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Le Cap-Vert encourage l'allaitement maternel
L’archipel ouest-Africain a marqué des points, mais peine à généraliser l’allaitement de zéro à six mois, recommandé par l’ONU.
São Vicente, au nord du Cap-Vert. Assise dans son bureau, en blouse blanche, Emily Santos se souvient comme il a été difficile de convaincre les mères de donner le colostrum – le «premier lait», considéré dans certaines communautés du Cap-Vert comme «sale», «faible» ou «toxique», à cause de sa couleur jaunâtre.
«Avant, les femmes ne donnaient pas le colostrum», raconte cette femme qui dirige le Centre de santé maternelle-infantile Bela Vista.
Pendant trois jours, poursuit-elle, les femmes qui viennent d’accoucher produisent naturellement ce premier lait. Mais, au lieu de le donner à leurs nourrissons,beaucoup le tiraient et le jetaient.
«C’était un problème parce qu’elles le remplaçaient par des "sucettes de sucre": Elles prenaient de la gaze, y mettaient du sucre et donnaient ça au bébé pour le calmer pendant les trois jours», explique encore la directrice.
Avant d’ajouter:
«Le message qu’on passe c’est que le colostrum est comme un vaccin, que c’est ça qui protège l’enfant.»
Peu de contrôle dans les zones rurales
A Mindelo, où se trouve le centre, on encourage désormais les mères à allaiter sans attendre:
«Presque 100% des enfants sont nés dans la maternité. Après la naissance, les bébés sont immédiatement mis au sein, avant même que la maman ne quitte la chaise d’accouchement. Elles sont encouragées à donner le colostrum», assure Emily Santos.
Cette mesure est appliquée dans les autres maternités du pays. Mais lorsque les accouchements ont lieu hors de l’hôpital, notamment dans les zones rurales, les contrôles sont difficiles.
Dans ces cas, pas facile de savoir si le colostrum est donné aux bébés. Et ce, en dépit des campagnes de sensibilisation, telle que la semaine de l’allaitement maternel (du 1er au 7 août).
Seule certitude, 73% des femmes ont reçu une initiation précoce de l’allaitement au sein, indique l’Unicef.
Désormais, le défi est l’allaitement maternel exclusif (AME) de zéro à six mois, recommandé par l’ONU pour nourrir au mieux l’enfant.
«La femme cap-verdienne allaite, mais l’allaitement maternel exclusif, c’est notre bataille», résume Emily Santos.
Selon la Banque de lait maternel de Praia, les 152 bébés qui ont reçu
du lait depuis l’ouverture de l’établissement restent hospitalisés moins longtemps © Habibou Bangré
L'allaitement contre la malnutrition
L’AME, actuellement pratiqué par 40% des Cap-Verdiennes – contre 20% en moyenne en Afrique de l’Ouest, a permis de combattre certaines maladies.
Et notamment les diarrhées, qui font le lit de la malnutrition. Elles sont aujourd’hui passées de la première à la troisième place des causes de mortalité infantile, derrière les maladies périnatales et respiratoires…
Mais les progrès butent sur la place de la femme dans l’organisation et le droit du travail.
Au Cap-Vert comme dans d'autres pays, le congé maternité est inférieur à six mois. Et lorsque les femmes reprennent leur activité, peu d’entre elles peuvent allaiter, et donc garder leur enfant sur leur lieu de travail.
«Il faut expliquer aux mamans qu’elles peuvent tirer et garder leur lait», commente Félicité Tchibindat, conseillère en nutrition en l’Afrique de l’Ouest pour l’Unicef.
Pragmatique, elle s’explique:
«Le lait maternel se conserve très bien 6h à 8h à température ambiante sans qu’il y ait une prolifération de germes, et on peut le garder jusqu’à plus de 24h dans un réfrigérateur.»
Des résultats encourageants
Depuis un an, la maternité de Praia, capitale de l’archipel, abrite une Banque de lait maternel. Une structure unique en Afrique de l’Ouest et centrale, selon l’Unicef.
Les femmes y tirent leur lait, principalement pour les prématurés – qu’il soit à elles, à une mère manquant de lait ou à une femme incapable de donner le sein, notamment en raison d’abcès. Le nouveau-né trop faible pour téter est ensuite nourri à la cuillère ou via sonde.
«Déjà 200 femmes ont donné 98 litres de lait. Il a été reçu par 152 enfants», affirme Edith Pereira, directrice de la nutrition.
Résultat, la Banque affirme que la mortalité et la durée d’hospitalisation des prématurés a baissé de façon significative.
Reste que l’AME se heurte à une autre barrière: les traditions. A l’image de celle qui consiste à donner du thé à un enfant souffrant de diarrhée. Une tradition transmise de génération en génération.
«Ces femmes peuvent être très jeunes et n’ont pas la force de s’imposer, parce que la grand-mère ou la maman leur disent: "Je t’ai donné ce thé, et tu es vivante"», raconte Emily Santos.
«Dans beaucoup de pays, les mamans pensent: "Pourquoi ne pas donner de l’eau à l’enfant alors que les adultes consomment de l’eau?". Il faut discuter avec elles, leur montrer que le lait maternel contient déjà de l’eau», ajoute Félicité Tchibindat.
Habibou Bangré, à São Vicente et Santiago
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