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Taoufik Makhloufi après sa victoire au 1500 mètres, le 7 août 2012. REUTERS/Lucy Nicholson
Taoufik Makhloufi après sa victoire au 1500 mètres, le 7 août 2012. REUTERS/Lucy Nicholson

Taoufik Makhloufi, de la disgrâce à la victoire

L'athlète algérien a offert la première médaille à l'Algérie. Après moult péripéties.

Dès qu'il s'agit d'Algérie, les complots apparaissent. La récente médaille d'or de Taoufik Makhloufi sur le 1500 mètres, n'a pas été une longue ligne droite, claire et rapide.

Qualifié, puis disqualifié, puis requalifié, il a arraché sa médaille à la suite d'absurdes complications. La malédiction algérienne?

Tout avait mal commencé. A Londres, le Daily Telegraph raillait l'hymne national algérien, jugé trop sanglant pour une compétition sportive où l'essentiel est de participer.

Tollé, levée de boucliers, offuscation, shame et honte, l'article en question est retiré. Les Algériens se défendent bien, même en dehors des stades.

Puis, deux petits scandales, les volleyeuses attrapées dans un magasin volant des vêtements, et des boxeurs, qui se sont endormis avec des vélos ne leur appartenant pas.

Les Algérien(ne)s se défendent bien, même avec ce qui ne leur appartient pas. Puis, apparition d'un inconnu sur la piste des qualifications du 1500 mètres, l'Algérien Taoufik Makhloufi.

Il aligne sa série comme un robot, gagne haut la main et rappelle de bon souvenirs aux Algériens, les Morsli, Boulmerka, Merah (le coureur, pas le terroriste) et compagnie, les Algériens se défendent très bien, tout court.

Le scandale Makhloufi

Seule chance de médaille pour une Algérie sportive bien loin de ses starting-blocks, Makhloufi devient l'homme à suivre, il a effacé les sales histoires et «remonté le nez».

L'inconnu est aussi annoncé sur le 800 mètres et les Algériens le suivent le lendemain. Hélas, Makhloufi, blessé sur son 800, abandonne la course, sa cheville saigne, caméra à l'appui.

Les Algériens chantent en chœur ma3lich (pas grave), il reste le 1500. Coup de théâtre, Makhloufi est disqualifié pour «mauvaise foi», éliminé de sa finale du 1500.

Les Algériens se divisent en trois, ceux qui annoncent le complot et la mauvaise foi du côté des JO, on ne disqualifie par quelqu'un qui veut se ménager pour sa finale.

Les seconds accusent clairement la fédération algérienne d'inconscience et de mépris, ayant oublié de le retirer du 800 mètres pour blessure.

Enfin, les troisièmes préparent les haches de guerre pour monter à Londres, dans une classique expédition punitive, c'en est trop. Bref, tollé, scandale, offuscation et nouvelle shame.

Une brèche apparaît alors, les autorités des JO veulent bien requalifier Makhloufi s'il amène un certificat médical, comme à l'école. De plus, elles exigent un certificat fait à Londres, suspectant l'Algérie d'être un grand marché de faux papiers. Shame on you.

L'heureuse finale du 1500 mètres

21 heures 15, heure d'Alger, timing parfait, juste après le ftour, le repas de rupture de jeûne, à 20 heures.

La finale du 1500 mètres va débuter et certificat médical en poche, Makhloufi est bien aligné sur le départ, requalifié en dernière minute.

On se serre le cœur, il est blessé, malmené, humilié et suspecté, comme un banal algérien de Finsbury Park (le quartier des Algériens de Londres).

La course commence, Makhloufi prend tout de suite la tête, les Algériens, retiennent leur souffle, il a l'air en forme, tout va bien.

Les Algériens, qui avaient mollement suivi les JO, sont tous scotchés devant leur poste. La télévision algérienne ayant refusé d'acheter les droits de retransmission, à cause d'une faible participation nationale, tout le monde est sur Al Jazeera Sport (payante) ou France 3 (gratuite).

A mi-course, Makhloufi est encerclé, surveillé de très près par ses concurrents. Les Algériens n'en peuvent plus, qu'a fait ce pauvre garçon de 24 ans pour mériter tout ça?

Derniers 200 mètres, les Kényans essaient d'enfermer Makhloufi et le bousculent pour ne pas qu'il démarre. Makhloufi résiste, se fraye un chemin dans la forêt de jambes et détale vers l'arrivée.

Il gagne largement, première médaille d'or algérienne et du monde arabe. C'est fini, ou presque.

Makhloufi a nettement gagné mais contrairement aux autres courses, personne ne vient le féliciter en tant que vainqueur.

Le doute a été semé, et le commentateur français ajoute une couche, se demandant s'il était vraiment blessé. Honte à toi monsieur le commentateur.

«On ne peut pas avoir une médaille d'or comme tout le monde»

 

Dehors, pas de défilé particulier ou de klaxon. Juste un café, le premier de la journée pour les jeûneurs. Et des commentaires, à la pelle.

—«C'est un médecin algérien de Londres qui lui a fait un certificat de complaisance», annonce quelqu'un de source sûre.

—«Les Anglais nous détestent, de longue date», jure un deuxième.

—«La fédération est comme le gouvernement, ils ne font rien, dorment et mangent de l'argent en méprisant tout le reste», fustige un troisième.

—«Oui, lui répond un autre. Pourquoi ne l'ont-ils pas retiré du 800? Parce qu'ils faisaient des courses pour leurs femmes avec leurs frais de mission royaux (contrairement aux cadres de la fédération, les athlètes algériens n'ont eu droit qu'à 200 euros de frais pour tout leur séjour à Londres)»

L'ambiance s'enflamme, comme dans une course:

«C'est bien fait, l'hymne national peut retentir à Londres, à l'oreille du Daily Telegraph», jubile l'un d'eux.

«Ils méritent un lancer olympique de bombes sales, après ce qu'ils ont fait à Makhloufi, à l'Irak, l'Afghanistan et la Palestine», conclut un dernier.

Puis le ton redescend, avec une interrogation partagée: «On ne peut pas avoir une médaille d'or comme tout le monde? Normale, sans tâches, sans histoires et sans problèmes?», se demande un dernier. Silence!

Chawki Amari

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Chawki Amari

Journaliste et écrivain algérien, chroniqueur du quotidien El Watan. Il a publié de nombreux ouvrages, notamment Nationale 1.

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