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L'Afrique du Sud un pays malade?
Montée du populisme, divisions internes et agitation dans les mines… L’ANC, le parti au pouvoir, joue gros, avec sa gestion du massacre de la mine de Marikana.
Mise à jour du 8 novembre 2012: Les partis de l'opposition sud-africaine ont déposé le 8 novembre au Parlement une motion de censure contre le président Jacob Zuma, critiquant pêle-mêle immixtion dans la justice, corruption et incapacité à résoudre les problèmes économiques du pays.
Dans un rare mouvement d'unité, les huit partis d'opposition représentés au Parlement ont demandé à l'Assemblée nationale de voter contre Zuma, qui est actuellement au centre d'une série de scandales.
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Il aura fallu un tollé national pour que la justice sud-africaine libère un premier groupe de 50 mineurs, le 4 septembre, et suspende provisoirement un chef d’inculpation pour meurtre, énoncé à l’encontre de 270 mineurs arrêtés après le massacre de Marikana.
Dans cette mine de Lonmin, située à 100 kilomètres de Johannesburg, 34 mineurs ont été tués à balles réelles par la police, le 16 août, parce qu’ils réclamaient de manière menacante, avec bâtons et machettes, une augmentation de salaire.
Les mineurs ont été inculpés du meurtre de leurs collègues, le 30 août, alors qu’aucune arrestation n’a été faite dans les rangs des policiers…
Ce chef d’inculpation absurde, qui n’a fait que jeter de l’huile sur le feu, repose sur une ancienne loi anti-émeute de l’apartheid. Un texte de 1956 qui permet de retourner une accusation pour meurtre contre de simples manifestants, en les accusant d’avoir provoqué les forces de sécurité…
Alors que l’ANC s’illustre par sa gestion calamiteuse du dossier, Julius Malema, l’ex-dirigeant de la Ligue des jeunes du Congrès national africain (ANC), exclu du parti en avril 2012, continue d’exploiter le drame.
Premier homme politique à s’être rendu sur place pour écouter les mineurs et leur parler, il menace de rendre les mines du pays «ingouvernables». Et incite les mineurs à faire grève.
L'ANC ne convainc plus personne
Le débat sur la nationalisation des mines, qu’il a lui-même lancé en 2010, reprend de plus belle. Le projet est soutenu par certains syndicats noirs, mais ne relève pas —du moins pour le moment— du programme politique officiel de l’ANC.
Marikana, un tournant dans la vie politique post-apartheid, rendra ce débat encore plus brûlant lors du prochain congrès du parti, prévu pour décembre à Bloemfontein (centre-est du pays).
En attendant, l’agitation sociale se propage dans les mines sud-africaines. Quelque 12.000 mineurs de Gold Fields (la première compagnie minière d'Afrique du Sud) ont cessé le travail et demandent de meilleurs salaires.
Des agents d’une société de sécurité privée ont ouvert le feu, le 3 septembre, contre des mineurs de la compagnie Gold One, tirant des balles en caoutchouc pour mettre fin à une rixe entre grévistes et non-grévistes. Bilan: quatre blessés.
L’ANC doit faire son examen de conscience —mais ses décisions comme ses discours laissent l’opinion sur sa faim. Le chef de l’Etat, Jacob Zuma, s’est d’abord entretenu avec la direction de Lonmin, avant de voir les mineurs, six jours après le massacre.
Des enquêtes ont été ordonnées, mais aucune réprimande adressée aux responsables de la police.
«Nous sommes tous responsables, par notre action ou notre inaction, de la tragédie de Marikana», a déclaré Cyril Ramaphosa, à la fois membre du conseil d’administration de Lonmin, la société qui gère la mine de Marikana, et des instances exécutives de l’ANC.
Ce capitaine d’industrie donné comme présidentiable est sorti de son habituel mutisme, ayant été montré du doigt par Julius Malema comme un symbole de la collusion entre les élites noires au pouvoir et le capital, encore largement détenu par des blancs.
L’analyse de Ramaphosa ne se solde pas vraiment par un mea culpa, mais par un vœu pieu:
Face aux bidonvilles qui sont le lot des mineurs, il préconise «une meilleure planification du développement et une plus grande coopération entre les mines et le gouvernement (…) pour faire une vraie différence dans la vie des mineurs.»
