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Des migrants est-africains, juin 2012. © REUTERS/Darrin Zammit Lupi
Des migrants est-africains, juin 2012. © REUTERS/Darrin Zammit Lupi

L'enfer des migrants est-africains vers l'Afrique du Sud

Les drames de l'immigration, survenus ces dernières semaines au Malawi et en Tanzanie, viennent rappeler l’attraction que joue l’Afrique du Sud auprès des Ethiopiens et des Somaliens. Prêts à tout pour traverser le continent.

Les lumières sud-africaines font rêver les Ethiopiens et les Somaliens. D’autant que nombre de leurs compatriotes s’y sont établis, de Johannesburg au Cap.

Ces ressortissants de la Corne de l’Afrique sont prêts à tout pour rallier la première puissance économique africaine, qui a reçu 100.000 demandes d’asile en 2011.

La famine, sécheresse, les conflits et la pauvreté de la Corne les poussent à partir.

Quand ils pensent que ça ne peut pas être pire que chez eux, ce long périple de plusieurs milliers de kilomètres ne les retient plus. Ou du moins, ils essaient de ne pas trop y penser.

Les Est-Africains sont pourtant nombreux, depuis le début de l’année, à l’avoir payé de leur vie, au Kenya, en Tanzanie et au Malawi. Il y a d’abord les cas connus et tous les autres, isolés.

Ces dernières semaines sont venues rappeler le phénomène. A quelques jours d’intervalle, deux drames ont montré l’ampleur des migrations de la Corne vers le sud du continent.

Ces naufragés du lac Nyassa

C’est tout d’abord au lac Nyassa (aussi appelé Malawi), au Nord-Ouest du Malawi, pays enclavé d’Afrique australe, que quarante-neuf cadavres ont été découverts le 21 juin, après le chavirage d’une embarcation qui transportait des Ethiopiens.

Trop chargé, le bateau avait quitté la partie tanzanienne bordant le lac Nyassa pour le Malawi.

 «Plusieurs parties prenantes aux recherches ont identifié les morts comme Ethiopiens. Ils sont aisément identifiables, car ils se déplacent souvent en grand nombre», avait alors déclaré un porte-parole de la police malawite.

Le Malawi, après la Tanzanie et le Kenya, constitue un pan de l’itinéraire habituel des migrants, qui espèrent ensuite passer en Zambie ou au Mozambique, avant d’arriver en Afrique du Sud.

Quelques jours après le naufrage survenu au lac Nyassa, c’est en Tanzanie, dans la steppe centrale du pays, baignée par le soleil du matin au soir, où vivent les éleveurs masaï, que des cadavres ont été retrouvés le 27 juin.

Quarante-trois Ethiopiens sont décédés, asphyxiés durant le trajet dans le container d’un camion. Quelques quatre-vingt-quatre autres migrants éthiopiens les accompagnant ont survécu.

Hospitalisés, «ils devront rendre des comptes à la justice quand ils iront mieux, pour entrée illégale dans notre pays», a expliqué un cadre du ministère tanzanien de l’Intérieur.   

Ces migrants ont confié à la police tanzanienne avoir entrepris leur voyage depuis cinq mois: après le Kenya, où les services de l’immigration sont d’une vigilance extrême, ils avaient rejoints Arusha, la grande ville du Nord de la Tanzanie, où ils avaient pu trouver un chauffeur prêts à les conduire avec un camion jusqu’au Malawi.

C’est d’ailleurs ce même chauffeur qui les a abandonnés au milieu de nulle part quand le voyage a tourné au vinaigre…

Une expédition tragique —à l’origine, vers une vie supposée meilleure— qui rappelle beaucoup celle survenue au moment de Noël, en décembre 2011.

L'enfer des Masaï

C’était déjà en Tanzanie. Vingt migrants —tous Somaliens—avaient été retrouvés morts dans le containeur d’un camion. Une quinzaine d’autres Somaliens —les survivants— avaient déclaré à la police qu’ils avaient refusé de grimper à bord, de peur de mourir comme leurs compatriotes.

En Tanzanie, où le ministère de l’Intérieur réalise des contrôles fréquents d’identité, des Ethiopiens et des Somaliens sont régulièrement arrêtés le long de la frontière avec le Kenya.

Les services tanzaniens de l’immigration annoncent ainsi avoir arrêté 1.700 Ethiopiens et Somaliens depuis le début de l’année 2011.

A Dar-es-Salaam, la capitale économique tanzanienne, l’antenne de l’Organisation internationale des migrations (OIM) n’est pas spécialement surprise des faits survenus ces dernières semaines.

Les employés renvoient à leur enquête, publiée en 2009, sur l’immigration clandestine originaire de la Corne du continent et à sa destination finale, l’Afrique du Sud: A la recherche du rêve sud-africain.

L’étude estime, depuis les passages des migrants au Malawi, qu’entre 17.000 et 20.000 migrants tentent chaque année de rejoindre l’Afrique du Sud, depuis l’Ethiopie, le Kenya et la Somalie.

Cette traversée du continent coûterait annuellement entre 34 et 40 millions de dollars aux migrants, selon les calculs de Christopher Horwood, l’auteur du rapport, qui ne cache pas que ces chiffres seraient probablement sous-estimés.

Des passeurs qui se font la belle

Chaque Ethiopien ou Somalien, projetant de rejoindre l’Afrique du Sud, doit en effet s’acquitter de «droits» de plusieurs milliers de dollars auprès des passeurs.

Mais le paiement ne se fait pas en une seule fois: les contretemps sont multiples et remettre la main à la poche s’avère inévitable. Le transport, la nourriture ou les caches constituent les postes de dépenses les plus élevés.

Passer les frontières —souvent à la nuit tombée— demande de corrompre les agents des services de l’immigration des différents pays traversés.

Sans oublier le danger permanent, et les passeurs qui peuvent parfois se faire la belle, laissant dans le désarroi les migrants.

La coordinatrice des programmes de l’OIM en Tanzanie, Monika Perrufo, le confiait à RFI, au début de l’année, après la découverte des vingt Somaliens décédés dans un containeur:

«Le voyage en lui-même est très dangereux. Les trafiquants essaient toujours de soutirer de l'argent aux migrants. Ils les abandonnent même parfois... Et il y a les violences, les viols, et toutes sortes de mauvais traitements que je vous laisse imaginer

En Tanzanie justement, où plus d’un millier d’Ethiopiens et Somaliens seraient détenus en prison —où ils peuvent parfois être battus—, l’OIM a aidé plus de 2.300 Ethiopiens à rentrer dans leur pays depuis 2009.

Pour les autres, une fois en prison, le chemin s’annonce bien long. Ils n’ont parfois plus d’argent pour payer la caution de leur libération pour les charges qui leur sont imputées.

Arnaud Bébien

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Arnaud Bébien

Journaliste français installé en Tanzanie, spécialiste de l'Afrique de l'Est.

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