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Jusqu'où ira Yahya Jammeh?
L’Afrique prépare sa rentrée politique. La Gambie prépare sa rentrée mortuaire. Texte et dessin de Damien Glez.
Mise à jour du 24 août 2012: Amnesty International a annoncé le 24 août dans un communiqué que neuf personnes condamnées à mort en Gambie ont été exécutées le 23 août dans ce pays sur la base de "sources crédibles", mais aucune source gambienne jointe par l'AFP n'était en mesure de confirmer cette information.
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Tout doit disparaître! Ou plutôt “Tout le monde doit disparaître”, dans le couloir de la mort gambien. Yayah Jammeh organise son nettoyage carcéral de printemps, mais à la fin de l’été. Au programme: déstockage massif dans les cellules de condamnés à l’exécution, solde sur la vie humaine, promotion sur des cachots de 10m2 prochainement vacants et à prix imbattable, vide-grenier funèbre sur les frusques d’apprentis-cadavres…
Après le Kärcher, Jammeh pourrait être reconnu comme le spécialiste du nettoyage en profondeur des prisons. En effet, en ce jour de fête qui clôturait le récent jeûne musulman, ce n’est pas à un sacrifice animal qu’invitait le président gambien. Ce satrape qui prétend redonner la vie aux mourants, sait aussi convoquer la mort.
Le 20 août, dans une adresse à la Nation diffusée en boucle, le croque-mort gambien déclarait vouloir rayer de la liste des vivants, d’ici le milieu du mois de septembre, tous les condamnés à la peine capitale. Argument de cette subite poussée de fièvre présidentielle: il n’est pas question que le gouvernement «permette que 99% de la population soit prise en otage par des criminels».
En attendant un décompte exhaustif des promis au cimetière, la liste des presque morts s’élèverait à une cinquantaine de personnes. 47 selon un premier calcul de l’Agence France Presse. Parmi les condamnés figureraient d’anciens responsables sécuritaires. Car si la violence institutionnalisée ne surprend plus dans ce petit pays encastré dans le Sénégal, il est également de notoriété publique qu’elle a des relents politiques.
Depuis le début de la semaine, le «pays des droits de l’Homme» et de Robert Badinter essaie de prendre Yayah Jammeh en défaut. Les autorités françaises rappellent que la Gambie applique, depuis 1981, un moratoire de fait sur la peine de mort et qu’à ce titre, elle ne doit pas exécuter les sentences de ce type. La France demande explicitement à la Gambie de commuer toutes les condamnations à la peine de mort en peines de détention, au titre de la «dignité humaine».
Un tiers des pays africains a aboli la peine de mort
Dans le monde, 139 États sont aujourd’hui abolitionnistes ou ont adopté un moratoire de fait. En Afrique, de nombreux pays sont alignés sur la position théorique de la Gambie, celle qui consiste à ne plus appliquer la peine de mort, sans la supprimer du code pénal. Parmi ces nations se trouvent des pays aux cultures aussi différentes que l’Algérie, le Cameroun, le Ghana, le Kenya ou le Liberia. Dans cette liste figure également le Mali où les châtiments corporels les plus extrêmes tendent toutefois à revenir à la mode…
Un tiers des pays africains a carrément aboli la peine de mort: le Sénégal voisin de la Gambie, mais aussi l’Afrique du sud, l’Angola, le Burundi, le Cap-Vert, la Côte d’Ivoire, Djibouti, la Guinée-Bissau, le Mozambique, la Namibie, Maurice, le Rwanda, Sao Tomé-et-Principe ou le Togo. Le Bénin et le Gabon sont abolitionnistes depuis l’année dernière.
Il est à noter que la Gambie est un cas rare de pays revenu sur l’abolition. Pionnier en Afrique de l’Ouest, le pays renonçait à la peine de mort dès 1981. Mais Yahya Jammeh, arrivé au pouvoir en 1994, rétablit cette peine capitale en 1995, pour les crimes de meurtre et de trahison. Arme de dissuasion? Les observateurs font remarquer que les assassinats n’ont jamais pullulé comme aujourd’hui. Et à propos de la haute trahison, la Gambie recense, depuis cette date, quatre tentatives avérées de putschs.
