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Pour qui pleure la Vierge ivoirienne?
Une statue de la mère de Jésus pleurerait des larmes de sang dans le village de Simone Gbagbo. Message divin ou supercherie?
Tout est bon pour victimiser l’ancien régime ivoirien, au moment crucial où Laurent Gbagbo croupit dans les geôles de la Cour pénale internationale.
En août, les cris d’orfraie ont eu de multiples occasion de se faire stridents. Des inconnus ont attaqué le siège d'un groupe éditant le journal gbaboïste Le Temps. La Direction de la surveillance du territoire a arrêté Alphonse Douati, ancien ministre et secrétaire général adjoint du Front populaire ivoirien (FPI) chargé du suivi de l’action gouvernementale.
Certains organes de presse affirment même qu’un commando venu de Guinée aurait préparé, toujours en août, un kidnapping de Simone Gbagbo, l’ex-première dame en résidence surveillée à Odienné, ville située au Nord-ouest de la Côte d'Ivoire.
Mais il en faudrait plus pour sauver la tête de l’ancien président ivoirien qui attend, à La Haye, la suite de son procès. Plus? Une intervention divine ferait l’affaire. Surtout que les prédicateurs évangélistes.
proches de “Koudou” (surnom de Laurent Gbagbo) ont toujours considéré l’élection du «Christ de Mama» comme «le choix de Dieu».
Le Tout-puissant n’ayant pas daigné envoyer le «feu du ciel» que Laurent Gbagbo –toujours président– promettait à certains des voisins de la Côte d’Ivoire, il pourrait avoir délégué un de ses proches. Ou plutôt “une” de ses proches: la mère du Christ (l’original, pas celui de Mama). Solidarité féminine oblige, la Vierge éternelle aurait décidé d’exprimer ses meurtrissures non pas à La Haye, mais à Moossou, dans la commune de Grand Bassam. Car Moosou se trouve être le village natal de Simone Gbagbo. Depuis le début de la semaine, les médias relaient les témoignages de plusieurs fidèles de la paroisse Saint-Antoine-de-Padoue. Quelques jours après l’Assomption qui célèbre la montée au ciel de la bienheureuse mère de Dieu, le même week-end où l’on planifiait l’enlèvement de la fille du village, une statue de la Vierge Marie aurait pleuré «des larmes de sang».
C’est juste avant la célébration de la messe dominicale de 8 heures, ce 19 août, qu’une dame chargée de l’entretien aurait aperçu ce liquide écarlate coulant de l’œil droit de la statue. Essuyé, le liquide lacrymal sanguinolent serait devenu encore plus abondant et plus rouge, à l’issue de la célébration.
Le clergé est prudent
La nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre, jusqu’à parvenir à Abidjan. Parmi les nombreux croyants accourus en pèlerinage, certains affirment avoir constaté un autre phénomène qui s’apparenterait également à un miracle: la vierge de pierre aurait redressé la tête qu’elle garde d’ordinaire inclinée.
Comme à l’accoutumée, le clergé est prudent. Car ce genre de manifestation lacrymale est récurrent. Il y a quinze ans, une statue de la Madone aurait ainsi versé des larmes de sang, dans une paroisse de Civitavecchia, un quartier de Rome.
A Notre-Dame-de-Lourdes, en France, c’est de l’huile que distilleraient les yeux d’une statue de la Vierge.
Sachant que les supercheries sont possibles, notamment grâce à des statues poreuses dont on aurait gratté le vernis au niveau des yeux, les autorités religieuses sont gênées aux entournures. Refusant pour l’instant de commenter le phénomène ivoirien, des prêtres invoquent le droit à l’étude.
Et voilà Moossou devenu le théâtre d’un bien curieux ballet digne d’une série américaine mettant en scène la police scientifique.
L’église a été fermée, le visage de la Vierge Marie a été essuyé, le liquide recueilli a été envoyé en laboratoire pour identification de l’ADN et des vigiles surveillent en permanence la statue, afin d’observer une éventuelle réédition des pleurs sanguins.
En attendant, le clergé ivoirien, prudent, se refuse à homologuer le miracle. Il se contente d’appeler à la prière et au recueillement. Ça ne mange pas de pain. Ni d’hostie.
«Laisse parler les gens» dit la chanson. Et la hiérarchie de l’église catholique ne peut évidemment intercepter les multiples et variés commentaires qui font déjà florès, dans ce pays où le sang continue de couler, et pas seulement sur les joues des statues.
Les voies du Seigneur étant réputées impénétrables, certains se limitent à des questions : pourquoi la Vierge pleure-t-elle? Pourquoi des larmes de sang? Pourquoi seulement de l’oeil droit?
D’autres se risquent à interpréter à qui mieux mieux. La mère du Christ serait en colère contre le peuple ivoirien et tenterait de faire part de sa tristesse. Pour les commentateurs les plus téméraires (et les plus gbagboïstes), le choix de ce village intimement lié au couple Gbagbo démontrerait le désaveu divin de la «persécution internationale» subie par l’ancien président…
Damien Glez
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