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Nous sommes bronzés et même bien noirs. Et alors?
Toutes les blagues ne sont pas permises. Surtout les mauvaises.
Gérard Holtz commente. C’est son job de journaliste sportif sur l'une des plus grandes chaînes de télévision françaises.
Il veut faire de l’humour, il en a tout à fait le droit. Mais, il n’empêche! Certains commentaires sonnent bizarrement à l’oreille, tout comme il y a des blagues qui peuvent vous refroidir assez rapidement.
Ainsi, sur un plateau de télévision (vers 3h45'00 sur la vidéo), alors qu’il reçoit, le 6 août, Priscilla Gneto, judoka médaillée de bronze aux Jeux olympiques de Londres, il lui fait remarquer qu’elle était «bronzée par sa médaille».
Gérard Holtz aurait-il utilisé le même raccourci si l’athlète, native d'Abidjan, en Côte d'Ivoire, avait été de couleur blanche, par exemple?
Il paraît que oui. Ce n’est qu’un jeu de mots, nous répond-on. Tous les inconditionnels des JO le savent, c'est une expression usitée, dès lors qu'un sportif remporte une médaille de bronze.
Ce n'est qu'une image... L’athlète a gagné la médaille de bronze, donc elle est bronzée. CQFD.
Mais voilà, on ne s’improvise pas humoriste et les meilleures blagues sont celles qui se préparent. Surtout quand, en face, se trouve une athlète noire.
Essayons de comprendre.
1/ La blague raciste?
Holtz a face à lui une noire. Ce qualificatif «bronzée» non seulement sonne creux, mais reflète cette tentation de la facilité qui nous guette tous.
Nous avons un noir en face de nous alors, on imagine qu’on peut s’aventurer à toutes sortes de jeux de mots pitoyables.
Oui, nous sommes bronzés ou noirs, et n’avons pas forcément envie d’être déterminés que par notre couleur de peau. Très vieux débat, nous direz-vous!
Mais si nous en sommes encore à parler de cela, de nos jours, c’est bien que la question est encore loin d’être réglée.
2/ L'absence d'empathie
Holtz a face à lui une noire. Il devrait savoir que certains mots font mal et si on espère que Priscilla Gneto n'a jamais subi le racisme au quotidien, d'autres ont été traités de «bronzé» ou de métèque.
Les jeux de mots faciles entraînent la banalisation. Et la banalisation entraîne, in fine, les soupçons de racisme.
N’est-ce pas cette même banalisation des mots et du langage qui poussa, en septembre 2009, l’ex-président du Conseil italien Silvio Berlusconi à traiter, dans un discours, le président américain Barack Obama et sa femme Michelle de «bronzés»?
«Vous ne le croirez pas, mais ils sont deux à être allés à la plage pour prendre le soleil, parce que même sa femme est bronzée!»
Déjà à l’époque, on avait pu apprécier cette finesse du Cavaliere. La presse et une partie de la classe politique italienne étaient rapidement montées au créneau pour dénoncer ces propos et pour y trouver de forts relents de racisme.
Bien évidemment, il ne s’agit pas d’installer une forme de psychose dans la société ni de s’enfermer dans la paranoïa.
Mais de rappeler que la récurrence de telles blagues, que certains croient anodines, montre à nouveau le fossé entre une société métissée et des écrans de télé encore un peu trop blonds aux yeux bleus.
Raoul Mbog
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