Par ailleurs, de récentes modifications légales élargissent progressivement le champ d’application de la condamnation à mort. La nouvelle loi gambienne stipule qu’est passible de la peine capitale toute personne surprise avec plus de 250 grammes de cocaïne ou reconnue coupable de trafic humain.
Vous qui souhaitez transporter de la “poussière d’ange”, soignez le conditionnement de vos colis comme celui de vos bagages quand vous prenez l’avion. 249 grammes et vous échapperez à la grande faucheuse. Pourtant, les principes de la constitution gambienne excluent la peine de mort pour les infractions qui n’ont pas entraîné le décès d’une autre personne. Doit-on comprendre que la mort est inéluctable si l’on consomme 250 grammes de cocaïne à chaque petit déjeuner?...
C’est parce que la justice de la Gambie ne condamne jamais avec le dos de la cuillère que le coup de sang du président gambien inquiète. En septembre 2009, Jammeh menaça même de mort les défenseurs des droits de l’Homme. Et s’il n’en tenait qu’à lui, les actes homosexuels seraient encore passibles de la peine de mort comme au Nigeria ou au Soudan.
En 2008, il demanda à tous les homosexuels de quitter le pays. Mais l’ONU se montre intraitable sur les exécutions pour trafic de drogue, pour fraude fiscale, pour appartenance religieuse et politique et pour homosexualité. Et la Gambie n’a pas les reins diplomatiques aussi solides que le puissant Nigeria…
Un quart des pays africains fait toujours partie du cercle de plus en plus restreint des exécuteurs. Et l’on ne trouve pas, dans cette triste bande, que des dictatures infréquentables. Même fustigé parfois pour le traitement réservé aux Bushmen, le Botswana apparaît comme le bon élève de la démocratie et de la gouvernance. Mais il a appliqué la peine de mort il y a moins de deux ans.
La Somalie a encore exécuté en 2012; l’Egypte et le Swaziland en 2011; l’Ethiopie en 2007; la Guinée équatoriale, le Soudan et la Libye en 2010; le Nigeria et l’Ouganda en 2006; la République démocratique du Congo, le Zimbabwe et le Tchad en 2003.
Il reste à Yayah Jammeh à choisir la technique qui sera retenue pour cette demi-centaine d’exécutions. Après tout, s’il a réinstauré la peine de mort, il peut bien en réinventer les modalités. La chaise électrique n’est pas très indiquée sur un continent sujet à de nombreux délestages d’électricité.
La chambre à gaz non plus, dans un pays où ce combustible doit être réservé à la cuisine, pour lutter contre la déforestation. Pour éviter ce même abattage intempestif des arbres, le bûcher –pourtant “festif”– ne sera pas retenu. Le lieutenant Jammeh pourrait être tenté par une bonne vieille fusillade, mais le budget des munitions s’avérerait trop élevé.
Difficile, en ces temps de vie chère, de facturer les balles, comme en Chine, aux familles des victimes.
Le “marabout” Jammeh étant partisan des plantes médicinales, il ne confiera certainement pas ses condamnés à des injections létales bourrées de barbiturique, de thiopental sodique, de pentobarbital, de bromure de pancuronium et autre chlorure de potassium. La lapidation d’une cinquantaine de personnes, elle, prendrait des semaines et des centaines de cailloux. La décapitation au sabre, comme en Arabie Saoudite, peut se révéler salissante, surtout pour un bourreau qui arbore toujours des boubous immaculés.
Il reste au pouvoir gambien la pendaison; celle pratiquée au Japon, la pendaison à forte chute qui a l’avantage d’être rapide, grâce à une rupture des cervicales; celle pratiquée en Iran, la pendaison-strangulation, qui a l’avantage d’offrir un spectacle plus consistant. Mais dans une région où pullulent les “chinoiseries”, des cordes défectueuses risqueraient de ridiculiser l’application de la sentence publique.
En définitive, ce casse-tête gambien pourrait se révéler inutile. Selon bon nombre d’observateurs, la fanfaronnade macabre de Yahya Jammeh pourrait n’être qu’une lubie temporaire…
Damien Glez
Damien Glez est un dessinateur burkinabé. Il dirige le Journal du Jeudi, le plus connu des hebdomadaires satiriques d'Afrique de l'Ouest.
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