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Ezekiel Kemboi prend sa retraite après avoir dominé le 3.000 mètres steeple. © Lucy Nicholson / Reuters
Ezekiel Kemboi prend sa retraite après avoir dominé le 3.000 mètres steeple. © Lucy Nicholson / Reuters

Pourquoi l'Afrique gagne aussi peu de médailles

L'Afrique a remporté moins de médailles que lors des précédentes Olympiades. Comment expliquer ce «déclin» du continent qui monte?

Faut-il continuer à compter les médailles? Celle de l'Afrique notamment. En effet, cette activité typiquement estivale peut avoir un effet dévastateur sur le psychisme des plus fragiles d’entre nous.

Ainsi chaque jour, les Ivoiriens qui se rendaient sur le site Abidjan.net (et Dieu sait qu’ils sont nombreux) pouvaient avoir la cruelle surprise de constater que le pays des éléphants était «toujours fanny». Vierge de tout titre. Pire encore, vierge de toute médaille. Pas la moindre breloque argentée, dorée ou bronzée à passer autour du cou de l’un des vingt-deux millions d’Ivoiriens.

Bien mis en évidence, en haut à droite du site, le tableau d’Abidjan.net dressait un verdict sans appel. Nombre de médailles: 0. Or: 0. Argent: 0. Bronze: 0.

Les JO, une épreuve cruelle

La veille de la fin des Jeux, le cruel graphique avait disparu. Des internautes avaient dû faire part de leur malaise quotidien.

Les Jeux sont une épreuve cruelle. Qui croit encore que l’essentiel est de participer. Pas l’haltérophile chinois qui pleurait et criait sa détresse: il était inconsolable parce qu’il avait dû se contenter de la… médaille d’argent. Un affront pour sa patrie communiste qui n’aime pas les… «loosers».

La médaille du même métal a valu à un Gabonais de devenir un héros national. Il est vrai que jamais auparavant son pays n’avait remporté la moindre breloque. Anthony Obame s’est imposé dans une spécialité où les Africains étaient jusqu’alors fort peu présents: le taekwondo.

Le décompte est cruel. Il rappelle que tout le monde peut participer. Mais que les grandes puissances —les pays les plus riches— raflent l’essentiel de l’or, posé sur la table de jeu. Une partie de poker menteur, en somme, dont on connaît d’avance les grands vainqueurs.

L'important n'est plus seulement de participer

La hiérarchie des nations rappelle tous les quatre ans que le classement des médailles doit fort peu au hasard. Il doit peu à la chance et beaucoup à la géopolitique et à l’économie.

Chine et Etats-Unis se livrent une bataille féroce. Les puissances économiques moyennes récupèrent, elles aussi, leur part du gâteau: France, Grande-Bretagne, Corée du Sud, Russie, Italie sont toujours bien placées.

L’Afrique est loin derrière. De plus en plus loin, d’ailleurs, puisqu’elle a remporté moins de médailles qu’à Pékin. 34 contre 40 lors de la précédente édition des JO.

Les médailles africaines sont bien plus le fruit de qualités individuelles que d’une politique sportive ambitieuse.

Depuis des décennies, les grands champions kényans ou éthiopiens sont des produits de leur volonté et de leur environnement âpre. Combien de coureurs de fond d’Afrique de l’est ont commencé très tôt à courir de longue distance, dès le plus jeune âge, afin de se rendre à l’école située à des dizaines de kilomètres? Combien de marathons quotidiens courus dès le plus jeune âge?

«Au moindre souci de santé, la fédération nous lâche. On ne peut compter que sur nous-mêmes», me confiait ainsi une grande championne kényane qui s’entraîne depuis des années en Europe.

Lors de ces Olympiades, le Kenya a glané trois fois moins de titres que lors des Jeux olympiques de Pékin. Deux titres: un sur 800 mètres hommes et l’autre sur 3.000 mètres steeple masculin.

La presse de Nairobi tempête contre les autorités kényanes accusées d’avoir envoyé à Londres des «officiels qui n’ont jamais mis les pieds sur une piste d’athlétisme», ainsi que des athlètes blessés. Le matériel, fourni pas Nike, l’équipementier de l’équipe kényane, aurait en grande partie disparu «dans la nature».

Même en marathon, une de ses disciplines phares, le Kenya s’est fait chiper la médaille d’or par un…Ougandais. Un athlète (Stephen Kiprotich) sur lequel sa fédération n’avait pas misé beaucoup. Là encore, sa victoire il la doit plus à sa volonté qu’à celle d’un pays qui l’aurait soutenu.

Les athlètes sont ignorés toute l’année, leurs conditions difficiles d’entraînement ne suscitent guère l’émoi. C’est au moment de faire retentir l’hymne national que l’opinion publique les redécouvre et leur demande des comptes.

Des victoires à la force du poignet (malgré tout)

Même en Occident, le décompte des médailles peut revêtir un tour «névrotique». Ainsi en France, à chaque descente d’un cran dans le classement des médailles, le visage du journaliste de télévision se ferme davantage.

Un temps, la natation a permis à la France de se retrouver dans le tiercé gagnant. De rester à flots. La Grande-Bretagne n’avait pas encore commencé son impressionnante moisson de médailles.

Au fil des jours olympiques, des visages de France se crispent. Comme si l’avenir de la nation était directement menacé par cette rétrogradation.

