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Tahar Touati appelle le gouvernement algérien à l'aide. Capture d'écran YouTube
Tahar Touati appelle le gouvernement algérien à l'aide. Capture d'écran YouTube

L'Algérie doit changer son fusil d'épaule au Mali

Si la mort d'un de ses diplomates retenus otages au Mali est confirmée, l'Algérie peut être contrainte de changer sa stratégie face aux islamistes maliens.

«En Algérie, les choses se règlent dans l’opacité.»

Ainsi twitte un journaliste, au lendemain de l’annonce, le 2 septembre, de l’exécution d’un diplomate algérien par le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao).

Ce groupe djihadiste proche d’al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) annonce dans un communiqué relayé par le site mauritanien Sahara Media Agency avoir exécuté Tahar Touati le vice-consul d’Algérie à Gao, enlevé le 5 avril 2012. Le communiqué est très sévère à l’égard du gouvernement algérien jugé «stupide» et «irresponsable».

Abou Al Walid Sahraoui, le signataire du communiqué, affirme que les autorités algériennes «doivent assumer les conséquences de leur entêtement et des décisions erronées et irresponsables de leur président et de ses généraux».

C’est donc en représailles du manque de coopération des autorités algériennes, que le Mujao aurait mis à exécution sa menace de tuer le vice-consul algérien.

«L’exécution de l’otage est intervenue à la "dernière minute” dans la matinée du samedi 1er septembre, lorsque les négociateurs algériens se sont retirés des discussions pour libérer l'otage», rappelle le site L’Expression.  

Difficile de vérifier l’information. Les sites algériens et panarabes, tel Al-Jazeera (en langue arabe) qui relaie l'annonce dans la journée du 2 septembre, restent prudents.

Leur seule source est le site mauritanien Sahara Media Agency qui affirme avoir reçu un communiqué du Mujao annonçant l’exécution du vice-consul algérien Tahar Touati. Quatre jours plus tard, aucune source n’est venue confirmer ou infirmer le communiqué.

Silence d’Alger

Du côté des autorités algériennes, aucune information ne filtre, à part celle relatant les vérifications des communiqués relayés par plusieurs médias. Alger ne confirme pas, n’infirme pas, mais «tente de cultiver, faiblement, l'idée que l'inéluctable n'est pas arrivé pour Tahar Touati», écrit l’éditorialiste du Quotidien d’Oran

«Le communiqué annonçant l’exécution du fonctionnaire consulaire algérien ne peut par conséquent que susciter la surprise et justifier les démarches engagées en vue de confirmer la véracité de l’information diffusée samedi en fin de journée», a précisé le ministère des Affaires étrangères.

Un flou qui n’atténue en rien l’émotion de la nouvelle dans la société algérienne. «Le couperet est tombé et a suscité une grande émotion au sein des citoyens algériens», note L’expression.

A l’émotion, s’ajoute l’incompréhension devant le malaise perceptible des autorités algériennes. Le site d’information Le Matin dz pointe les hésitations d’Alger après l’annonce de l’exécution.

Le malaise et la confusion règnent. Ce qui n’échappe pas à la presse locale qui tente de déceler les moindres contradictions dans les communiqués officielles. Le Matin DZ se prête à l’exercice: pourquoi le ministère qui était prétendument en contact permanent avec les ravisseurs n’a pas recu l'ultimatum du Mujao?

Alger et la menace terroriste, une longue histoire

La presse algérienne ne semble toutefois pas écarter la thèse de l’intox «visant à semer la panique et à augmenter les enchères de cette prise d'otages». Car, effectivement, ce n’est pas la première fois que le Mujao menace l’Algérie.

La mort de 10 combattants terroristes, le jeudi 30 août, à Boumerdès rappelle que la menace d'attentats plane toujours sur l’Algérie, un pays qui n’a pas tout a fait tourné la page de la décennie noire.

Dans son communiqué, le Mujao a par ailleurs renouvelé ses menaces d'attentats qui viseraient des bâtiments publics et des institutions en Algérie.

Même si la thèse de l’intox demeure plausible, les familles et les proches du vice-consul regrettent déjà sa disparition.

 «Hier, Messaâd, la paisible localité des Hauts-Plateaux de la wilaya de Djelfa, a pleuré à chaudes larmes son fils…Cet acte terroriste qui exhume le douloureux épisode de Ali Belaroussi et Azzedine Belkadi, deux diplomates algériens exécutés par Al Qaîda à Baghdad», raconte le site l’Expression.  

La famille et nombre d’Algériens se posent les mêmes questions, encore sans réponse.

«Comment le gouvernement algérien n'a-t-il pas mesuré l'ampleur de la situation tragique dans laquelle se trouvaient les otages algériens?», s'interroge Le Matin DZ. 

Le site Dernières nouvelles d’Algérie préfère interpeler directement le chef de l'Etat algérien, Abdelaziz Bouteflika:

«Président, expliquez maintenant aux Algériens pourquoi le diplomate a été exécuté au Mali.»

Beaucoup de questions demeurent en suspens comme souvent dans ce genre d’affaires. La guerre des communiqués fait rage au profit de chaque camp. Le quotidien El Watan préfère parler de «tyrannie du Sahel» et même de «bourbier sahélien» qui devient un champ de bataille régional dont les conséquences affecteront une bonne partie de l’Afrique.  

Tahar Touati au gouvernement algérien: Aidez-moi 

Certains disent que les autorités algériennes étaient prévenues. Avant la mise à exécution de cette menace, un ultimatum a été donné par le Mujao aux autorités algériennes pour libérer les trois islamistes d'Aqmi arrêtés à Berriane dans la wilaya de Ghardaïa. Le 26 août, dans un enregistrement vidéo, le vice-consul algérien est apparu avec une barbe, vêtu d'une djellaba suppliant les autorités algériennes de venir à son secours.

Face caméra, il lisait un texte, «sûrement écrit par ses ravisseurs». Après une prière, il demandait au gouvernement algérien de tout faire pour lui sauver la vie. En échange les islamistes réclamaient la libération de trois des leurs, récemment arrêtés dans le sud algérien.

Tahar Touati ajoutait devant la caméra que des pays comme la France, l'Italie ou la Mauritanie ont négocié par le passé avec les ravisseurs pour obtenir la libération de leurs ressortissants. Il appelait l'Algérie à suivre cette voie. 

L'Algérie doit-elle intervenir dans la guerre au Sahel?

Si l’exécution du diplomate se confirme, cela pose la question de la survie des six autres otages et du modus operandi de la diplomatie algérienne dans l’affaire des otages, soit son refus catégorique de payer des rançons.

Par ailleurs, Alger s'opposait jusque-là à toute intervention militaire au Mali. La mort d’un de ses ressortissants changera-t-elle la donne?

Depuis plusieurs mois, la France et plusieurs pays du Sahel appellent à une collaboration de la première puissance régionale, rappelle le quotidien francophone El Watan.

Une sale guerre est-elle menée contre l’Algérie?, comme semble le penser une partie de la presse algérienne. Quatre jours après l’annonce de l’exécution, El Watan s’interroge sur les responsables extérieurs de cette tragédie. Autrement dit qui tire les ficelles de cette guerre? Le Qatar, selon l’éditorialiste algérien.

«Toutes ses activités criminelles sont médiatisées par une seule chaîne de télévision Al Jazeera, propriété de l’émir du Qatar. Ce n’est pas fortuit», affirme-t-il. 

La thèse du complot n'est jamais très loin. 

Nadéra Bouazza 

 

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Nadéra Bouazza. Journaliste à Slate Afrique

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