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Le Swaziland, enclave asphyxiée et aphone
Le 18 mars dernier, près de 2.000 manifestants ont marché pour obtenir la chute du gouvernement. Un mouvement de contestation inédit au royaume de Mswati III, où il ne fait pas bon critiquer le régime.
Il était une fois, dans un royaume très lointain, un roi despotique, pagne ceint aux reins et plumes piquées dans les cheveux, et une reine travestie en soldat pour rejoindre secrètement son amant, ministre de la Justice et ami d'enfance de l'illustre époux...
Tout droit sorti d'un conte pour enfants ou d'une comédie à la Feydeau, le roi du Swaziland, Mswati III, un tyran excessif et capricieux, ridiculisé par des comparses vaudevilliens, campe un personnage grotesque. Le ressort comique, bien qu'éculé, du triangle amoureux —le mari, la femme et l'amant du placard— prêterait à rire si la situation de ce petit Etat d'Afrique australe n'était pas si tragique.
Quand bien même les Swazis, malgré la situation économique déplorable qui condamne 63% d'entre eux à vivre en dessous du seuil de pauvreté et le taux d'incidence record du VIH (40% de la population est atteinte du virus du sida), souhaiteraient se gausser de leur monarque berné, certainement devraient-ils en demander la permission au gouvernement.
La censure comme vertu d'Etat
En 2010, dans un discours prononcé devant le Parlement, le Premier ministre a exprimé son désir de voir adopter une nouvelle loi sur la presse et les médias, qui imposerait aux éditorialistes de la presse écrite d’obtenir une autorisation gouvernementale avant toute publication. La volonté de censure ne saurait être plus limpide.
Et les déclarations de bonnes intentions, lâchées ça et là, ne trompent personne. Le 16 février 2011, le ministre de la Santé, Benedict Xaba, a ordonné à l'ensemble des employés de son ministère de collaborer systématiquement avec les journalistes afin de promouvoir une transparence totale.
«J'ai enjoint les membres de mon ministère à adopter une nouvelle éthique de travail. Ils doivent coopérer avec les journalistes qui sont nos partenaires sur la voie de l'amélioration des services de santé.»
Sans vouloir verser dans le cynisme le plus pur, les propos du ministre laissent songeur. Voire dubitatif. Voire radicalement sceptique. La libre circulation de l'information érigée en principe de bonne gouvernance au Swaziland: bienvenu au royaume de l'oxymore.
Dernière monarchie absolue africaine
Dans la dernière monarchie absolue d'Afrique, la liberté d'expression, comme chacune des libertés fondamentales, est soumise à l'arbitraire royal. Gouvernement par décret, droit de veto, attribution des postes clefs; Mswati III est allergique à la démocratie.
Début mars 2011, le gouvernement a interdit la retransmission de Focus on Africa, un programme de la BBC diffusé trois fois par jour sur la version anglaise de la radio d'Etat, la Swaziland Broadcasting and Information Services (SBIS). La raison de cette mise à l'index? On reproche à l'émission d'avoir émis des critiques à l'égard du gouvernement.
Pour une monarchie absolue, c'est plus qu'on ne saurait tolérer. Pour une monarchie absolue qui, comme bon nombre de dictatures d'Afrique subsaharienne, craint la contagion révolutionnaire impulsée par la Tunisie et l'Egypte, c'est plus qu'on ne saurait supporter.
L'argument invoqué par la ministre des Communications, de l'Information et de la Technologie, Nelisiwe Shongwe, est imparable:
«Le programme doit être révisé afin de ne pas avoir un impact négatif sur les gens. Les citoyens sont en mesure de comprendre que certaines informations ne doivent pas être communiquées aux auditeurs.»
La rhétorique de la responsabilisation civique est largement ironique dans le cas d'une société civile privée de tous ses droits. Ce paternalisme d'Etat est l'antienne de tout bon régime autoritaire qui se respecte, qui plus est dans une monarchie où la relation entre le roi et son peuple s'incarne en une filiation symbolique où seuls les vassaux ont des devoirs envers le souverain.
Le 21 juillet 2010, fort de sa confiance dans le pouvoir illimité du monarque, le frère du roi a menacé de mort les journalistes critiques envers le royaume. En 2009, deux éditorialistes, Mfomfo Nkambule du Times of Swaziland, seul journal privé du pays, et Mario Masuku de Times Sunday ont dû abandonner leur colonne sous la contrainte du gouvernement.
La presse publique diffuse uniquement du contenu contrôlé et validé par le ministère de l’Information, et les journaux indépendants ont d’énormes difficultés à accéder à l’information officielle.
L'opposition s'organise sur le réseau
Les révoltes au Maghreb et au Proche-Orient ont cependant instillé l'idée que le renversement de régimes jusque-là considérés inamovibles est possible. Aussi, nul doute que, depuis quelques mois, l'extravagant monarque du Swaziland ressent quelques sueurs froides en écoutant les informations. Nul doute que, le 18 mars dernier, il a été gêné d'apprendre que 2 000 manifestants exigeaient la chute de son Premier ministre, Barnabus Sibusiso Dlamini.
Au Swaziland, pas question pour un média de couvrir une grève ou une manifestation. Bloquer l'accès à l'information reste le moyen le plus évident pour empêcher que le vent révolutionnaire souffle en terre swazie.
Pourtant, surfant sur la vague de révolte actuelle, un groupe Facebook appelle la population à manifester le 12 avril prochain, pour obtenir le départ de Mswati III. La date choisie fait référence au 12 avril 1973, date où les partis politiques ont été interdits.
Peut-être les effluves de jasmin embaumeront-elle alors l'atmosphère putride de cette enclave...
Reporters sans frontières