Le moindre athlète qui s’est entraîné pendant quatre ans dans l’anonymat le plus total est sommé de rendre des comptes. Comment se fait-il qu’il ait échoué au pied du podium? Comment accepter que la roue de son vélo ait crevé? Ou qu’il se soit ravitaillé en eau, hors zone.

Au fur à mesure, la cruelle réalité voit le jour. Eh! Oui, la France, pays de 64 millions d’habitants, va obtenir moins de médailles que la Chine et son 1,34 milliard d’habitants ou que les 300 millions d’Américains. 

L’addition des médailles de la France, de la Grande-Bretagne et de l’Allemagne donne un bilan tout à fait honorable. 51 médailles d’or. Soit 5 de plus que les Etats-Unis. Avec une population totale quasiment deux fois moins importante que celle des USA, ces trois pays ont remporté plus de titres.

Alors faut-il vraiment accabler le pistard, le vététiste ou le kayakiste qui a échoué au pied du podium et dont presque tout le monde ignorait le nom avant qu’il n’apparaisse quelques minutes sur les écrans de télévision.

Filer à l'anglaise pour des pistes plus vertes

Plutôt que de compter les médailles, ne conviendrait-il pas mieux de répertorier les défections: les athlètes qui se sont fait la malle? Au propre comme au figuré.

Et là, l’Afrique arrive largement en tête du classement mondial. Sept Camerounais ont pris la fuite. Deux nageurs ivoiriens ont, eux aussi, filé à l’anglaise. Des Gabonais les ont imités. Des Guinéens et des Congolais ont eu aussi pris la poudre d’escampette.

A cela s’ajoute un autre décompte encore plus édifiant: celui des athlètes ayant changé de nationalité. Combien de grands champions africains courent sous les couleurs du Danemark, de la Grande-Bretagne, du Portugal, de l’Espagne, du Qatar, de la France?

Il est toujours loisible de les accabler, de les accuser d’être des «mercenaires» attirés par l’appât du gain. Mais il faut bien reconnaître qu’ils bénéficient de bien meilleures conditions de «travail» en Occident. Et que, en cas de blessures, les fédérations sont plus à même de les aider financièrement. 

Les J.O, pas toujours l'objectif des Africains

«Nos carrières sont éphémères, elles peuvent s’arrêter du jour au lendemain sur un claquage. L’Occident offre une plus grande sécurité financière aux athlètes africains», explique Tegla Loroupe, marathonienne kényane, qui a conservé la nationalité de son pays d’origine, mais s’entraîne une partie de l’année en Allemagne.

Les meilleurs athlètes africains ne font pas toujours des Jeux olympiques leur objectif suprême.

«Ils préfèrent plutôt multiplier les participations aux courses sur route les mieux dotées financièrement. Les marathons qui peuvent rapporter des millions de dollars, notamment celui de New York. Ils ont besoin de gagner de l’argent rapidement pour sortir leur famille de la misère. Ils ne peuvent pas se permettre d’attendre et de tout miser sur une course organisée tous les quatre ans», ajoute Tegla Loroupe.

Cette championne originaire de la vallée du Rift a remporté deux fois le marathon de New York: elle a aussi établi la meilleure performance mondiale sur marathon à Berlin. Mais Tegla Loroupe n’a jamais brillé aux Jeux olympiques.

Pour l’Afrique, le classement des médailles met en évidence des dysfonctionnements dans les fédérations.

Ainsi, le Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique (160 millions d’habitants) et premier producteur de pétrole, ne parvient pas à décoller sportivement. La délégation nigériane comptait 53 athlètes, elle a remporté… 0 médaille.

Ainsi, l’un de ses meilleurs athlètes, Francis Obikwelu, champion du monde junior en 1996, a opté pour la nationalité… portugaise. Il a d’ailleurs été champion d’Europe. Francis Obikwelu détient le record d’Europe du 100 mètres en 9’86.

Pour justifier son changement de patrie, l’athlète d’origine ibo (ethnie du sud-est du Nigeria) a coutume de se plaindre du manque d’attention de la fédération nigériane.

Au final des JO, la «meilleure» nation africaine se retrouve à la 23e place du classement. Avec trois titres.

L'indifférence des fédés nationales

Lors de ces Olympiades, l’Afrique du Sud (première puissance économique du continent) a dépassé le Kenya, qui se contente de la 28e position avec deux titres et onze médailles.

Plutôt que le décompte des médailles, le nombre de défections devrait servir d’indicateur de l’état du sport africain.

Bien des athlètes du continent sont tout à fait d’accord pour courir. Ils aiment même courir, sinon ils n’auraient pas atteint ce degré d’excellence.

Mais plutôt que de se dépenser pour une fédération, ils préfèrent courir pour eux-mêmes. Ils préfèrent courir après un avenir qu’ils imaginent meilleur en Occident.

Ils courent après un hypothétique destin occidental. Un bien étrange marathon. Bien loin de la vallée du Rift et de ses champions d’exception.

Pierre Cherruau

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Pierre Cherruau

Pierre Cherruau a publié de nombreux ouvrages, notamment Chien fantôme (Ed. Après la Lune), Nena Rastaquouère (Seuil), Togo or not Togo (Ed. Baleine), La Vacance du Petit Nicolas (Ed. Baleine) et Dakar Paris, L'Afrique à petite foulée (Ed. Calmann-Lévy).

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