La menace du pillage plane
L’ANC joue gros avec Marikana. Ce drame incarne la tension qui couve depuis plusieurs années et le risque politique qui fait parfois peur aux investisseurs en Afrique du Sud. La menace du pillage plane, avec un déferlement prévisible de violence des plus pauvres, si les inégalités sociales continuent de se creuser.
La question raciale n’est pas réglée: les terres appartiennent toujours à des fermiers blancs, comme au Zimbabwe voisin avant la politique de confiscation des fermes menée par Robert Mugabe.
Le sous-sol, lui aussi, reste entre les mains d’intérêts blancs, malgré la politique de Black Economic Empowerment (BEE, «montée en puissance économique des noirs») qui a vu 26% des intérêts miniers transférés à des sociétés noires dirigées par une petite élite liée au pouvoir, ces dix dernières années.
La minorité blanche demeure beaucoup plus riche —et souvent mieux payée, à postes égaux— que la majorité noire, en dépit de l’émergence d’une classe moyenne noire.
S’ajoutent à ces inégalités raciales un conflit de classe nourri par le bling-bling de la haute bourgeoisie noire et une impression «d’injustice systémique» au bas de l’échelle sociale, note le politologue sud-africain William Gumede, auteur d’un recueil de chroniques intitulé Restless Nation. Un conflit social devenu violent à Marikana, faute de réelle redistribution des richesses, dans un contexte de pauvreté et de chômage endémiques.
Une implosion en vue
Le parti au pouvoir est «en route pour l’implosion», estime William Gumede, si les factions pro et anti-Zuma continuent de s’affronter sans réelle alternative à l’intérieur de l’ANC. Les ambitions présidentielles de Cyril Ramaphosa semblent balayées par Marikana.
Son statut de milliardaire noir plus soucieux de «game farm», sa ferme à animaux sauvages, que du bien-être du commun des mortels, a entamé sa popularité.
«C’est le même homme qui était prêt à débourser 19,5 millions de rands (195 000 euros) pour un buffle lors d’une vente aux enchères d’animaux sauvages en mai», souligne Gumede, alors que les mineurs de fond de Marikana doivent se contenter de 4.500 rands nets (environ 400 euros) par mois.
La meilleure option pour l’ANC reste son vice-président Kgalema Motlanthe, qui n’a pas de grande vision pour son pays mais une dévotion à toute épreuve à l’égard de son parti.
Cet ancien secrétaire général du Syndicat national des mineurs (Num) a su maintenir l’ANC uni, malgré les sévères joutes politiques qui ont marqué l’éviction de Thabo Mbeki de la présidence du parti en 2007, puis de celle du pays en 2008.
Le parti est aux mains d’une «brigade de rapaces»
«L’ANC doit sortir de sa torpeur et réaliser qu’après 18 ans de promesses, ce n’est pas ce qu’il dit mais ce qu’il fait qui compte désormais», estime Justice Malala, éditorialiste noir de l’hebdomadaire The Sunday Times.
Trois scénarios se dessinent, à son avis, pour l’Afrique du Sud. Le premier, le plus optimiste, verrait l’ANC se ressaisir pour enfin tenir ses promesses et faire une réelle différence en matière d’emploi, d’éducation et d’infrastructures.
Le second, plus réaliste, verrait l’ANC «rester entre les mains d’une brigade de rapaces, de “moi d’abord” et “c’est notre tour de manger” qui le tire vers le bas».
Auquel cas une réelle opposition interne au parti d’hommes éthiques et crédibles (de la trempe de Kgalema Motlanthe, qui ne traîne aucune casserole) pourrait éclore pour porter le projet de «vie meilleure pour tous» de l’ANC. En face se trouverait alors une coalition de populistes à la Malema.
«Cette coalition promettrait des largesses, le lait et le miel, sans produire l’ombre d’une preuve sur la manière dont son programme serait réalisé.»
Un troisième scenario, que n’évoque pas Justice Malala, mais qui serait encore plus inquiétant pour l’Afrique du Sud, verrait Julius Malema faire son retour dans les instances du parti, grâce au soutien de la base, et capitaliser sur des années de frustrations accumulées pour se forger un destin de président.
Sabine Cessou
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