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Sida: Les mauvaises nouvelles qui viennent d'Afrique
Une progression de la résistance du VIH aux traitements antirétroviraux en Afrique australe et de l’Est est observée depuis quelque temps. Un phénomène qui menace les progrès obtenus ces dernières années dans la lutte contre la pandémie.
Mise à jour du 1er décembre 2012: La communauté internationale commémore la Journée mondiale de lutte contre le sida. L'Onusida a retenu comme thème: «Objectif zéro: zéro nouvelle infection au VIH, zéro discrimination, zéro décès lié au sida.»
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C’est une mauvaise nouvelle. Et c’est curieusement une mauvaise nouvelle dont on parle peu à Washington, où se tient la 19e Conférence internationale sur le sida.
Une réunion hautement médiatisée, où l’accent est exclusivement mis —pour des raisons plus politiques que médicales— sur les progrès dans la lutte et la perspective rêvée d’une hypothétique éradication.
Cette mauvaise nouvelle concerne les médicaments antirétroviraux. Ces derniers ont commencé à être utilisés avec un très grand succès, il y a aujourd’hui douze ans, en Amérique du Nord et en Europe.
Puis, ils ont progressivement été introduits dans les pays les plus touchés par l’épidémie, en Afrique tout particulièrement.
Selon les derniers chiffres d'Onusida, en 2011, huit millions de personnes ont reçu des traitements antirétroviraux dans les pays en développement, soit vingt-six fois plus qu'en 2003.
Ce progrès sanitaire majeur a été obtenu grâce aux pressions multiformes exercées contre les multinationales pharmaceutiques productrices de ces médicaments.
Trop de médicaments tuent le traitement
Les progrès obtenus en Afrique ont permis de réduire fortement le nombre de décès prématurés dans les pays où vivent 90% des personnes séropositives et où se contractent 97% des nouvelles infections qui surviennent aujourd’hui dans le monde (soit environ trois millions par ans).
Les spécialistes de virologie savaient, dès le départ, que cette utilisation massive de médicaments antirétroviraux exposait à un risque considérable: celui de voir émerger et se répandre des souches de VIH résistantes à des molécules qui étaient jusqu’alors capables de le détruire.
C’est précisément cette situation, redoutée par tous, qui commence à être observée dans différentes régions du continent africain.
Les dernières informations en date viennent d’être publiées par l’hebdomadaire médical anglais The Lancet.
Le travail a été coordonné par les Drs Silvia Bertagnolia (Organisation mondiale de la Santé) et Ravindra Gupta (University College de Londres).
Il a été cofinancé par la fondation Bill & Melinda Gates et l'Union européenne.
Les chercheurs ont repris tous les travaux (près de deux cents) conduits sur ce thème et publiés entre janvier 2001 et juillet 2011.
Au total ces travaux avaient été menés auprès de 26.102 personnes âgées de plus de 15 ans, infectées et traitées dans différents pays d’Afrique subsaharienne, d’Asie et d’Amérique latine. Et les différences observées sont majeures.
Les traitements de qualité inaccessibles
Ainsi, en Afrique de l’Est, la résistance a cru au rythme de 29% par an, pour atteindre une prévalence de 7,4% au bout de huit ans (contre 1% au départ).
En Afrique australe, la croissance des résistances a atteint 14% par an, avec une prévalence passant de 1% à 3% au bout de six ans.
A l’inverse les phénomènes de résistance sont restés stables en Amérique du Sud, mais aussi en Afrique centrale.
«Cette résistance pourrait menacer une tendance à la baisse des décès et des pathologies liés au sida au cours de la décennie écoulée dans les pays à bas et moyens revenus», estiment les Drs Sylvia Bertagnolia et Ravindra Gupta.
Ces deux spécialistes estiment également que, en dépit des chiffres d’augmentation des résistances du VIH, les nouvelles données «ne sont pas surprenantes», dès lors que l’on «tient compte de l'énorme expansion des traitements antirétroviraux dans les pays à bas et moyens revenus».
Ces résistances sont la conséquence de mutations génétiques survenant dans une souche du VIH-1, la rendant insensible à une catégorie de médicaments antirétroviraux (les «inhibiteurs non-nucléosidiques de la transcriptase inverse» du VIH).
Or, ces médicaments sont des traitements utilisés en première intention (en «première ligne») chez les personnes infectées et notamment chez les femmes enceintes séropositives, pour éviter qu’elles puissent transmettre la maladie à leur enfant.
Il existe, certes, des traitements de «seconde ligne» qui demeurent efficaces, mais qui sont nettement plus coûteux; et, en l’état du marché, inaccessibles dans les pays les plus pauvres.
La contrebande médicamenteuse n'aide en rien
Comment enrayer la progression de ce phénomène? En invitant les autorités sanitaires des pays concernés à mieux surveiller les cas de résistance, à sécuriser les circuits d'approvisionnement pour éviter les ruptures de stock et les interruptions de traitements qui stimulent la résistance.
Sans doute importerait-il aussi de lutter efficacement (de manière drastique) contre la contrebande médicamenteuse, un phénomène régulièrement sous-estimé (quand il n’est pas passé sous silence) dans les milieux onusiens et les organisations internationales.
En France, l’association de lutte contre le sida Aides a immédiatement réagi à la publication de cette étude pour appeler les pays du Nord à accroître leurs financements dans la lutte contre la pandémie, afin de permettre aux pays du Sud d'avoir un accès à des traitements de qualité de «seconde» et «troisième» ligne.
«Nous devons cesser de proposer des traitements aux malades du Sud que plus personne n'oserait prescrire dans les pays du Nord, a indiqué Bruno Spire, président de Aides. C'est à la fois indécent sur le plan éthique et dangereux sur le plan de la santé publique. Cette étude vient de le confirmer.»
L’émergence de souches virales résistantes ne concerne nullement les seuls pays africains aujourd’hui touchés.
Depuis trente ans l’histoire et l’épidémiologie du sida ont amplement et dramatiquement démontré que tous les pays sont directement concernés par le VIH, cet agent pathogène transmissible par voie sanguine ou sexuelle et qui, de ce fait, se joue des frontières comme des latitudes.
Jean-Yves Nau
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