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En Algérie, dès qu'on a un problème, on coupe les routes. Toute autre action n'ayant aucune utilité du fait de l'absence de dialogue, de médias publics à l'écoute des citoyens, de relais de communication ou même d'élections libres.
C'est un grand classique, un problème socio-économique ou politique survient ou perdure, la route est coupée par un groupe actif.
Puis les gendarmes ou les forces anti-émeutes arrivent, délogent tout le monde et ramassent les plus turbulents, filtrent les manifestants et envoient les meneurs au tribunal qui écopent de quelques mois de prison.
Ainsi, chaque année, des routes sont coupées par des mouvements de protestation. Cet été encore, les raisons de la colère ont été multiples: coupures sauvages d'électricité et d'eau, inflation, insécurité, feux de forêt d'origine criminelle et laxisme des autorités, de nombreux problèmes qui ont poussé d'autres routes à être coupées un peu partout.
Mais il y a quelques jours, un groupe de citoyens d'El Frine, à l'extrême est du pays, a été plus loin et a carrément construit, en pleine nuit, un mur de briques en travers de la route nationale 44, la fermant totalement.
Ce n'est qu'au petit matin que les automobilistes ont du s'arrêter au pied du mur, au sens propre, et découvrir l'ouvrage, orné pour l'occasion de dizaines de petits drapeaux algériens.
Fait nouveau aussi, les manifestants entendaient protester contre de mauvaises conditions de vie, mais aussi contre les multiples atteintes à l'environnement dans cette belle région de lacs, où une faune et flore particulières attirent l'attention des locaux, chercheurs et touristes.
Pollution et dégradations ont pratiquement détruit les atouts naturels, et un mur artificiel de briques rouges a été érigé pour protester, empêchant entre autres le wali (préfét) de la région, de se rendre à son bureau. Bonne nouvelle pour les Algériens, les walis vont finalement au bureau le matin.
Etat absent, pas de gouvernement depuis les élections de mai 2012, des ministères gérés par des intérimaires, communication officielle déficiente et une masse compacte de problèmes socio-économiques ont mis la population à bout, d'autant qu'une chaleur inhabituelle persiste depuis un mois.
Après un ramadan pénible, la rentrée pointe le bout de son nez et dans un sévère réquisitoire, l'avocat, auteur et ancien sénateur, le très respecté Mokrane Aït-Larbi, met tout sur le dos du président Bouteflika, «seul responsable de ce blocage compte tenu du fait que tous les pouvoirs sont concentrés entre ses mains».
En colère mais sans pourtant envisager de construire un mur, l'avocat note qu'il «n’y a plus de gouvernement. Il y a juste un président et des secrétaires. C’est lui qui décide». Pour lui, le reste coule de source:
«Les responsables ne sont pas élus par le peuple, donc ils n’éprouvent pas le besoin de lui rendre des comptes et encore moins être à son écoute, d’où cette situation d’absence de dialogue.»
Pourquoi un mur? «Parce que la population fait face à un mur», résume tristement un correspondant de presse arrivé sur le mur d'El Frine, habitué à couvrir les nombreuses manifestations de colère des turbulentes régions de l'Est. Mais pourquoi un mur? C'est la faute à la télévision.
Cet été, un feuilleton populaire passe, Hadj Lakhdar, où dans l'un des épisodes, un groupe construit en pleine nuit un mur de briques autour d'une voiture, à cause d'un différend avec son propriétaire.
La sombre télévision algérienne aurait ainsi aidé à trouver de nouvelles façons de protester, ce qui est le comble de l'ironie pour une télévision restée stalinienne, au service non public et exclusif du régime.
Le mimétisme des émeutiers aidant, on peut déjà s'attendre à la rentrée à de nouveaux ouvrages d'art et de murs en briques, béton ou pierres, construits sur les nombreuses routes du pays.
Quand au mur d'El Frine, les gendarmes l'ont détruit le jour même et rouvert la route. Mais jusqu'à quand?
Chawki Amari
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