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Mali: les barbouzes barbares barbus
L’Islam rigoriste préconise une Afrique au poil long. Tantôt interdite, tantôt obligatoire, la barbe n’a pas toujours bonne presse. Texte et dessin de Damien Glez.
Les hommes et les femmes sont-ils égaux ou complémentaires? Le débat agite la nouvelle Tunisie, depuis que le groupe islamiste d’Ennahdha a présenté un projet d’article 28 de la constitution qui fait référence à «une complémentarité» entre les deux sexes.
S’il y a bien un aspect face auquel la femme et l’homme ne sont pas égaux, c’est l’esthétique du menton. Glabre, la femme ne peut expérimenter la moustache, la barbiche, le bouc, les favoris et autres pilosités du visage. Est-ce pour souligner l’impossible similitude de la femelle et du mâle humains que l’Islam radical promeut la mode de la pilosité faciale? Les plus célèbres femmes à barbe, de Clémentine Delait à Jennifer Miller, seraient-elles devenues des stars salafistes si elles avaient été musulmanes?
Si l’interprétation rigoriste des textes saints musulmans est qualifiée, par beaucoup, de retour à des pratiques ancestrales, la dictature du poil a rarement existé dans l’histoire.
Si les héros de la mythologie grecque étaient, a posteriori, représentés fréquemment avec la mâchoire poilue, il était de bon ton, dès l'Empire romain, de se raser de près.
Au XVe siècle, en Europe, des édits interdisaient le port de la barbiche, tandis qu’en Russie, au XVIIIe, Pierre Ier institua même un impôt sur la barbe. L’histoire ne dit pas s’il y avait un bouclier fiscal pour les plus pubescents des contribuables.
Si le succès esthétique du poil au menton est mitigé, la barbe est souvent associée positivement à la vieillesse, à l'expérience et, par extension, à la sagesse. Ainsi c’est barbu qu’est figuré le dieu chrétien par l’artiste Michel-Ange; c’est également barbu que… n’est pas représenté le prophète Mahomet.
Abondamment barbu est également imagé le Père Noël, symbole de la bonté désintéressée envers les plus fragiles. Pourtant, un proverbe arménien ancre le scepticisme: «Si derrière toute barbe il y avait de la sagesse, les chèvres seraient toutes prophètes»…
Comme le peintre de la Chapelle Sixtine le suggère, la barbe est d’abord populaire parmi les religieux. Pour le Talmud, l’un des textes fondamentaux du judaïsme, «La barbe est l’ornement de l’homme».
Le Lévitique, dans l'Ancien Testament, interdit de tailler sa barbiche, à plus forte raison de la raser. Les juifs orthodoxes -comme les plus fidèles des catholiques orientaux- affectionnent la “bavette de poils”. La leur est encadrée par deux papillotes, les grandes mèches spiralées de cheveux de chaque côté du visage.
La gestion du poil aurait même été un moyen de différenciation entre chrétiens catholiques et orthodoxes, au plus fort de leur grogne, les fidèles du pape se rasant jusqu’à la tonsure, quand les autres affirmaient leur fronde en laissant libre cours à une pilosité débridée.
Tailler ce qui dépasse la longueur du poing
Dans l’Islam, certains hadiths (les communications orales du prophète Mahomet) préconisent de «laisser pousser la barbe jusqu'à ce que les poils soient bien longs». Un épisode de la vie de Mahomet raconte que celui-ci se serait offusqué des joues imberbes de deux émissaires perses venus le rencontrer à Médine.
Acquis le principe de laisser vivre le poil, il reste la question du calibrage. Certains spécialistes de l’Islam préconisent de tailler ce qui dépasse la longueur du poing. D’où la nécessité de ne pas commettre de délit de nature à vous faire condamner à l’amputation. Pour d’autres, comme dans l’école Shaféite, il faut laisser la barbe pousser comme du chiendent.
Que les plus velus s’attendent alors à intégrer le livre des Records. Sur une couverture de magazine de 1889, le dénommé Louis Coulon portait une barbe de 3,35 mètres, une pilosité qu'il devait laver dans les eaux d’une rivière. Dès que la barbe atteint vos pieds, il convient de l’attacher au mieux, pour éviter de trébucher. Un chignon ventral pourra faire l’affaire. Et si la féminité du concept heurte la vocation virile qui justifia la pousse des poils, entourez votre barbe autour de votre tronc, comme dans une cordée d’alpiniste.
Au fil du temps, vous ressemblerez au Bibendum Michelin. Si la silhouette rondelette n’est pas des plus esthétiques, elle permet de rebondir en cas d’accident de motocyclette (mode de transport populaire dans les milieux islamistes, depuis la fuite du Mollah Omar).
Après quelques années de mauvaise presse, la barbe redeviendrait “tendance” depuis 2011. Du fait de la légère pilosité grunge très branchée dans le show-business; du fait, surtout, de l’accession d’islamistes de tous… poils à certains leviers de pouvoir, dans les pays ayant connu le printemps arabe; du fait, également, de la partition du Mali.
Les barbouzes barbus d’Al-Qaïda au Maghreb islamique et leurs “parents” théologico-idéologiques –Ansar Dine ou MUJAO – ont menacé d’utiliser la force pour imposer la… force. Ils tentent de prescrire leurs règles poilues, de Gao à Tombouctou, avec plus ou moins de succès.
Reconnaissons qu’une barbe bien fournie comporte un certain nombre d’avantages:
- Elle protège le menton des coups de soleil,
- Elle dissimule les becs-de-lièvre et l’acné tardive,
- Elle tient chaud, le soir, quand le froid s’abat sur le désert,
- Elle amortit les gifles,
- Elle permet de faire la vaisselle, même quand il n’y a plus d’éponge,
- Elle constitue un garde-manger discret, abritant quelque coupe-faim pendant le jeûne (attention aux quignons de pain qui laissent toujours des miettes visibles),
- Elle favorise une économie de mousse à raser,
- Elle laisse les coupe-choux disponibles pour les égorgements.
Finalement, le président Dioncounda Traoré a bien fait de reconduire Cheick Modibo Diarra à son poste de Premier ministre. Sa barbichette poivre et sel n’est peut-être pas de taille réglementaire, mais c’est un bon début…
Damien Glez
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