tragédie du col du Tichka le 4 septembre. Il y explique que le Maroc, depuis l’époque du Protectorat, privilégie le développement du «Maroc utile» au détriment des régions enclavées.

Des explications pertinentes, mais qui seraient marginales, eu égard au manque de civisme et au non-respect du code de la route (conduite en état d’ébriété, excès de vitesse,...)

«Le principal défi réside dans le changement des mentalités et des comportements dans notre société» se défend pour sa part le secrétaire général du ministère de l'Equipement et du Transport, Mohammed Benjelloun.

Une étude du Comité national de prévoyance des accidents de la circulation (CNPAC) datant de 2009 est éloquente: la moitié des conducteurs ne portent pas la ceinture de sécurité, 21% des conducteurs de deux-roues et 76% de leurs passagers ne portent pas de casque, 85% des conducteurs grillent les stops, 79% ne respectent pas la priorité à droite et 9% ne s’arrêtent pas au feu rouge (29% pour les deux-roues).

Des chiffres qui sont par ailleurs raillés par la presse tant ils paraissent en-deça de la réalité.

Le renforcement de la sécurité et de la prévention routière par des spots télévisés de sensibilisation et l’installation d’un millier de radars sur les routes n’auront pas suffi. Des radars souvent inopérants, puisqu’on compte aujourd’hui près de 3 millions de PV non-traités de l’aveu même des autorités.

Des fourgons de transporteurs clandestins surchargés sur une route marocaine. DR

Des maux plus profonds

Cette politique, bien que bienvenue, cache en réalité des maux plus profonds souvent évoqués par les internautes sur les réseaux sociaux: la corruption endémique des agents verbalisateurs, notamment les éléments de la Gendarmerie royale, régulièrement dénoncés par la presse, comme ce fut le cas en 2007 avec l’affaire du «sniper de Targuist», un jeune vidéaste amateur qui a filmé leur racket sur une route de montagne dans le Nord du Maroc.

Les sanctions sont rares et le laxisme des autorités de plus en plus pointé du doigt, notamment dans leur incapacité à réglementer le secteur des transports publics gangrené par l’achat et le trafic de faux permis de conduire et surtout l’octroi de licences rentières (les fameux agréments de taxis et d’autocars dont la divulgation de la liste des bénéficiaires a récemment fait grand bruit) à des notables en lieu et place d’une professionnalisation du secteur.

Les syndicats de taxis et le lobby des transporteurs menacent régulièrement les pouvoirs publics de faire grève refusant le port de la ceinture de sécurité, la pose de tachymètres de contrôle de la vitesse et imposant la surchage des véhicules.

Il n’est donc pas étonnant de constater que les accidents les plus graves sont le fait de conducteurs de véhicules non formés et employés par des compagnies qui préfèrent graisser la patte aux gendarmes que de respecter les régles les plus élémentaires de sécurité.

Ali Amar, de Rabat

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Ali Amar

Ali Amar. Journaliste marocain, il a dirigé la rédaction du Journal hebdomadaire. Auteur de "Mohammed VI, le grand malentendu". Calmann-Lévy, 2009. Ouvrage interdit au Maroc.

Ses derniers articles: Patrick Ramaël, ce juge qui agace la Françafrique  Ce que Mohammed VI doit au maréchal Lyautey  Maroc: Le «jour du disparu», une fausse bonne idée 

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